JoeyStarr et Sofiane Pamart partagent un songe poético-pianistique à La Seine Musicale : on y était
Entre le boxeur du verbe et le jeune pianiste virtuose prisé des rappeurs, l'alchimie fonctionne. Malgré le côté un peu brouillon de JoeyStarr, le spectacle orchestré par Jérémie Lippmann fait passer un excellent moment.
JoeyStarr déclamant des extraits de grands textes poétiques accompagné de Sofiane Pamart, le jeune pianiste prisé des rappeurs : la promesse de ce spectacle mis en scène par Jérémie Lippmann (qui avait déjà dirigé le premier dans Eloquence à l'Assemblée en 2018) restait suffisamment floue pour ne pas savoir vraiment à quoi s’attendre.
Lundi 11 octobre, dans la belle salle à 360° de l'auditorium de La Seine Musicale, Sofiane Pamart démarre seul derrière son piano à queue. Dans l’ombre, JoeyStarr fait durer le suspense : là ? Pas là ? En retard ? Il s’est en réalité installé discrètement dans le public et fait son entrée dans le noir à pas de loup, précédé par sa voix. C’est elle qui est censée être ce soir au cœur de l’attention, elle qui doit nous emmener en voyage au travers de textes sélectionnés par Pierre Grillet. Sont notamment convoqués les mots d’Antonin Artaud et de Charles Baudelaire, d’Alexandre Pouchkine et d’Aimé Césaire, au sein duquel se glisse un texte plus rappé, L'Arène... d'un certain JoeyStarr.
JoeyStarr a "un rossignol bleu dans le coeur"
On le sait, notre terreur des micros fait rarement dans la dentelle. Il y a donc la surprise d’entendre ce personnage explosif prononcer des suites de mots romantiques rares ou inédites dans sa bouche comme "les feux de l’amour", "j’ai un rossignol bleu dans le cœur" ou "le mal d’amour est dans mon sang".
Problème : le Jaguarr n’est pas sur scène avec NTM et ne peut se contenter d’arriver les mains dans les poches en faisant le show à base de "pow, pow, pow, pow !". Or, il semble que ce soit le cas. D’abord, le rappeur-acteur à la voix rocailleuse n’est pas toujours intelligible. Il faut tendre l’oreille. Ensuite, ce duo qui repose énormément sur lui impose de s’approprier les textes. Or JoeyStarr n’a visiblement pas pris la peine d’apprendre ses textes par cœur. Il chausse régulièrement ses lunettes et lit. Et puis il a parfois tendance à brailler pour donner le change, à crier ou rugir en surjouant l’intention.
Peu de répétitions mais un "super pouvoir"
Le pianiste Sofiane Pamart, interviewé le mois dernier, aurait dû nous mettre la puce à l’oreille. "Ça va être très instinctif, on répète très peu, mais je pense que c’est ce qui va donner la magie du moment à la Seine musicale", nous avait-il confié.
De fait, JoeyStarr n’a jamais aimé répéter. Avec NTM il se contentait du minimum syndical en amont pour "rassurer" son partenaire mais donnait tout sur scène. On n’a jamais oublié cependant cette phrase un peu amère de Kool Shen dans l’autobiographie à deux voix du Suprême signée Olivier Cachin sortie en 2019 : "Monter sur scène et me dire que j'ai préparé le show mais que cet enculé, quand il déboule, il n'y a qu'une lumière, et qu'elle est allumée au-dessus de sa tête, ça peut frustrer."
Mais voilà, cette lumière s’appelle le charisme et elle peut beaucoup. "C’est tellement intuitif chez lui, ses interprétations sont tellement vraies, c’est son super pouvoir", ajoutait Sofiane Pamart, admiratif. "C’est pour ça qu’il était si fort dans le rap et qu’il est si fort aussi à l’écran en tant que comédien. Parce qu’il sait envoyer directement l’émotion, la véritable émotion brute, sans filtre".
Charisme et jouissance contagieuse
Alors oui, JoeyStarr n’a pas appris son texte par cœur mais on s’en fout, en fait. On ne comprend pas tout mais contre toute attente on passe un excellent moment, suffisamment court de toute façon (une petite heure) pour ne jamais trouver le temps long. D’abord, le rappeur est à l’aise, en maître de l’improvisation. Avec son habile jeu de lumières et son dialogue voix-piano, le spectacle ménage des contrastes, de l'âpreté à la douceur, et parvient à émouvoir sans être jamais gnangnan. L'alchimie fonctionne.
En boxeur du verbe, JoeyStarr reste au centre d’un ring imaginaire, prêt à envoyer ses directs du droit au public : "eh, on n’est pas au stade !", lance-t-il à quelque spectateur dissipé. Tout le monde se poile. L’animal danse aussi, bat des bras comme s’il avait des ailes, part en cavale et finit en embardée. Sa jouissance de la scène est contagieuse.
Un dialogue fructueux avec le piano de Sofiane Pamart
Sofiane Pamart lui donne en quelque sorte la réplique au piano, allège un texte, souligne un climat, apporte un peu de grâce, termine ses phrases en notes. Il improvise et glisse certains de ses morceaux (Nara, Solitude...). C’est aussi pour lui que l’on était venu voir ce drôle d’attelage sur scène. Une façon d’avoir la primeur de sa première tournée annoncée pour l’an prochain. On n’est pas déçue (et à l’applaudimètre on sent bien qu’on n’est pas la seule).
Ses trilles au piano sont résolument enchanteresses, et son phrasé véloce n’empêche pas l’humour. Ainsi, lorsque JoeyStarr évoque deux Charles (Baudelaire et Bukowski), Sofiane Pamart lui répond avec La Bohême d’un autre Charles...
Tiens d’ailleurs, s’il est question d’amour et de femmes dans ces textes, on n’y voit nulle trace de poétesse. Le remuant Didier Morville, admirateur de Depardieu en qui il a trouvé un modèle, ne parvient pas encore à la délicatesse du merveilleux spectacle de l'imposant Gérard sur Barbara. Ce soir, ou demain peut-être ?
Le partage d’un songe avec JoeyStarr et Sofiane Pamart est à nouveau donné à La Seine Musicale mardi 12 et mercredi 13 octobre 2021
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