"Rainbow+" de Jérôme Soligny : des témoignages et des confidences pour découvrir Bowie l'artiste au-delà de l'icône
Dans Rainbow+ de Jérôme Soligny aux Editions GM, c'est bien le "+" qui compte. Il existe déjà deux tomes, parus en 2019 et 2020 de Rainbow, une somme pratiquement définitive pour les amateurs de Bowie. Voici donc le tome 3 et en un peu plus de 200 pages, grâce à des confidences d'amis ou collègues de scène, et des réflexions de Bowie lui-même, apparaît celui que Soligny aime qualifier de "sorte de Dorian Gray", qui "a traversé les âges".
Par des touches impressionnistes finit par se dessiner un portrait un peu net, un peu flou, comme était cet extraterrestre de la musique. Bowie le dit lui-même, page 31, en commentant la couverture de Rock&Folk numéro 387, datée de novembre 1999 : "Décidément, ce David Bowie a toujours été très étrange."
Trente-deux témoins de la défense pour un génie
Ils sont une grosse trentaine à parler de lui, tous de la planète Bowie. Il y a bien sûr, Iggy Pop, Peter Framptom ou Françoise Hardy. Soligny, depuis plus de quarante ans, a recueilli leurs propos, méticuleusement. Ils l'ont accompagné en tournée, étaient les cuivres ou les maquilleuses, étaient en studio avec lui ou tous simplement "fans", même si ce mot ne colle pas avec l'amour immodéré qu'ils portent à l'artiste. Et au coin des confidences, s'il ne fallait en garder que quelques-unes, commençons par un souvenir de jeunesse. Chrissie Hynde, leader et chanteuse de The Pretenders se souvient.
Elle a 21 ans en 1972. Cleveland, Ohio. À moins d'un mètre d'elle, il passe. "Ziggy avait les cheveux orange (...) il portait un blouson vert". Le garde du corps de Bowie leur demande si elles connaissent, sa copine et elle, un endroit où manger. Il monte à l'arrière de l'Oldsmobile Cutlass de la mère de Chrissie. La vie de fan peut donc changer la vie d'une chanteuse. "La providence devait y être pour quelque chose, j'avais détourné le véhicule de ma mère et maintenant, David Bowie était assis dedans." Elle conclut : "C'était trop bizarre". On imagine la moue d'une "gamine" et pourtant, c'est "la glam et arty" Chrissie Hynde qui raconte.
Jacno, d'Elie et Jacno, en 1999, analysait ainsi le Bowie toujours caméléon. Il ne voulait pas choisir une période plus qu'une autre et aimait comparer Bowie à un personnage venu de l'Europe de l'Est : "À chaque fois qu'il a construit quelque chose, il l'a détruit et, évidemment, ça lui a donné ce côté vampire qui se régénère en permanence." Marc Almond de Soft Cell met en avant l'héritage que laisse Bowie à ceux qui l'admirent : "Être fan de Bowie signifie recevoir toute une éducation."
À travers ces témoignages, se dégage une image d'un Bowie fascinant, mais loin de l'icône. Ce que confirme à franceinfo Culture, Jerôme Soligny : "Le Bowie que j'ai connu, c'est quelqu'un qui est l'antithèse de tout ce qui a pu être décrit dans la presse par des gens qui ne le connaissaient pas, mais qui s'arrêtaient à son image. Ce n'était absolument pas un calculateur, ce n'était pas quelqu'un qui avait des plans. C'est quelqu'un qui pensait que l'art reposait sur l'accident et qu'il l'a pensé jusqu'à la fin de sa vie."
La preuve par son ultime album, Blackstar, paru deux jours avant sa mort, le 8 janvier 2016, il avait réuni sur les conseils de son toujours fidèle producteur, Tony Visconti, de jeunes musiciens inconnus.
Bowie, un Dracula à la dent dure
Tous donc soulignent la curiosité intellectuelle, culturelle et artistique du musicien, mais on découvre aussi un Bowie au tacle drôle et facile, parfois vis-à-vis des collègues. Là, ce sont les Stones qui en prennent pour leurs grades : "Il n'y a plus de cirque aujourd'hui : aux USA, Barnum and Bailey ne tourne plus. (...) À la place, les gens vont voir les Stones en concert. Dire que mon vaisseau spatial ne serait qu'un minuscule accessoire pour eux."
Quelques pages plus loin, il parle de lui comme d'un Bowie orgueilleux. En 1979, il rencontre l'artiste Vasarely. Dix ans avant, le photographe Vernon Dewhurst illustre l'album Space Oddity avec l'œuvre CTA 25 Neg. La pochette devient iconique, mais Bowie dit : "Je suis allé chez lui, il m'a semblé très bourgeois... C'était très bourgeois... j'étais jeune, j'avais le sentiment de tout savoir, (...) j'ai dû me dire, ho, il est bourgeois, je m'en vais !"
Mais le Bowie qui ressort de ce recueil est aussi paradoxalement un artiste modeste, à l'affût des nouveautés, des vieux titres à découvrir. Jérôme Soligny raconte qu'à chaque rencontre, l'une des grandes questions était : "Qu'as-tu écouté de nouveau récemment ?".
Et il rajoute : "Il était autant mélomane que musicien, il a estimé toute sa vie que les chansons de ses idoles étaient bien meilleures que ces chansons. Il mettait la barre si haut qu'ainsi, il a créé des chefs-d'œuvre. Car avec le recul, on peut considérer que Ashes to Ashes est une aussi bonne chanson que I'm Waiting For My Man de Lou Reed qu'il considérait comme le meilleur, avec Lennon et d'autres moins connus."
"Il me questionnait par exemple sur les goûts de mon père", raconte encore Jérôme Soligny. "Mon père écoutait Miles Davis et Cannonball Adderley. Bowie par son frère avait aussi ce goût du jazz."
Sa curiosité artistique est prouvée par le fait qu'il fut le premier à parler de Lou Reed et d'Iggy Pop, mais aussi bien des années plus tard, d'Arcade Fire et de TV on the Radio. L'auteur conclut : "Tout était de l'art pour Bowie."
Mike Garson sublime les mélodies de Bowie
Dans les + des +, Jérôme Soligny a eu la belle idée de convoquer le piano de Mike Garson. Pianiste de Bowie sur Aladdin Sane en 1973, il collabore durant des décennies sur plusieurs albums de Bowie. Il revisite dix titres en vinyle et avec son toucher jazz, c'est toute l'élégance de ces mélodies qui surgissent à l'écoute. Un conseil d'écoute : Heroes ou John, I'm Only Dancing revus ainsi sont des "perles" de groove et de jazz.
"Rainbow+" de Jérôme Soligny aux Éditions Lisa et Margaux Chetteau, 216 pages, 29,90 euros.
"The Rainbow Variations, Mike Garson plays David Bowie", vinyle en édition spéciale, Fnac.
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