"Fight The Power - Comment le hip-hop a changé le monde" : une série documentaire initiée par Chuck D de Public Enemy sur Arte.tv

Ce documentaire instructif en quatre parties sur les racines et les ressorts politiques du hip-hop est à voir à la demande tout l'été et jusqu'au 30 septembre 2024.
Article rédigé par Laure Narlian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Chuck D de Public Enemy et Grandmaster Flash, le 14 août 1991, à New York (États-Unis). (AL PEREIRA / MICHAEL OCHS ARCHIVES / GETTY IMAGES)

Alors que le hip-hop fêtait l'an passé ses 50 ans, il n'est pas inutile de faire une piqûre de rappel sur les origines d'un mouvement qui a non seulement donné le graffiti, le dj'ing et le rap, mais aussi la breakdance, qui fait son entrée cette année aux JO. C'est ce que propose la série documentaire en quatre parties Fight The Power - Comment le hip-hop a changé le monde, à voir sur Arte.tv jusqu'au 30 septembre 2024.

La volonté des auteurs, en particulier Chuck D de Public Enemy, producteur exécutif de ce film réalisé par la BBC, était de rappeler que le hip-hop, né dans les quartiers abandonnés et ravagés de New York dans les années 1970, est une culture aux racines profondément politiques. De fait, la lutte des minorités aux États-Unis, en particulier noires et hispaniques, est si intimement liée au hip-hop qu'ils sont comme les deux brins d'une double hélice d'ADN. C'est donc à un véritable cours d'histoire que nous sommes conviés.

Articulée autour de moments clés de l'histoire américaine à partir des années 1960, l'épopée du hip-hop est ici divisée en quatre chapitres d'une cinquantaine de minutes chacun : Les origines, Une communauté harcelée, La guerre des cultures et Le combat continue.

Dès le départ, le rap a été un outil de lutte contre l'oppression et les injustices. Il a informé, éduqué et motivé politiquement les auditeurs. Le mouvement a été durant plusieurs décennies le haut-parleur des sans voix, le meilleur moyen de faire passer le message, y compris au-delà des frontières, une "black CNN" comme l'avait surnommé Chuck D. Guidé par les éclairages pertinents de ce dernier, le documentaire est ponctué d'interventions d'une dizaine de figures, dont Ice T, KRS One, Monie Love, Darryl McDaniels de Run DMC, MC Lyte, Fat Joe, ainsi que de quelques journalistes et historiens.

"On a créé quelque chose à partir de rien"

De très nombreuses archives ponctuent le récit. On voit notamment de rares images d'époque de DJ Kool Herc, organisateur et metteur en sons de la fête de rentrée des classes au 1520 Sedgwick avenue dans le Bronx, qui fait office de bulletin de naissance officiel du hip-hop en 1973. Le Bronx était alors dans un état de délabrement inouï, mais les jeunes faisaient preuve de créativité dans l'adversité. "Nous avons pris la seule chose qui faisait de la musique chez nous : les platines", a dit un jour Lord Jamar de Brand Nubian. Et l'idée de génie de DJ Kool Herc de ne passer que la partie du morceau qui avait le plus d'énergie dansante a fait le reste.

On retient également les interventions passionnantes du pionnier du graffiti, Lee Quiñones, connu pour ses œuvres peintes à la bombe aérosol sur les rames du métro aérien de New York. "On a créé quelque chose à partir de rien", résume-t-il.

Les hommes politiques défilent et ne changent rien. Ils aggravent même la situation. Un des moments forts et particulièrement poignant est la fameuse visite dans le Bronx de Ronald Reagan en campagne pour la présidentielle de 1980. Interpellé par une foule d'habitants désespérés et à bout, il multiplie les promesses qu'il sait d'avance qu'il ne tiendra pas. Il fera même l'inverse en multipliant les coupes budgétaires. Glaçant. "Le hip-hop, c'est la créativité qui a émergé des quartiers noirs une fois qu'ils n'avaient plus rien, que tout leur avait été enlevé", souligne Chuck D.

Des messages et des claques

Le documentaire s'attache à montrer comment le hip-hop a accompagné et souvent amplifié les mouvements de protestation, surtout à partir des années 1980. Il revient notamment sur le fondateur The Message de Grandmaster Flash and the Furious Five, sur les chroniques sociales de Tupac Shakur, et sur les saillies politiques galvanisantes de Public Enemy, dont l'hymne Fight The Power donne son titre au documentaire. Il est aussi question des controversés Cop Killer de Ice T avec son groupe Body Count ou Fuck Da Police de NWA, réponses aux violences policières contre les Noirs et à l'impunité de leurs auteurs. Impossible de louper Eminem, moquant férocement l'hypocrisie américaine à l'époque du président George W. Bush avec la claque Mosh, qui fit de lui la bête noire des autorités et le héros rap de la planète entière.

Si l'industrie s'est efforcée de gommer le message politique du rap pour le rendre plus présentable et universel, c'est pourtant Alright de Kendrick Lamar qui a été l'hymne du mouvement Black Lives Matter à la suite du meurtre de George Floyd, mort étouffé sous le genou d'un policier en 2020, en pleine pandémie. Un événement qui a donné lieu à une vague de manifestations ferventes dans le monde entier, les réseaux sociaux ayant fait caisse de résonance comme jamais. Le documentaire s'ouvre et se referme d'ailleurs sur le discours, à Atlanta, de Killer Mike (du duo Run The Jewels), déterminé, mais en larmes, qui avait bouleversé l'Amérique au lendemain de la mort de George Floyd.

Cette impeccable et riche leçon d'histoire, qui n'oublie pas la place des rappeuses dans cet univers resté longtemps très misogyne, nous laisse néanmoins légèrement sur notre faim. En cause, son titre, dont la promesse n'est pas tout à fait tenue. Car davantage que "comment le hip-hop a changé le monde", il s'agit surtout de comment le hip-hop a changé les États-Unis et s'est invité dans les débats politiques américains. Dommage de n'avoir qu'effleuré l'impact du hip-hop dans le monde et la façon dont les rappeurs de toutes nationalités s'en sont emparés jusqu'à aujourd'hui pour exprimer leur révolte. Peut-être l'occasion d'une suite ?

Fight The Power - Comment le hip-hop a changé le monde de Yemi Bamiro (2023 Royaume-Uni, États-Unis), quatre épisodes de 52 min sur Arte.tv, disponible jusqu'au 30 septembre 2024.

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