Rap et foot : une liaison qui dure depuis 20 ans
"J'ai le Ballon d'Or, le micro d'or, le Soulier d'or et des disques d'or" : en 1996, Doc Gynéco filait déjà la métaphore entre hip-hop et football dans "Passement de jambes", un des morceaux fondateurs de l'histoire d'amour toujours plus vivace entre les deux disciplines, deux décennies plus tard.
"Les passerelles entre foot et rap sont naturelles. C'est le même public, c'est la même +vibe+", explique à l'AFP Olivier Cachin, critique musical et spécialiste de rap. "C'est le milieu urbain en fait ! La plupart des joueurs de foot sont des gens qui ont grandi dans des quartiers. Nous les rappeurs, on a tous voulu être des footballeurs donc ça se rejoint facilement", confirme à l'AFP le rappeur Gradur.
"Dès que je suis dans une ville (en tournée) d'un ami qui est footballeur, je lui dis: +je fais un concert ce soir, si tu veux passer t'es le bienvenu+. Pareil pour lui, dès qu'il me voit dans sa ville: +tiens, il y a un match ce soir, viens je t'invite+", raconte MHD à l'AFP.
Virtuosité, punchlines et beau geste
Certains ont même droit à un morceau à leur nom comme le milieu de terrain Sofiane Feghouli dans le dernier album du rappeur Kaaris "Dozo". "C'est un honneur! Je ne m'y attendais pas. Cela m'a fait très plaisir", témoigne le joueur de Galatasaray auprès de l'AFP. "C'est quelqu'un du même département que moi, j'ai grandi à Saint-Ouen, lui à Sevran. Il m'avait envoyé un message pour me prévenir. J'étais vraiment très content!".Des origines sociales souvent proches, une musique générationnelle, mais aussi un goût partagé pour la virtuosité. "Pour le beau geste dans le foot et le bon mot dans le rap", souligne Jesse Adang, réalisateur du documentaire "Ballon sur bitume", consacré au "street-football" qui rassemble rappeurs et footballeurs dans leurs quartiers d'enfance en banlieue parisienne. "Les gens, ils écoutent un mec +rapper+, ils entendent une belle phrase, ils vont devenir fous. C'est pareil pour un mec qui est sur le terrain et fait un beau geste technique", insiste-t-il.
Le sociologue Cyril Nazareth a sillonné les terrains de Seine-Saint-Denis pendant quatre ans pour des travaux consacrés à la socialisation des jeunes via le football. Les références au rap étaient régulières chez les joueurs de 13 à 19 ans qu'il interrogeait: "Ce sont des valeurs de réussite auxquelles ils s'identifiaient, sachant que dans leurs quartiers, il y a souvent des petits producteurs de son, des studios qui sont accessibles."
Sponsors et intérêts "gagnant-gagnant"
La culture du duel, "de la virilité" de l'opposition entre deux styles de joueurs ou de rappeurs, fait partie intégrante des deux disciplines. "Les clashes, les battles, les punchlines, c'est le parallèle symbolique qu'on peut faire", analyse-t-il. Les proximités entre rap et foot suscitent d'ailleurs bien souvent des critiques, du cliché sur la culture "racaille" ou "bling-bling" aux reproches sur l'individualisme à tout crin, symbolisé par le fameux casque porté sur les oreilles avant d'entrer sur la pelouse.Mais Cyril Nazareth se souvient que les "figures d'ascension sociale les plus valorisées" sont des joueurs comme "N'Golo Kanté et Riyad Mahrez, parce qu'ils partaient de très bas et ont réussi à la sueur de leurs fronts". Pour les rappeurs et les footballeurs professionnels, la mise en scène de leurs amitiés est aussi une affaire d'intérêts bien compris, d'un calcul "gagnant-gagnant" à l'heure des réseaux sociaux.
"Le sportif, il va dire je porte les marques de mecs de rue et le rappeur va dire, regardez les footeux, ils portent mes sapes...", atteste Jesse Adang. De Benzema aux joueurs du PSG, plusieurs stars du foot se montrent en Unkut, la marque de vêtements lancée par Booba. Et en L1, Montpellier a même un temps été sponsorisé par Wati B... un label de rap !
La rivalité PSG-OM se joue aussi sur le terrain du rap
Si Manchester est assurément la ville du rock anglais, Paris et Marseille se disputent l'hégémonie du rap français, comme un écho à la rivalité PSG-OM. Une lutte moins fiévreuse que sur les terrains de foot, à base de "punchlines" et "chambrages" derrière les micros. "Paname, c'est la Champions League" chante MHD. Vrai aussi dans le hip-hop ?
De NTM à Booba, en passant donc par la nouvelle vague MHD, Niska ou Sofiane, la région parisienne est bien représentée dans le paysage du rap hexagonal. Mais si l'on se réfère aux chiffres de ventes d'albums ou d'écoutes sur les plateformes de streaming, ce sont bien les Marseillais Soprano et Jul qui dominent largement.
Comme un miroir inversé de la domination sportive du PSG dans les "clasico" contre l'OM depuis 2011 et l'arrivée des richissimes propriétaires qataris? Le dernier volet de la saga n'a pas échappé à la règle, avec un 3-0 infligé par les Parisiens avant un match-revanche programmé mercredi en Coupe de France.
Comme pour le foot, la rivalité entre les deux scènes hip-hop, les plus prolifiques de France, reste d'actualité. Le rappeur Vald, originaire de la banlieue parisienne, a ainsi rallumé les braises en profitant de sa présence dans un festival organisé dans la cité phocéenne pour poser avec le maillot du PSG dans le stade Vélodrome. Sacrilège absolu dénoncé même par Arema, le gestionnaire du stade ! Mais là aussi, comme dans le foot, on est loin aujourd'hui des ambiances incendiaires des années 1990.
"Aujourd'hui tout le monde est pratiquement pote avec tout le monde"
"C'est fini tout ça. C'était peut-être vrai à l'époque mais depuis que je suis arrivé dans la musique, je n'ai pas vraiment vu ça. On a su ramener un état d'esprit de partage, qui fait qu'aujourd'hui tout le monde est pratiquement pote avec tout le monde, il y a plus de connexion facile!", a expliqué à l'AFP le rappeur parisien Gradur samedi, en marge du tournoi de foot urbain Tango League.
Tous les artistes interrogés l'assurent, c'est davantage le chambrage qui prime entre eux que la rivalité sur le terrain jadis, "montée avec Canal +", le diffuseur historique du championnat de France et ancien propriétaire du PSG. "Pour nous cette rivalité n'a jamais dépassé le cadre de la rigolade", confirme à l'AFP Akhenaton, l'un des membres du mythique groupe marseillais IAM. On a de bons amis qui sont fans du PSG. On a créé un groupe sur les réseaux sociaux, et avec eux c'est la +battle+. Même avec leur équipe de monstres, en +battle+ on arrive à leur mettre la misère. On a regardé la +débranlada+ la saison passée (6-1 à Barcelone, ndlr), on a vu des morts-vivants, après (rires)".
"Sur Snapchat, on va s'appeler, on s'envoyer des messages par exemple avec Alonzo (rappeur marseillais, ndlr). On va se dire +Si l'OM gagne, ceci, cela...+", se marre encore Gradur, qui avait assisté à la terrible "remontada" barcelonaise dans les tribunes du Camp Nou en compagnie du parisien MHD.
Dédicaces et 'featuring' Reste que les rappeurs, forts d'une relation presque aussi privilégiée que les joueurs avec les fans du PSG et de l'OM sur les réseaux sociaux, jouent à fond le rôle d'ambassadeur de leur ville en portant souvent la tunique de leur équipe en concert ou dans leurs clips. Sans parler des dédicaces réciproques.
Pour célébrer l'arrivée de la superstar brésilienne Neymar au PSG, le rappeur Niska n'a pas hésité à "remixer" son célèbre "Matuidi Charo" en "Neymar Charo", tandis que le milieu Rémy Cabella avait célébré un but avec l'OM en mimant le signe des doigts dessinant les trois lettres de Jul, le rappeur phocéen.
Même le Brésilien "Brandao", pourtant pas le joueur le plus légendaire du club olympien, a eu droit à sa chanson ! Les sons des rappeurs, très prisés des joueurs avant un match, ne se limitent pas au vestiaire. A Marseille, le Vélodrome peut se transformer en scène artistique de premier plan à l'image du clip du "Halla halla" de Soprano tourné en 2007 avec l'accord complice du président de l'époque Pape Diouf.
La connexion est telle que certains poussent même la chansonnette comme l'ancien marseillais Benjamin Mendy et son "mercééé" sur le morceau "Qu'est-ce qui se passe ?" de Jul. Faut-il croire que même au foot, la musique adoucit les moeurs? "Chacun a son style", confie le rappeur marseillais à propos de la différence entre les deux scènes. "Mais on parle tous à peu près de la même chose".
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