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Kanye West : que vaut son nouvel album "Ye" ?

“Ye”, le nouvel opus de la star du rap américain Kanye West, est disponible depuis vendredi 1er juin. Lundi, les sept chansons de l'album étaient en tête d'écoute sur les plateformes de streaming Apple et Spotify. Après une écoute intensive tout le week-end, voici les enseignements que nous en avons tiré.
Article rédigé par franceinfo - Benoît Jourdain
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Kanye West (ici en 2016) est de retour un son nouvel album, "Ye".
 (Kevin Mazur / Getty Images)

Un feu de camp, un champ où trônent des énormes enceintes et les montagnes du Wyoming en toile de fond : voilà le décor choisi par Kanye West pour promouvoir son huitième album dont on ignorait pratiquement tout jusqu’à sa sortie vendredi 1er juin vers 14 heures, heure française. La nuit précédent la sortie, une poignée de VIP comprenant de grands noms du rap (Nas, Kid Cudi, Big Sean, 2 Chainz, Pusha T) et du cinéma (les acteurs Jonah Hill et Chris Rock) ainsi que sa femme Kim Kardashian, s’étaient donné rendez-vous au milieu de nulle part pour une session d’écoute en plein air.

Pour tous ceux qui ne faisaient pas partie des happy few invités à cette première, l’événement était retransmis en direct sur une plateforme (WAM). Il a fallu s’armer de patience, contempler pendant presqu’une heure ce feu de camp et les paysages du Wyoming. Puis, Kanye est arrivé. A simplement sorti son iphone et a lancé la lecture de son album. Sept titres (il a donc tenu parole et n’a pas revu toute la tracklist au dernier moment) et 23 minutes de musique. Après l’arrêt de sa tournée, la dépression, ses déclarations pro-Trump et enfin sa malheureuse et déplorable interview à TMZ, Kanye West était attendu au tournant. Alors qu’a-t-il dans le ventre ce “Ye” ?

"Ye" n'a rien de révolutionnaire

Après avoir changé le visage du rap et de la pop mondiale à plusieurs reprises avec ses précédents disques, Kanye West n’est pas novateur sur ce huitième opus. En même temps, difficile de révolutionner la musique à chaque album. Si les thèmes abordés rebondissent naturellement sur une année très (trop?) riche en évènements et dérapages verbaux, l’univers musical sonne comme du déjà-entendu chez Yeezy.

“I Thought About Killing You” et ses trois parties bien distinctes, et “Ghost Town” renvoient aux constructions des titres de “My Beautiful Dark Twisted Fantasy”. “Yikes” et “All Mine” sonnent comme les expérimentations de “Yeezus” et “The Life of Pablo”. Quant à “Wouldn’t leave” et son inspiration gospel, elle fait écho à “Ultralight Bim” sur "The Life of Pablo".

Kanye reste un architecte musical étincelant

Pour autant, Yeezy n’a pas raté son disque. Il s’était lancé un défi énorme de produire cinq disques en cinq semaines : "Daytona" de Pusha T sorti le 25 mai, ce “Ye”, son album commun avec Kid Cudi promis pour le 8 juin, celui de Nas le 15 juin et celui de Teyana Taylor le 22 juin. On ignore encore comment se terminera ce marathon, mais les deux premières sorties viennent rappeler une chose : quand il s’agit de penser un titre, de le construire, Kanye sait définitivement y faire. En une semaine, il a produit deux disques diamétralement opposés. Le sombre et rugueux “Daytona” et le classieux “Ye”.

Sur ce disque, les productions et les arrangements rappellent la plus belle pièce de sa collection, “My Beautiful Dark Twisted Fantasy”. Il y fait cohabiter en harmonie des sons qui n’ont rien à voir ensemble. On entend ce qui semble être un orgue au début de “All Mine” puis des bruits mécaniques lors du deuxième couplet, des cris sur “I Thought About Killing You”, un hurlement à la fin de “Yikes”, mais aussi de fines notes de piano sur “Violent Crimes” et “No Mistakes” et même des sons de jeu vidéo sur “Ghost Town”. Ambianceur au début du disque, notamment avec “Yikes” qui fait bouger la tête, Yeezy devient plus touchant au fil des minutes.

Les inspirations gospel qui infusaient “The Life of Pablo”, son précédent disque, ressurgissent. Il sample le Reverend W.A. Donaldson sur “Wouldn’t Leave”, retrouve John Legend et sa voix chaude en introduction de “Ghost Town”. Il fait le grand écart sur “No Mistakes” en utilisant un sample du titre soul du “Children Get Together” de The Edwin Hawkins Singers qu'il associe à un gimmick du rappeur Slick Rick. Et si le début du disque donne envie de bouger, la fin, à l’image de “Ghost Town” et de “Violent Crimes”, suscite émotions et frissons.

Kanye offre un maelström musical. Beaucoup s’y perdraient, noyés par des influences aussi éparses. Pas lui. En chef d’orchestre, il marrie samples hip-hop et soul en n’oubliant pas d’expérimenter. Avec “Ye”, il prend à rebours toute l’ambiance qui règne dans le hip-hop en 2018 et laisse un disque sans tube évident qui ne ressemble à rien d’autre qu’à un disque de Kanye.
 

Un narcissique prêt à laisser briller les autres

Kanye West n’est plus à un paradoxe près, à l’image de son savoureux “I hate being bi-polar. It’s awesome” ("Je déteste être bipolaire, c'est génial") inscrit sur la pochette de l’album (sans doute aussi une façon d'excuser son attitude erratique, les bipolaires alternant de façon imprévisible les phases de dépression et d'euphorie). Son égocentrisme n’est plus à prouver, mais quand il s’agit de musique, il sait aussi jouer collectif. Il l’avait largement prouvé avec “My Beautiful Dark Twisted Fantasy” où il laissait la lumière à ses invités (Nicki Minaj sur “Monster”, Rick Ross sur “Devil in The New Dress”...), il le confirme avec ce disque.

Ce ne sont souvent que de petites touches et il faut parfois tendre l’oreille pour entendre Kid Cudi, qui partage le refrain de “No Mistakes” avec Charlie Wilson, ou reconnaître Jeremih et Ty Dolla $ign sur “Wouldn’t Leave”. Mais l’ouverture de “All Mine” réalisée par Valee, nouvelle signature du label de Kanye G.O.O.D. Music, et Ty Dollar  $ign, est symbolique de l’espace que peut laisser Kanye aux autres.

En évoquant son label, impossible de ne pas se pencher sur “Ghost Town”. Les compères John Legend et Kid Cudi accompagnent Ye et en fin de titre, les trois hommes s’effacent pour la nouvelle venue, 070 Shake, elle aussi signée sur le label, qui conclut en beauté la plus grande réussite de cet album. Un titre qui présage du meilleur pour l’album commun avec Kid Cudi attendu vendredi 8 juin.

Un album urgent, reflet de ses tourments actuels

La conception d’un album de Kanye West doit valoir le détour. L’aspect camp retranché, où les cerveaux les plus créatifs viennent concevoir un disque, intrigue. Mais plus encore que ces sessions de travail, c’est la faculté qu’il a de tout renverser pour repartir de zéro dans une nouvelle direction qui fascine. Ce processus n’est pas nouveau pour lui. Aux dernières nouvelles, "Ye" aurait aussi connu un changement de dernière minute, suite à son interview tristement célèbre sur TMZ. Après cet épisode, Kanye aurait décidé de tout changer comme il l’a expliqué lors d’une interview jeudi dernier. "J'ai fait fait un album complètement nouveau. Avec ce que l'univers me donnait, je voulais quelque chose qui corresponde à cette énergie”, a-t-il assuré.

Face au déluge de réactions et de critiques, Kanye s’est peut-être rendu compte qu’il avait dépassé les bornes. Quel album avait-il prévu au départ ? On ne le saura sans doute jamais, mais le Kanye en guerre contre la terre entière disparaît au fil des minutes. Plus de cris, plus de beuglements, juste un rappeur apaisé qui chante quasiment sur “Ghost Town” et envoie un message d’amour à ses filles sur “Violent Crimes”. Un rappeur sans doute toujours en proie à ses démons, mais capable de s’en servir pour sortir un disque dense, cohérent et émouvant. Pas révolutionnaire mais jamais lassant.

Et le public suit, malgré des appels au boycott, puisque les sept titres de “Ye” se hissaient dès lundi en tête des plateformes de streaming Spotify et Apple Music. "Tellement heureux. A tous ceux qui ne m'ont pas tourné le dos. Je suis en larmes en ce moment. Je vous aime tous", a tweeté un Kanye reconnaissant, lundi après-midi, pour saluer la nouvelle.
https://twitter.com/kanyewest/status/1003701315032059905

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