L'étoile montante du rap français Captaine Roshi, féru de manga et de mythologie, sort son premier album "Larosh"
Après une année plutôt calme, le rappeur montant Captaine Roshi revient sous les feux des projecteurs pour son premier album, "Larosh". L'heure des présentations a sonné.
"TRABENDO COMPLET (GRAND BATEAU)". Sous la légende de la photo postée le 30 avril dernier sur Instagram, en majuscules, la fierté du rappeur Captaine Roshi d'avoir rempli une salle et pas n'importe laquelle, le Trabendo, lieu phare de la musique à la Villette, à Paris. Grand bateau, entendez, il y avait du monde sur le pont, pour le capitaine.
Et chaque rappeur y va de son mot. "Congrat my brotha" glisse Guy2bezbar, "c’était terrible", commente le duo Key Largo. La veille, Captaine Roshi jouait pour la première fois son premier album Larosh devant la fosse pleine de "pirates", surnom donné à son public.
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Un navire au large du rap français
Quelques semaines avant son concert, on a rencontré Captaine Roshi au fond du bureau de son attachée de presse pour parler de ce nouveau projet. Au détour d'une conversation, le rappeur paraissait anxieux à l’idée de remplir cette salle de 700 places. "Non mais tu vas voir, les gens se motivent quelques jours avant la date du concert", prédisait sereinement sa chargée de presse. Sceptique, celui qui se présente comme l’Ulysse du rap français (le capitaine du bateau, vous suivez ?) dans son dernier album attendait de voir si son oracle avait dit vrai."Moi, je ne crois vraiment qu’en ce que je vois", glissait-il lors de notre entretien quelques minutes plus tôt.
Casquette recouverte d’une capuche et lunettes noires, le triptyque idéal pour passer incognito. Sauf que ça, le trappeur de Pigalle s’en moque. Quand on lui demande ce qu’il pense quand on parle de lui comme l’un des rappeurs les plus prometteurs de la scène française, il sourit timidement. "Ouais ça me fait très plaisir. Mais trop modeste ou pas, je sais pas, mais j'arrive pas à en avoir conscience". L’argent le lui rappelle parfois, ses amis aussi : "Les vraies stars on les voit pas hein". A ça, il réplique : "Moi, je ne me considère pas comme une star. Oui je fais de la musique qui est écoutée par beaucoup de gens, mais je tiens à garder ma vie".
Et comme pour se justifier, il énumère ses activités "lambda" : ses courses matinales au Franprix de son quartier. "T’as déjà vu un rappeur qui achète une baguette au Franprix ? Bah Roshi tu peux le voir tous les matins à 10 heures au Franprix pour acheter une baguette et des avocats !", dit-il de lui à la troisième personne. C'est vrai qu'il est rare de faire la queue derrière Booba quand on s'en va acheter son lait à la superette du coin. Comme avant, Rocky (c'est le vrai nom du rappeur...) aime se perdre dans les rayons manga de la Fnac. Aujourd’hui, c’est toujours le cas. Sauf qu’entre deux étagères, il lui arrive souvent d'être arrêté par un fan pour taper la pose le temps d’un selfie. Assis confortablement au fond d’un fauteuil, lunettes de créateur sur la table basse et enfin décapuché, le Captaine Roshi décortique son passé, sa nouvelle vie, ses envies et ses craintes. Le temps d’une conversation fleuve, ponctuée de digressions et de confessions, le commandant Larosh nous a fait monter sur son navire au large des eaux du rap français.
De Kinshasa à Paris
Dès le départ, l’adolescence du jeune artiste arrive sur le tapis. Né à Kinshasa en 1996, Captaine Roshi quitte le Congo à l’âge de 11 ans aux côtés de sa mère et de son grand frère. À leur arrivée à Paris, la famille s’installe dans une chambre d’hôtel composée d’une seule et unique pièce. "C’était pas trop la fête", confesse-t-il. Puis sa pudeur prend le dessus, alors il balance des tas de souvenirs à la volée pour étouffer sa précédente confidence. Ses après-midis à jouer aux jeux vidéo pour s’évader de cette chambre exiguë, sa mère qui laisse tourner en boucle BFM TV quand elle rentre du boulot au point de connaître les lancements du journaliste sur le bout des ongles, et les plaintes de son grand frère sur le manque d’intimité qui résonnent en "back".
Des petits accidents, il en a eu aussi. Comme cette fois où il se retrouve amputé du doigt à cause d'une bague "accrocheuse". Et à en voir les cinq autres qui habillent ses mains, on comprend que ça ne lui a pas servi de leçon : "Je voyais mon doigt par terre, j’ai demandé à le ramasser du sol, tranquillement quoi", dit-il. La description est graphique, et le ton étrangement léger. "J’ai trop hâte de me faire poser un doigt bionique, avec une clé USB au bout pour convertir sur un ordi mes émotions en chanson". Son piercing au septum bouge sous l'effet de son rire, son attachée de presse sourit, accoutumée à l'imagination débordante de son talent.
N'est pas Orochimaru qui veut l'être
Le rappeur se dissipe, alors on dégaine la carte du manga. À l’image d’une pièce de monnaie qui lance une partie de flipper, le sujet illumine le regard de l’artiste. Et le voilà qu’il redémarre. Son débit de parole s'accélère, semblable à une bille de flipper qui s’excite sur un plateau de jeu. Alors on s’accroche pour bien tout suivre, de peur que ce tourbillon de passion nous emporte sur son passage. Aizen, Madara, Pain, les noms de personnages de manga fusent. Parce que ce qui l'intéresse particulièrement dans les mangas, c’est la construction de ces personnages méchants, souvent dotés d’une grande forme d’intelligence et d’une histoire hors du commun.
Il le concède, les références aux mangas dans le rap français sont nombreuses. "Mais moi, je suis un fan de Bleach et en réalité, il y en a pas beaucoup dans le rap qui citent ce manga. Certaines personnes ont besoin de combat, moi, j’aime quand c’est bien écrit. J’aime les mangas où on se perd pour finalement être rattrapé", se défend le gamin de Kin.
Alors quand il a fallu choisir un nom de scène, Roshi ne s’est pas éternisé sur la question et décide de s’inspirer du personnage d’Orochimaru dans Naruto. Comme lui, il paraît plus jeune qu’il n'est réellement. La main caressant sa fine barbe, il avoue éviter de la raser pour esquiver les contrôles d’identité lorsqu’il achète de l’alcool. "J’ai 26 ans, on croit que j’ai 16 ou 17 ans. C’est insultant wesh", se marre-t-il avant de poursuivre : ”Orochimaru utilise des techniques interdites et cherche toujours à en acquérir de nouvelles”. Un peu comme lui dans la musique, estime-t-il. "Sur chaque projet, je cherche toujours à apporter une touche nouvelle, une note que je n'avais pas encore expérimentée".
"Iencli de la mythologie"
Son autre passion, ce sont les récits mythologiques. Ses textes en sont d’ailleurs truffés. Dans le morceau Régiment, Roshi évoque Zeus, Poséidon ou encore Typhon. "Je kiffe les mythologies nordique, scandinave, égyptienne. Je suis fasciné par les pouvoirs des personnages ". Il nous raconte passer des heures sur YouTube "à écouter des mecs raconter la légende de Baba Yaga", une sorcière du folklore russe à la maison en pattes de poulet qu’il dit.
Ses mains s'agitent, son corps glisse sur le bord du canapé. "Tu sais comment Athéna est née ?". Pas le temps de répondre qu'il a déjà enfilé le costume de conteur pour nous partager cette légende, à la sauce Roshi. "Zeus a demandé à Métis de devenir une goutte d'eau. Elle s'est dit : allez, pourquoi pas être une goutte d'eau. Zeus ce fou, il l'a avalé. Après il avait super mal à la tête alors il appelle son fils qui lui dit : allez je vais t'ouvrir le crâne parce que t'as l'air d'avoir un peu mal. Et là, y a une fille qui sort de son cerveau avec un bouclier et un fer de lance parce que c'est la déesse de la sagesse ! Cerveau, sagesse. Moi, désolé, mais c'est du génie. Je ne suis qu'un fan, un iencli (un client, nldr) des histoires comme ça".
Cet amour pour la narration et les récits en tout genre se fait ressentir dès les premières secondes de son album. Dans son premier morceau, Nouvel arc, on reconnaît la voix légendaire du narrateur. C'est celle de Benoît Allemane, doubleur français de Morgan Freeman. L’homme - qui incarne un ancien membre de l’équipage de Captaine Roshi -, nous livre l’incipit d’un long et périlleux voyage que l’on s’apprête à découvrir en 17 titres. On fait le rapprochement avec le personnage d’Ulysse, le trappeur acquiesce avec un sourire en coin. "T'es la première à l'avoir remarqué, je suis super content". Il enchaîne : "Quand je façonnais mon album, j’avais l’Odyssée en tête. J’ai voulu reprendre la figure d’Ulysse qui cherche à rentrer à Ithaques mais qui est prisonnier de la mer".
Il faut avouer que les aventures du Captaine Roshi sur les eaux du rap français n’étaient pas de tout repos. Petit, il est biberonné aux douces sonorités de la rumba congolaise. Du côté de ses grandes sœurs, c’est plutôt rap et r'n'b américain. "En fait, j’ai mélangé les deux genres musicaux, et je me suis dit : wow c'est ça la musique, tu peux tout faire, c'est un jeu" se rappelle-t-il, le regard empreint de nostalgie.
À quatorze ans, il se met à écrire dans un coin de sa chambre d'hôtel sans se douter que ce cahier fera bientôt office de porte de sortie. Un jour, un jeune de son quartier l’entend rapper. "C’était un mec méchant, qui mâchait pas ses mots", lâche le rappeur entre deux rires. "Il m’a dit c’est drôle quand tu rappes, on dirait que tu te mets dans un état second". Le temps d’un instant on imagine l’ado timide qu’il était, encerclé par sa bande d’amis assistant à la naissance d’un rappeur de leur bastion. Ce qui marque immédiatement son entourage, c’est sa voix cassée, quasi-rauque, devenue aujourd’hui sa marque de fabrique. Plus tard, s'ajoutera son fameux "Yoho", gimmick ultra identifiable devenu un cri de guerre pour ses pirates.
"Pas comme hier"
Il évoque le rôle majeur qu’a joué son frère dans sa carrière. Encouragé par ce dernier, il publie sur Internet son premier morceau. "Laissez-le, il a trop de couilles de faire ça", rétorque à l’époque son frère aîné à ceux qui ont le courage de critiquer son "petit reuf" (petit frère pour les nom verlanphones). "Même quand j’avais pas beaucoup de vues, mon frère était trop content parce qu’il savait à quel point j’étais timide et il était fier que je passe au-dessus pour tenter ma chance".
On creuse sur son début de carrière après sa signature en label en 2019, ses difficultés face aux critiques qui vise sa diction, les efforts à fournir pour s'améliorer, ses featurings avec Dinos, Lefa, Gradur ou encore Timal. Et puis, il rembobine. "Mon grand frère, c'est un de mes premiers fans et je suis archi fier de ça". Le soir de son concert au Trabendo, il n’était d’ailleurs pas bien loin. Juste là, sur le coin de la scène, il observait avec admiration l'aisance de son petit frère à motiver les bousculades des amateurs de pogo. Dans son regard, on comprend alors que les acclamations du public sont aussi quelque part les siennes.
De la galère, trimballé de chambre en chambre, au IIe arrondissement parisien : c’est dans ce quartier cossu que le rappeur est désormais installé. "Le gamin qui a commencé sur Soundcloud n’aurait jamais imaginé avoir autant de personnes qui l’écouteraient et qui attendraient cet album", souffle Captaine Roshi. Il s’arrête un moment, hoche de la tête et reprend. "Quand j’ai un petit coup de bizarre, je réécoute mon morceau Pas comme hier. C’est ma façon de me rappeler d’où je viens, tu vois ? Genre, ne te plains pas."
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