Mathias Cassel alias Rockin' Squat d'Assassin : sept souvenirs d’un pionnier du rap français
Flambeau du rap français dit "conscient", Mathias Cassel, enfant de la balle (fils de Jean-Pierre Cassel et frère de Vincent Cassel) connu sous le surnom de Rockin' Squat, publie un livre de photos retraçant sa carrière artistique.
Mathias Cassel, alias Rockin’ Squat, frère de l’acteur Vincent Cassel, a officié durant près de trente ans dans le groupe pionnier de rap français Assassin. Un groupe politisé dans ses paroles et engagé dans ses actes, qui sous son impulsion a très vite, dès l’aube des années 90, refusé de jouer le jeu de l’industrie et des médias, se condamnant du même coup à l’underground. Ce qui n’a empêché ni son succès en toute indépendance, ni son influence, encore perceptible aujourd’hui.
Alors qu'il publie un livre de photos souvenir retraçant son parcours artistique personnel, qui a commencé par le tag avec Paris comme terrain de jeu, rencontre avec "le métaphysicien de la rime" autoproclamé. Un rappeur toujours le cœur entre deux continents : après avoir vécu entre Paris et les Etats-Unis jusqu’à la fin des années 90, c’est aujourd’hui avec le Brésil qu’il partage son temps. Un pays où il a fondé une famille, où il produit un festival culturel dans les favelas de Rio et où il a trouvé une forme d’équilibre. Il revient pour nous sur sept souvenirs de son riche parcours.
Je publie ce livre parce qu’il était important pour moi de témoigner et de raconter l’histoire des vaincus. Parce que l’histoire a été écrite par les vainqueurs pour les vaincus. Or, quand on ne collabore pas avec la machine, on est forcément du côté des vaincus.
Mathias Cassel alias Rockin'Squatà franceinfo Culture
1Je découvre le hip-hop très jeune à New York
"Mes premiers souvenirs de hip hop c’est dans les années 80 à New York, où j’habitais après le divorce de mes parents. J’ai compris que c’était un mouvement quand j’ai vu des mômes de mon âge danser sur la 42e rue notamment, qui n’était pas du tout celle que l’on connaît aujourd’hui mais un vrai coupe-gorges. Je me souviens aussi que dans le métro new-yorkais, enfant, je voyais les rames massacrées par les tagueurs et les graffeurs. Ça m’interpellait. En France on n’avait jamais vu ça. En fait, quand j’arrive à New York, cette culture existe déjà depuis une dizaine d’années. C’est une culture positive qui tranche avec la génération d’avant moi dans le quartier populaire du 18e arrondissement parisien où j’ai grandi. Cette génération victime de l’héroïne, avec ces gars qui piquaient du nez, je n’avais pas du tout envie de lui ressembler. Dans le hip-hop au contraire on était dans le sport, dans le break (la danse), dans la reconnaissance, dans le bien s’habiller. C’était une attitude."
Interview de Solo et Rockin'Squat d'Assassin à New York en 1989 (Megamix)
2Je réalise que je suis blanc
"A New York à ce moment-là, surtout, je réalise que je suis blanc. Parce que je me retrouve très vite dans des soirées hip-hop dans les quartiers noirs de New York. Au milieu des années 80, j’étais souvent le seul blanc et on me le faisait vite comprendre. Jusque-là, comme tous les enfants, j’ignorais de quelle couleur j’étais. Heureusement j’écoute les paroles de Gil Scott Heron, celles de The Last Poets, de James Brown, de Public Enemy, de BDP, des Jungle Brothers. Ils ont tous un discours très intelligent et ils me donnent confiance par rapport à ce que je vis au quotidien, en tant que blanc pas trop accepté dans les quartiers noirs, sûrement pour de bonnes raisons. Ils m’ont permis de ne pas tomber dans mes peurs ou dans un racisme primaire en réaction au racisme qu’on me faisait subir. Le hip-hop a été très vite multiracial. Il mélangeait des Portoricains, des noirs et des blancs. Quand tu t’intéressais à ce mouvement, ça cassait les stéréotypes."
3Avec le tag, je me fais une réputation
"J’ai commencé à taguer vers 1983 et j’en ai fait pendant dix ans. J’ai plein de bons souvenirs. L’idée c’était de se faire connaître, parce que personne n’en avait rien à foutre de nous. C’est avec le tag que j’ai forgé mes premières réputations dans le 18e arrondissement. Ensuite, faire quelque chose d’interdit apporte de l’adrénaline. Et puis c’était faire quelque chose que personne d’autre ne faisait en France, on passait tout de suite pour un ovni, mais des tas de gens s’y sont mis en me voyant. Après j’étais dans un crew, on le voit dans le livre. J’étais très proche de Bando et de tous les héros, de Mode 2 à Colt. Mon surnom ? Comme j’étais mineur et ne risquais rien, on m’envoyait acheter de la beuh dans les squats d’Amsterdam. On me surnommait Squat. Le nom est resté, c’était mon tag. Rockin est arrivé quand j’ai commencé à rapper parce que "rock the crowd" veut dire faire bouger la foule."
Le titre inédit "Authentik" qui accompagne la sortie du livre
4On n’écoutait pas que du rap conscient
"Je commence à rapper bien avant La Formule Secrète, cinq ans avant au moins. Comme je suis français je tente la rime française pour faire swinguer ma langue maternelle. Je ne savais pas qu’il y avait des rappeurs français. Je l’apprends vers 13-14 ans alors que je suis en vacances à Nice dans ma famille. C’est Grand Jack, des Black Panthers de Paname, qui me dit "tu fais la même chose que des potes à moi à Paris". Il parlait de Johnny Go et Destroy Man (considérés comme les pionniers du rap français ndlr). La Formule Secrète on l’a fait pour la compilation Rapattitude (1990). Mais j’ai fait beaucoup de choses avant. Si mes textes sont engagés c’est parce que quand le rap a commencé à être médiatisé en France j’ai fait ce choix artistique. En réalité, mon hip hop a toujours été entre Public Enemy et 2 Live Crew. Aux Etats-Unis on écoutait de tout, des Ghetto Boys à A Tribe Called Quest. Il n’était pas question de se mettre dans des cases, de décréter qu’on écoutait que du rap conscient. J’écoutais autant de la house que du R&B, du rap que du reggae. La culture musicale ne s’arrête pas à un style de rap. Assassin a d’ailleurs été un des rares groupes de rap à ne pas cracher sur les rockers. Parce que pour nous le rock ce n’était pas Téléphone mais Chuck Berry, et ça venait du blues…"
5Le hip-hop a été une vraie porte d’entrée vers la culture
"J’ai choisi de représenter le rap conscient pour que le mouvement ne parte pas complètement en couilles. Je voulais inciter à la réflexion. Je rappais des choses comme " Des fois cut ta télé, change ton quotidien, rentre dans un musée ou lis un bouquin" (sur L'Odyssée suit son cours, 1995 ndlr). Je pensais, et le temps m’a donné raison, qu’il fallait une colonne vertébrale d’artistes qui ne rigolent pas avec le business et qui amènent de l’espoir et une base solide sur laquelle s’appuyer. La misère, l’exclusion, les prisons, la décolonisation de l’Afrique, l’esclavage moderne, sont des réalités. Peut-être que j’ai une sensibilité ou une soif de justice plus exacerbée que d’autres ? Mes textes m’ont aussi servi d’exutoire, m'ont permis de régler beaucoup de choses avec moi même. Comme je développais des thèmes très sérieux qui demandaient des recherches pour ne pas dire n’importe quoi, ça m’a permis de me cultiver. Le hip-hop a été une vraie porte d’entrée vers la culture pour moi. Quand j’ai sorti L’Ecologie : sauvons la planète ! (1993), personne, même dans mon entourage, n’a compris. Si je l’ai fait c’est parce que j’en avais marre de ne voir que du béton autour de moi, j’avais besoin de nature et conscience qu’il fallait faire attention à notre Terre mère. Aujourd’hui c’est un thème repris par tous."
6On ne joue plus le jeu et on se retrouve exclus du succès
"A partir de 1992, je décide de ne plus montrer mon visage et de mettre le logo Assassin en avant à la place. Plusieurs raisons à cela. La principale c’est que ce mouvement qui nous appartenait devient soudain très médiatique. On tombe sur des médias, des maisons de disques et des tourneurs qui passent de la variété au rap français, de Sylvie Vartan à Mc Solaar, et qui ne comprennent strictement rien à ce mouvement. Le rock alternatif - les Bérus, La Mano Negra et les Négresses Vertes - qui nous a précédé, l’industrie n’a pas réussi à mettre la main dessus. Alors dès que les premiers héros du rap arrivent, on leur balance des contrats sur cinq albums avec des carottes de ouf. Nous, on est les seuls à discuter les conditions, parce qu’on est un groupe mature et averti et qu’on a discuté avec des tas d’artistes américains. On tente quand même de participer à la foire médiatique : on fait une grosse émission télé, Direct sur Antenne 2 avec Christine Ockrent. Le thème : police et jeunes de banlieues. Ça part complètement en couilles et je me casse en plein milieu de l’émission. On était un peu agressifs mais sur le fond on disait vrai. A partir de là, on ne joue plus le jeu. Mais on passe pour des casse-couilles. A côté de ça, on fait de vraies actions, on s’occupe de prisonniers politiques, on travaille pour le MIB (Mouvement Immigration Banlieues) et sur la double peine. On veut montrer que le rap n’est pas juste une nouvelle musique, qu'il s’agit à la fois d’éducation et d’entertainment : ou d’"edutainment" (formule chère au rappeur new yorkais KRS One ndlr). C’est comme ça qu’on a été oubliés, exclus du succès mainstream."
7Le Brésil m’ouvre son cœur et ses bras
"Je mets les pieds au Brésil pour la première fois lors de la tournée Touche d’Espoir en 2001. Je suis content de me retrouver dans le pays dont j’écoute la musique depuis tout petit, de Vinicius de Moraes à Joao Gilberto. Le cinéma brésilien – Pixote est un film qui m’a énormément marqué, enfant -, la nourriture brésilienne et les peuples indigènes, j’en entends parler depuis toujours à la maison. J’arrive au Brésil non pas émerveillé – j’ai trente ans et j’ai déjà écrit L'Homicide Volontaire – mais avec toute la distance et l’humilité nécessaires par rapport à une nouvelle culture. J’entre très vite dans les favelas, avec beaucoup de simplicité, d’amour et de respect. C’est pour ça je pense que le Brésil m’ouvre son cœur et ses bras. Après la tournée, 120 dates dont le Brésil était l’étape finale, je reste sur place. Pendant quatre mois, je me balade, tout seul avec un dictionnaire en poche, et j’apprends le portugais. Depuis, c’est ma vie. En 2014 j’ai lancé à Rio le festival culturel Planeta Ginga. La première édition, on l’a faite dans la Cité de Dieu, celle du film du même nom. Depuis, on change de favela chaque année. Cette année ce sera à Providencia, une favela assez difficile, du 18 au 24 novembre et en partenariat avec le photographe JR. Tout est gratuit. On propose des ateliers de musique, de sculpture, de cinéma, de photo, de théâtre, une bibliothèque de rue, des potagers médicinaux. C’est très axé sur les enfants et les adolescents pour leur donner des perspectives et leur montrer qu’il n’y a pas que la vie du crime. L’idée c’est d’amener un peu d’oxygène là où il n’y en a plus."
Le livre Rockin' Squat Chronique d'une formule annoncée (Livin'Astro/SDLB Publishing) est disponible dans certaines librairies et sur le site Livin'Astro
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