Qui est Black M, le rappeur que l'extrême droite ne veut pas voir chanter aux commémorations de Verdun ?
L'ancien membre du groupe Sexion d'Assaut devait donner un concert dans la Meuse à l'occasion du centenaire de la bataille. Au grand dam de certains élus frontistes. L'événement a finalement été annulé.
Peut-on "s'amuser" lors d'une commémoration officielle ? Depuis mercredi 11 mai, de nombreux élus, essentiellement d'extrême droite, ont critiqué avec virulence le choix de la mairie de Verdun (Meuse) de faire venir le chanteur Black M aux cérémonies officielles du centenaire de la bataille, le 29 mai.
"Il est inconcevable qu’un 'artiste' qui insulte aussi violemment la France participe à un quelconque événement officiel de commémoration", assènent Marion Maréchal-Le Pen et Stéphane Ravier dans un communiqué commun. "Anti-français, homophobe et antisémite, Black M n'a rien à faire à Verdun", renchérit le maire de Béziers Robert Ménard, dans une série de tweets.
La France coloniale honorait ses tirailleurs sénégalais. La France de @fhollande n'a qu'un #BlackM à proposer #annulerBlackM
— Robert Ménard (@RobertMenardFR) 12 mai 2016
Face à ces accusations, le maire socialiste de Verdun, Samuel Hazard, a d'abord rappellé dans un message sur sa page Facebook que Black M "est tout simplement un enfant de la République", plébiscité par "les jeunes comme aucun autre artiste français". Son concert organisé pour la jeunesse ne faisait d'ailleurs pas partie de l'hommage mémoriel. Mais la mairie a finalement annoncé, vendredi 13 mai, qu'elle annulait l'événement.
Entre l'idole des jeunes et le rappeur abhorré par l'extrême droite, qui est vraiment Black M ? Francetv info dresse son portrait.
Surnommé "Gros yeux"
Né à Paris le 27 décembre 1984, Alpha Diallo de son vrai nom grandit dans le 7e arrondissement de Paris, rue du Bac. Ses parents, guinéens d'origine, se décarcassent pour lui offrir une jeunesse heureuse. "Ils ne se sont jamais lamentés sur leur sort et m’ont incité à me prendre en main", confie-t-il à L'Humanité. Son père fait des ménages dans le 16e arrondissement, pendant que celui qu'on surnomme "Gros Yeux", à cause de ses expressions, peine à trouver sa place à l'école. "J'étais un élément perturbateur, je ne bossais pas beaucoup", raconte-t-il au micro d'Europe 1.
Autodidacte, Alpha Diallo passe son adolescence à écrire. Certains thèmes le préoccupent plus que d'autres : les injustices, l'égalité et la stigmatisation. "Tous les enseignants n’appliquent pas la devise d’égalité de la République", déclare-t-il à L'Humanité. "Ces profs croient que certains élèves, dont je faisais partie, ne réussiront pas dans la vie. J’ai eu la chance de m’accrocher et d’étudier en autodidacte, mais il y a des jeunes marqués pour toujours."
Le véritable tournant de sa vie a lieu alors qu'il a à peine 18 ans. Un ami qui connaît sa passion pour le hip-hop le présente à la Sexion d'Assaut. A l'époque, le collectif de rap parisien est composé d'une trentaine d'artistes. "Ils m’ont donné rendez-vous dans un studio pour une audition. J’ai trouvé ça rapide, on ne se connaissait pas", raconte-t-il à L'Humanité. "J'étais impressionné, mais je me suis jeté à l’eau, j’ai rappé." Après huit mesures, la Sexion d'assaut lui tombe dans les bras et il intègre le collectif. Pendant plus de dix ans, Alpha Diallo devient Black M au sein du groupe, réduit à 8 membres au fil du temps.
De la première démo au disque de diamant
A ses débuts, en compagnie de Maître Gims, Barack Adama, Lefa, Maska, Doomams, JR O Chrome et L.I.O Pétrodollars, Black M se produit dans des fêtes de quartier. Le groupe vit de débrouilles et se cotise pour enregistrer en studio. "J’ai toujours cru en Sexion d’Assaut. On allait partout avec ma petite bagnole. On vendait de la main à la main", se souvient Dawala, le manager historique du groupe et fondateur du label de hip-hop Wati B au Monde. C'est l'époque du Gang Yaba Gang avec l'album La Maxi dépouille. Un rap de rue revendicatif qui parle de la jeunesse et de l'état du monde.
En secret, le groupe Sexion d'Assaut alimente un rêve, être un jour "dans les bacs de la Fnac", se souvient Dawala. Le manager développe alors plusieurs techniques de marketing : à chaque CD acheté, un tee-shirt est offert. Pour les concerts, le tee-shirt sert de ticket d'entrée. L'objectif est d'élargir la visibilité des artistes, et de placer le plus de produits possibles.
En 2009, Sexion d'Assaut sort son premier grand succès, L'Ecrasement de tête, qui se vend à 400 000 exemplaires. Le véritable succès arrive en 2011 avec la sortie de l'album L'Apogée, qui contient les tubes Ma direction ou Avant qu'elle parte. Les couplets sont plus dansants, les morceaux passent en boucle sur les radios commerciales comme Skyrock et le public s'élargit. L'album se vend à plus de 800 000 exemplaires en France. Le visage de Black M devient familier du grand public.
Des polémiques qui viennent ternir son image
C'est à la même époque que Black M se fait épingler via Sexion d'Assaut par plusieurs polémiques. La première survient avec le tube Désolé dans lequel il s'adresse à ses parents et leur dit "J'me sens coupable/ Quand j'vois tout ce que vous a fait ce pays de kouffar". Un terme péjoratif qui signifie "mécréant" en arabe, et qui est utilisé aujourd'hui par les groupes jihadistes pour désigner les Occidentaux. Un non-retour pour ses détracteurs, même si "le single est sorti en 2010, bien avant l'arrivée de Daech sur le devant de la scène du conflit syrien en 2012", nuance L'Obs.
Black M est aussi accusé d'homophobie à travers la chanson On t'a humilié, dans laquelle son collègue Maître Gims chante "Je crois qu'il est grand temps que les pédés périssent. Coupe-leur le pénis, laisse-les morts, retrouvés sur le périphérique". "On est homophobes à 100% et on l'assume", affirme le groupe en 2010 au magazine International rap. Attaqué sur les réseaux sociaux, le groupe avance une mauvaise transcription d'interview, et finit par présenter ses excuses en affirmant qu'il ne connaissait pas la définition d'homophobie. Malgré ce mea culpa, l'épisode continue de ternir la réputation des membres du groupe.
En 2015, lorsque le chanteur reprend en solo Dans ma rue de Doc Gynéco, il y évoque des "youpins" qui "s'éclatent et font des magasins". "Des paroles antisémites" qui lui valent d'être boycotté par les radios belges la même année, même s'il n'est pas à l'origine de ce texte.
Les Enfoirés, Mickey et Aladin
Malgré ces polémiques, Black M se lance dans une carrière en solo, à l'instar de son collègue Maître Gims. Ses textes se lissent et le chanteur revendique un "rap gentil". "Ça ne me dérange pas que ça soit un rap gentil. Je n'ai rien à prouver, je n'ai pas envie de la rue, de faire le gangster, même si je connais, ce n'est pas ce que j’ai envie de proposer", confie-t-il dans un reportage diffusé sur France 2.
Black M, pour sa peau noire et l'onomatopée "Mmmh" qu'il utilise régulièrement dans ses chansons, conquiert vite un public très jeune. Il participe à la bande-annonce du film Les Nouvelles aventures d'Aladin avec son grand ami Kev Adams. La comédie devient le plus gros succès français de l'année 2015 avec 3,5 millions d'entrées, note Le Figaro.
Porté par le tube Sur ma route, son premier album Les Yeux plus gros que le monde devient disque de diamant en 2015. L'année suivante, le chanteur atteint la 5e place du classement des personnalités préférées des 7-14 ans du Journal de Mickey. La même année, il intègre la troupe au public très familial des Enfoirés.
"Vos gosses me kiffent"
Assagi, ou simple stratégie, le chanteur se livre davantage dans ses chansons, utilise la guitare acoustique. "En groupe, chacun ramène son petit truc pour que ça fasse un tout. En solo, je ramène une autre partie de moi", confie-t-il au site Metronews. Il y parle de sujets plus "sages", entre émois personnels et politique. Ses concerts attirent les enfants, mais aussi leurs parents.
Un succès signe de revanche, qu'il raconte dans l'un de ses tubes, Mme Pavoshko. Il s'adresse à une professeure imaginaire qui discrimine les élèves : "Oui, madame Pavoshko, j'suis pas en prison ou à l'hosto. Non , j'fais des hits, madame Pavoshko, et vos gosses me kiffent, madame Pavoshko", chante-t-il.
Quant à Verdun, si l'ascension du chanteur ne suffit pas à calmer ses détracteurs, il rappellait avant l'annulation du concert dans les colonnes de L'Est Républicain : "C'est de la scène, et c’est quelque chose que j’aime énormément alors je réponds présent. Tout simplement."
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