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"Illmatic" de Nas : 5 bonnes raisons de fêter ce classique
A sa sortie il y a 20 ans, le premier album de Nas, "Illmatic", fut un choc. Classique instantané, resté depuis au firmament du panthéon hip-hop, il continue d'inspirer la jeune garde du meilleur du rap, comme Kendrick Lamar. Voici cinq bonnes raisons d'écouter ou de redécouvrir ce disque considéré par beaucoup comme le meilleur album de hip-hop des années 90, voire de tous les temps.
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1. Une écriture exceptionnelle
Nas est entré dans l'histoire du rap comme personne avant lui. En trombe. Il lui aura suffit de poser ses rimes sur un seul titre, "Live at the Barbeque" du groupe Main Source (album "Breaking Atoms" 1991), un titre pourtant fourmillant d'invités, pour être remarqué et devenir le "verbal assassin" le plus attendu du début des années 90.
Avec "Illmatic", son premier album sorti en avril 1994, il s'impose comme l'un des plus grands poètes de la rue, en droite ligne du Rakim de "Paid in Full" qu'il parvient à détrôner. Sur ce disque largement autobiographique qui documente sa vie en enfer, son verbe est haut, son lexique novateur ("Illmatic", "Half man/Half amazing"), son flow toujours fluide, son esprit à la fois noble et aiguisé et ses punchlines percutantes ("I never sleep cause sleep is the cousin of death").
Les récits de son quotidien au coeur d'une des cités les plus dures de New York (Queensbridge Project, dans le quartier du Queens) sont ultra-vivants et imagés et toujours diaboliquement précis dans le détail. Ils sont aussi souvent poignants, à l'image de "One Love", qui brille aussi par sa forme narrative : Nas s'adresse à un ami emprisonné comme il le ferait dans une lettre, lui racontant la vie du quartier et l'encourageant à tenir bon.
Et alors que chaque rime semble pesée, ciselée, pensée, on sait aujourd'hui que l'un des sommets de ce disque, "N.Y. State of Mind", a été écrit dans l'urgence, en studio, le jour même de l'enregistrement et "en une prise", comme en témoigne DJ Premier. On ne s'étonne pas dès lors que le terme "illmatic" soit devenu lui-même synonyme d'"excellence de la rue" dans le jargon hip-hop. 2. Une vision et une mission
"Je veux être la voix des jeunes en détresse des ghettos", disait Nas à l'époque de la sortie de cet album. Du haut de ses 20 ans, il semblait déterminé à changer les choses. Sont but était d'inspirer. A la fois "ceux qui vivent la même vie que moi tout comme ceux dont la vie est totalement différente". Ainsi que les rappeurs qui commençaient à s'égarer alors dans le matérialisme et les pauses de gangsters. Avec le recul, cela peut paraître prétentieux. Pourtant il y parvint, au moins en partie, établissant un nouveau maître étalon d'un rap poétique mais sans concession et mettant au goût du jour l'introspection dans le rap. Toutefois, n'étant pas un surhomme, il flanchait dès le second album, dérivant vers une facette plus commerciale et gangster. 3. Un carré d'as à la production
En terme de production, "Illmatic" fut aussi une révolution qui redéfinit pour un moment le son du hip-hop de New York et de la côte Est des Etats-Unis. La crème des producteurs, que Nas qualifie lui-même aujourd'hui de "dream team", se pressait en effet au chevet de ce jeune talent si prometteur. Dj Premier (de Gang Starr), Pete Rock, Q-Tip (A Tribe Called Quest), Large Professor (Main Source) et L.E.S, y rivalisèrent de créativité pour offrir le tapis de boucles et de beats inoubliables de "Illmatic" qui propulsèrent ses rimes au firmament.
Normal ? Pas du tout. Avant "Illmatic", les albums de rap étaient produits généralement par un seul producteur, ou par une équipe de production, voire par le groupe et le producteur. Rick Rubin pour "Licenced to Ill" des Beastie Boys, le Bomb Squad pour Public Enemy, Prince Paul pour "3 Feet High and rising" de De La Soul, Dr Dre et Dj Yella pour "Straight Outta Compton" de NWA, RZA pour le Wu-Tang Clan... Pour le meilleur et pour le pire, "Illmatic" instilla l'idée dans la tête des rappeurs qu'il fallait multiplier les noms prestigieux aux manettes pour être couronné roi.
Nas et Q-Tip (producteur du titre) interprètent "One Love" vingt ans après au show de Jimmy Fallon 4. Concis ou quand le moins peut le plus
39 minutes, neuf chansons. Boum. L'album est court et sans doute encore plus percutant. Ici, il n'y a pas une rime ou une minute de trop. Pour la petite histoire, l'album de Nas était tellement attendu qu'il fut piraté au fur et à mesure des enregistrements, puis dans son entier, de façon massive avant sa publication. 70.000 cassettes pirates avaient été découvertes dans un garage du Bronx quelques mois avant sa sortie, racontent Mc Serch et Faith Newman, qui signèrent Nas chez Columbia . Résultat : la maison de disques décida d'avancer la sortie d'urgence, quitte à en faire une version plus courte que prévue. 5. Une pochette remarquable
Comme toute oeuvre de légende, celle-ci est parfaite en tous points. La pochette d'"Illmatic" mérite elle aussi qu'on s'y arrête. Alors que les rappeurs avaient coutûme avant celle-ci de poser avec de grosses voitures, des chaînes en or, des dollars, des filles ou des armes, Nas change la donne. Il utilise une photo de son visage enfant, avec en surimpression les immeubles de sa cité, qui a tant compté dans les premières années de sa vie et qui est au coeur de ce disque. A sa suite, des dizaines de mixtapes et quelques grands albums ont repris le concept, de "Ready to Die" de Biggie à "Good Kid MA.A.d. City" de Kendrick Lamar. Un documentaire et un album enrichi de remixes et d'inédits
A l'occasion des 20 ans d'"Illmatic", l'album ressort dans une version enrichie d'un second cd contenant des remixes et des inédits. "Illmatic XX" offre des points de vue différents sur ces classiques. En particulier "It ain't hard to tell" dont le stink mix (ci-dessus) est particulièrement réussi. On y trouve aussi "I'm a Vilain", déjà entendu sur la fameuse démo avec laquelle Nas avait été démarcher les maisons de disque.
Mais on ne va pas vous mentir : si ces versions et inédits sont divertissants en ce qu'ils font poser un regard neuf sur les originaux, on n'échangerait pour rien au monde ces derniers. La perfection est intouchable. Et le choix d'alors était et demeure parfait.
Par ailleurs, un documentaire "Time is Illmatic", qui retrace la trajectoire de Nas et explore l'environnement social et culturel dans lequel il a grandi, est présenté cette semaine au Tribeca Film Festival de New York. En voici la bande annonce.
Nas est entré dans l'histoire du rap comme personne avant lui. En trombe. Il lui aura suffit de poser ses rimes sur un seul titre, "Live at the Barbeque" du groupe Main Source (album "Breaking Atoms" 1991), un titre pourtant fourmillant d'invités, pour être remarqué et devenir le "verbal assassin" le plus attendu du début des années 90.
Avec "Illmatic", son premier album sorti en avril 1994, il s'impose comme l'un des plus grands poètes de la rue, en droite ligne du Rakim de "Paid in Full" qu'il parvient à détrôner. Sur ce disque largement autobiographique qui documente sa vie en enfer, son verbe est haut, son lexique novateur ("Illmatic", "Half man/Half amazing"), son flow toujours fluide, son esprit à la fois noble et aiguisé et ses punchlines percutantes ("I never sleep cause sleep is the cousin of death").
Les récits de son quotidien au coeur d'une des cités les plus dures de New York (Queensbridge Project, dans le quartier du Queens) sont ultra-vivants et imagés et toujours diaboliquement précis dans le détail. Ils sont aussi souvent poignants, à l'image de "One Love", qui brille aussi par sa forme narrative : Nas s'adresse à un ami emprisonné comme il le ferait dans une lettre, lui racontant la vie du quartier et l'encourageant à tenir bon.
Et alors que chaque rime semble pesée, ciselée, pensée, on sait aujourd'hui que l'un des sommets de ce disque, "N.Y. State of Mind", a été écrit dans l'urgence, en studio, le jour même de l'enregistrement et "en une prise", comme en témoigne DJ Premier. On ne s'étonne pas dès lors que le terme "illmatic" soit devenu lui-même synonyme d'"excellence de la rue" dans le jargon hip-hop. 2. Une vision et une mission
"Je veux être la voix des jeunes en détresse des ghettos", disait Nas à l'époque de la sortie de cet album. Du haut de ses 20 ans, il semblait déterminé à changer les choses. Sont but était d'inspirer. A la fois "ceux qui vivent la même vie que moi tout comme ceux dont la vie est totalement différente". Ainsi que les rappeurs qui commençaient à s'égarer alors dans le matérialisme et les pauses de gangsters. Avec le recul, cela peut paraître prétentieux. Pourtant il y parvint, au moins en partie, établissant un nouveau maître étalon d'un rap poétique mais sans concession et mettant au goût du jour l'introspection dans le rap. Toutefois, n'étant pas un surhomme, il flanchait dès le second album, dérivant vers une facette plus commerciale et gangster. 3. Un carré d'as à la production
En terme de production, "Illmatic" fut aussi une révolution qui redéfinit pour un moment le son du hip-hop de New York et de la côte Est des Etats-Unis. La crème des producteurs, que Nas qualifie lui-même aujourd'hui de "dream team", se pressait en effet au chevet de ce jeune talent si prometteur. Dj Premier (de Gang Starr), Pete Rock, Q-Tip (A Tribe Called Quest), Large Professor (Main Source) et L.E.S, y rivalisèrent de créativité pour offrir le tapis de boucles et de beats inoubliables de "Illmatic" qui propulsèrent ses rimes au firmament.
Normal ? Pas du tout. Avant "Illmatic", les albums de rap étaient produits généralement par un seul producteur, ou par une équipe de production, voire par le groupe et le producteur. Rick Rubin pour "Licenced to Ill" des Beastie Boys, le Bomb Squad pour Public Enemy, Prince Paul pour "3 Feet High and rising" de De La Soul, Dr Dre et Dj Yella pour "Straight Outta Compton" de NWA, RZA pour le Wu-Tang Clan... Pour le meilleur et pour le pire, "Illmatic" instilla l'idée dans la tête des rappeurs qu'il fallait multiplier les noms prestigieux aux manettes pour être couronné roi.
Nas et Q-Tip (producteur du titre) interprètent "One Love" vingt ans après au show de Jimmy Fallon 4. Concis ou quand le moins peut le plus
39 minutes, neuf chansons. Boum. L'album est court et sans doute encore plus percutant. Ici, il n'y a pas une rime ou une minute de trop. Pour la petite histoire, l'album de Nas était tellement attendu qu'il fut piraté au fur et à mesure des enregistrements, puis dans son entier, de façon massive avant sa publication. 70.000 cassettes pirates avaient été découvertes dans un garage du Bronx quelques mois avant sa sortie, racontent Mc Serch et Faith Newman, qui signèrent Nas chez Columbia . Résultat : la maison de disques décida d'avancer la sortie d'urgence, quitte à en faire une version plus courte que prévue. 5. Une pochette remarquable
Comme toute oeuvre de légende, celle-ci est parfaite en tous points. La pochette d'"Illmatic" mérite elle aussi qu'on s'y arrête. Alors que les rappeurs avaient coutûme avant celle-ci de poser avec de grosses voitures, des chaînes en or, des dollars, des filles ou des armes, Nas change la donne. Il utilise une photo de son visage enfant, avec en surimpression les immeubles de sa cité, qui a tant compté dans les premières années de sa vie et qui est au coeur de ce disque. A sa suite, des dizaines de mixtapes et quelques grands albums ont repris le concept, de "Ready to Die" de Biggie à "Good Kid MA.A.d. City" de Kendrick Lamar. Un documentaire et un album enrichi de remixes et d'inédits
A l'occasion des 20 ans d'"Illmatic", l'album ressort dans une version enrichie d'un second cd contenant des remixes et des inédits. "Illmatic XX" offre des points de vue différents sur ces classiques. En particulier "It ain't hard to tell" dont le stink mix (ci-dessus) est particulièrement réussi. On y trouve aussi "I'm a Vilain", déjà entendu sur la fameuse démo avec laquelle Nas avait été démarcher les maisons de disque.
Mais on ne va pas vous mentir : si ces versions et inédits sont divertissants en ce qu'ils font poser un regard neuf sur les originaux, on n'échangerait pour rien au monde ces derniers. La perfection est intouchable. Et le choix d'alors était et demeure parfait.
Par ailleurs, un documentaire "Time is Illmatic", qui retrace la trajectoire de Nas et explore l'environnement social et culturel dans lequel il a grandi, est présenté cette semaine au Tribeca Film Festival de New York. En voici la bande annonce.
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