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Ed Piskor raconte l'épopée du Hip Hop en BD : enfin en version française !
Le hip-hop et la BD ? Un alliage aussi naturel que l'aiguille et le sillon du vinyle. L'Américain Ed Piskor le prouve depuis 2012 en racontant la folle épopée du mouvement en strips flamboyants, sur le web et sur papier. Le premier tome de son "Hip Hop Family Tree", qui se concentre sur la genèse durant les années 70, vient de paraître en France aux éditions Papa Guédé.
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Un cours de rattrapage accéléré
Un cours d'histoire de ce genre, bien des gamins du fond de la classe aimeraient en recevoir d'aussi enlevés, d'aussi jouissifs. En moins de deux heures de lecture, cette leçon en accéléré balaye les huit premières années du hip-hop aux Etats-Unis. Ce récit fondateur, l'excellent roman "Brûle" de Laurent Rigoulet l'a exploré tout récemment. Pourtant, Ed Piskor le raconte différemment.Son premier tome sur les balbutiements du mouvement se termine en 1981. Né l'année suivante dans un quartier populaire de Pittsburgh, Ed Piskor a toujours baigné dans le hip-hop. Son rap, il l'aime sans doute un peu engagé : Public Enemy est son groupe préféré. Quant aux BD, il a clairement biberonné celles de Marvel Comics. Chez lui, les deux se fondent et les figures du hip-hop sont traitées parfois, non sans humour, comme des super-héros.
Pour raconter cette chronologie détaillée des pionniers, l'auteur a effectué un travail quasi- journalistique et s'est abreuvé à plusieurs sources : livres, interviews, documentaires. Mais le point de départ, c'est "Ego Trip Book of Rap Lists", un livre culte sorti en 1999 qui s'amusait à constituer des listes aussi drôles qu'informatives sur le rap. Ed Piskor a suivi les recommandations en creux pour sa chronologie des moments clés. Le résultat, dont on suit l'avancée depuis 2012 sur le site Boing Boing, est unanimement salué et fait déjà partie du panthéon hip-hop.
Graphisme splendide et référencé, beaucoup d'action
On comprend pourquoi : dès les premières pages de ce premier tome, Piskor en met plein les yeux. Le graphisme est splendide, il respire l'hommage aux BD de super-héros des années 70. Le style et les couleurs soigneusement délavées donnent l'illusion de tenir un comics américain vintage entre les mains. Il y a beaucoup d'action et de situations à l'image, le scénario multiplie les points de vue et varie les valeurs de plans (gros plans, plans larges), comme dans un film. Les pages palpitent. Littéralement. Quand les basses vrombissent dans le récit, l'impression du strip tremble à l'unisson (on peut penser à tort à un défaut d'impression).La narration est dense et les personnages, surtout au début, se succèdent en un flux ininterrompu (plus de 200 dans ce premier tome !). On peut être un peu submergé mais il faut s'accrocher, on est vite récompensé. Premier fou rire dès la troisième page, lorsqu'entre en scène Russell Simmons, son bob et son gros cheveu sur la langue. "Crois-moi, Kurtif Blow fa claque", dit-il à son protégé Kurtis Walker.
Des anecdotes à foison
Cette BD fourmille d'anecdotes et même les connaisseurs glâneront des infos. Dans ce Tome 1, on se faufile dans les coulisses de l'imposture "Rapper's Delight" de Sugarhill Gang, on suit par-dessus son épaule les prouesses aux platines de Grandmaster Flash, on assiste au refus de compromis d'Afrika Bambaataa, jaloux de ses breaks.On pénètre dans les chambres des petits Joseph Simmons et Darryl Mc Daniels (Run D.M.C.), et des tout jeunes Lawrence Parker (KRS One), Carlton Ridenhour (Chuck D) et Frederik Jay Rubin (Rick Rubin). On participe à la battle légendaire entre les Cold Crush Brothers et les Fantastic Romantics, et à celle qui vit Kool Moe Dee atomiser Busy Bee, mais on s'invite aussi à un dîner gastronomique parisien mal digéré à la table de Kurtis Blow et Russell Simmons.
On assiste à la progression et à la professionnalisation du rap et à la naissance d'une industrie où tous les coups bas sont permis. Les ruses de l'impitoyable productrice Sylvia Robinson pour s'imposer sur ses concurrents et empocher le pactole sont particulièrement savoureuses.
Basquiat, Blondie et Clash à la marge
On croise aussi Jean-Michel Basquiat, Keith Haring, Debbie Harry de Blondie, les Ramones, Clash et les Talking Heads grâce à Fab Five Freddy, artiste, graffeur, ambianceur - "The Rapture", le hit de Blondie, avait été écrit pour lui - et trait d'union entre le Bronx et toute la scène punk bourgeonnante du CBGB à Manhattan.La traduction française est à la hauteur de cette BD très riche en textes et en rimes. Le travail de l'éditeur Papa Guédé - lettrage, couverture, papier - est particulièrement soigné et Ed Piskor lui-même a apprécié. Quatre tomes sont déjà parus aux Etats-Unis (chez Fantagraphics) et deux autres sont à venir. On trépigne déjà pour la suite. En attendant, on révise ses classiques avec cette playlist sur-mesure.
"Hip Hop Family Tree" de Ed Piskor (Papa Guédé éditions, 26 euros)
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