Archives du groupe punk Bérurier Noir à la BnF : focus sur quelques détails passionnants repérés à l’exposition

Courte, mais riche, l'exposition d'une partie des archives de Fanxoa et mastO de Bérurier Noir, à voir à la BnF jusqu'au 28 avril, fourmille de détails. En voici quelques-uns, augmentés de commentaires des intéressés et de la co-curatrice avec qui nous avons parcouru l'expo.
Article rédigé par Laure Narlian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 12min
Un mur d'affiches de concerts, de flyers et de photos, à l'exposition du fonds d’archives de Fanxoa et mastO de Bérurier Noir à la Bibliothèque nationale de France (BnF), le 26 février 2024. (LAURE NARLIAN / FRANCEINFO CULTURE)

Il y a mille façons d’explorer et d’interroger des archives. Pour l’exposition du fonds d’archives du groupe Bérurier Noir, déposé à la Bibliothèque nationale de France (BnF) par Fanxoa (chanteur, auteur, compositeur et graphiste) et mastO (saxophoniste et photographe), les curateurs (Benoît Cailmail, adjoint au directeur du département de la musique de la BnF, et Emilie Kaftan, chargée de collections au département de la musique de la BnF) ont voulu raconter plusieurs histoires en parallèle. Celle de deux trajectoires personnelles (Fanxoa et mastO), et celle d’une aventure collective, avec la mise en place d’un réseau de rock alternatif sur le grand principe cher aux punks du DIY (Do It Yourself).

Cette exposition, à voir jusqu’au 28 avril 2024 à la BnF, nous plonge donc à bord de la fabrique d’un groupe alternatif des années 1980. Elle débute dès 1977, six ans avant la constitution de Bérurier Noir, dans la chambre d’adolescent de François Guillemot, dont on suit la formation des idées, qui débute avec le nihilisme punk, assez bref, puis évolue vers un humanisme libertaire et solidaire (anti-racisme, anti-fascisme, conditions carcérales, répression policière, asiles psychiatriques, etc) et s'épanouit dans l'engagement. Avec une ouverture sur le monde et un goût marqué pour l’Asie (cinéma asiatique, karaté etc) – Fanxoa est d’ailleurs aujourd’hui historien spécialiste du Viêt Nam contemporain et ingénieur de recherche au CNRS.

Indépendant, le groupe faisait tout lui-même

Il n’y a là qu’un dixième des documents, objets, dessins, photos, affiches et musique que les deux amis ont remis il y a deux ans et demi à la BnF – un ensemble en cours de numérisation qui sera bientôt consultable par tout un chacun sur Gallica, la bibliothèque numérique de la BnF. Mais l’exposition est riche de détails qu’il faut prendre le temps d’examiner. Car Fanxoa a tout gardé et soigneusement conservé. Surtout, en tant que groupe totalement indépendant évoluant hors-circuit, le collectif Bérurier Noir faisait tout lui-même, "d’abord par nécessité, puis par conviction", souligne Emilie Kaftan. Résultat : on a ici "toute la chaîne de production", de la composition des morceaux au graphisme et aux photos (pochettes, flyers, affiches), du pressage des disques à la distribution, de l’auto-promotion à l’organisation des concerts, de l’élaboration des contrats jusqu’au service d’ordre et même à l’organe de presse (Mouv’ment d’la jeunesse, qui tenait lieu de réseau social).

Sur les murs de l'exposition se déploie tout l’univers visuel de Bérurier Noir. Un univers d’abord très noir, qui prend de la couleur et une théâtralité plus souriante avec le temps, reflet de leurs concerts enflammés et galvanisants. Dans les vitrines, on trouve bien sûr Dédé, la fameuse boîte à rythmes du groupe – en fait Mémé, précise mastO, car c’était la deuxième. Une des feuilles d’agenda de Fanxoa datée de 1986 nous montre un garçon hyperactif jonglant entre son boulot au BHV, ses cours d’arts martiaux, les répétitions du groupe, les rendez-vous avec leur label Bondage, les concerts et les tournages (clip et émission télévisée Les Enfants du Rock). Un des contrats pour leurs concerts, tapé à la machine à écrire, indique que sera interdit d’entrée "tout porteur d’insigne fasciste ou de nature raciste ou tendancieuse", et révèle notamment que le groupe pouvait être hébergé à l’hôtel mais aussi dans des gîtes ruraux ou chez l’habitant.

L’expo ne donne pas à entendre en revanche la musique versée à ce fonds : "des bandes masters, des cassettes de répétitions, des tests pressings et toutes les cassettes audio du mouvement alternatif", nous précise Fanxoa – toutes choses qu’il sera possible d’écouter sur des postes dédiés en salle de lecture de la BnF lorsqu’elles auront été numérisées. À la suite de Bérurier Noir, premier groupe punk à entrer à la BnF, deux autres figures du punk français, Kent de Starshooter et Pat Kebra d’Oberkampf, ont remis leurs archives à l'institution publique. Au-delà, cette exposition et ces archives pourraient en inspirer d’autres à s’autonomiser et à renverser la table de l’industrie musicale. En 1988, comme on le voit à l’expo, les Bérus disaient : "Nous sommes d’accord pour que les gens se servent de notre expérience, mais surtout, qu’ils se disent : pourquoi pas nous ?"

Le pantin punk de Fanxoa

L’exposition débute par les prémices de Bérurier Noir, "à l’arrivée du punk en France vue à travers le regard de Fanxoa et mastO, et notamment avec une plongée dans la chambre de François Guillemot", explique Emilie Kaftan. "Relique de ses premières années punk (1977-1979), cette ancienne figurine pour enfant personnalisée par François Guillemot était suspendue à l’entrée de sa chambre d’adolescent", nous apprend le cartel à l’exposition. "Elle détourne des signes religieux, militaires et même fascistes pour mieux combattre les idées auxquelles ils sont associés."

Le pantin punk de François Guillemot qui était suspendu à l'entrée de sa chambre d'adolescent vers 1977-1979, vu à l'exposition du fonds d'archives Bérurier Noir à la BnF. (LAURE NARLIAN / FRANCEINFO CULTURE)

Chaînes, épingles à nourrice, badges : tous les attributs du look de cette première période sont présents. Y compris l'étonnante croix gammée, qui contraste avec l'engagement anti-fasciste du futur Bérurier Noir. "C’était trash, c’était l’accessoire de provocation obligatoire de l’époque", nous explique Fanxoa, qui a vite abandonné ce symbole. "Ça n’a pas duré. [Le groupe] Clash a ensuite apporté l’élément politique, positif et humaniste que n’avait pas au départ le nihilisme punk." "C’est aussi une vertu et une caractéristique des punks d’être un miroir social", ajoute mastO. "Le keupon, s’il arbore des signes dégueulasses, ce n’est pas ce qu’il pense mais un miroir qu’il tend aux autres pour leur montrer ce qu’ils sont".

La pub pour Starshooter

"Babas, attention, cette page est radioactive", proclame cette publicité pour la sortie du 45T Pin-up Blonde / Quelle crise baby du goupe lyonnais Starshooter, qui se trouvait dans le magazine Rock & Folk en 1978, une des nombreuses coupures de presse conservées par Fanxoa et versée à ce fonds. Cette publicité, "c’est un petit clin d’œil qui montre l’état d’esprit du punk par rapport aux générations précédentes, comme les babas", s’amuse Emilie Kaftan.

Publicité pour la sortie d'un 45T du groupe Starshooter détaché du numéro 133 de la revue Rock & Folk de 1978, exposé à la BnF. (LAURE NARLIAN / FRANCEINFO CULTURE)

Starshooter est d’ailleurs le premier groupe qu’a vu en concert Fanxoa à la fête des Jeunesses communistes en 1978, comme en témoigne une liste manuscrite sur une feuille de classeur d'écolier des concerts auxquels il avait assisté. La liste mentionne ensuite les Ramones au Bataclan, Blondie, Clash, les Damned, Public Image Limited, Siouxsie and the Banshees au Palace, puis les Buzzcocks et X Ray Spex…

L'autoportrait de mastO aux pois rouges

C’est un autoportrait de mastO réalisé en 1981 dans lequel les pois rouges dessinés sur son crâne rasé et son T-shirt répondent aux boutons rouges qui bourgeonnent sur sa joue adolescente. Une belle trace de l’humour des Bérurier Noir. "J’aime cette photo parce qu’elle montre le mal-être de la jeunesse à cette époque-là, qui en se faisant remarquer essaye en même temps de se cacher. Parce qu’en remarquant sa coiffure, on voit moins son visage », analyse Emilie Kaftan.

MastO le 26 février 2024, devant son autoportrait de 1981, à l'exposition des archives du fonds Bérurier Noir à la BnF. (LAURE NARLIAN / FRANCEINFO CULTURE)

"Oh mais Fanfan aussi avait des boutons, hein ! Mais ils étaient plus répartis", taquine mastO comme un gamin. "L’humour Béru, il est toujours un peu décalé", note Fanxoa. "Sans humour, sans ironie, sans détournement, on n’aurait pas tenu."

La lettre de démission d’Olaf des Béruriers

Avant Bérurier Noir, il y avait Béruriers. Un groupe à géométrie variable né en 1980, constitué fin 1982 de François (chant), Olaf (guitare), Loran (guitare) et d’une boîte à rythmes. Mais en décembre 1982, Olaf annonce son départ du groupe dans une lettre de démission énervée que l’on voit dans une des premières vitrines. Sa colère froide, qu’on peine pourtant à prendre au sérieux avec le recul, vaut le détour. "Etant un loser à part entière, je ne supporte pas qu’un de mes groupes puisse avoir un quelconque succès", commence-t-il. "Je ne supporte pas les concerts dans une ambiance détendue. (…) Je me refuse à être dans un groupe dont on parle à la radio. (…) Je dénonce les chemins artistico-avant-gardistes que les Bérus expérimentaient."  François et Loran décident alors de faire le deuil des Béruriers avec un concert d’adieu au squat artistique de l’usine Pali-Kao le 19 février 1983. Ce sera la date de naissance de Bérurier Noir.

La malle de mastO et les masques de scène

Ah, les fameuses malles de scène des Bérus ! La BnF en abrite désormais deux. Celle de mastO est là. Débordante de trésors scéniques, cagoules, casques, capes ou peignoirs, jouxtant deux belles vitrines de masques divers et de nez rouge, groin, bec ou long pif qui servaient tout autant à incarner des personnages qu’à "développer un imaginaire".

La malle d'attirail de scène de mastO à l'exposition du fonds d'archives de Bérurier Noir à la BnF, le 26 février 2024. (LAURE NARLIAN / FRANCEINFO CULTURE)

"En principe, on avait des tenues et des accessoires pour chaque morceau. Mais en réalité, c’était un gros bordel", se souvient mastO. "On piochait au hasard et on ne se retrouvait pas toujours avec le bon truc. En revanche, avec François, tout était bien organisé." (rires). "Oui, avec moi, tout était empilé par ordre de passage", confirme Fanxoa, "le peignoir devait venir à un moment donné et pas à un autre. Parfois, j’hallucinais d'ailleurs, parce qu’ils faisaient n’importe quoi." "On faisait des blagues", complète mastO. "Il nous disait : Mais non, tu ne peux pas mettre ton groin de cochon sur [la chanson] Ibrahim, enfin ! Pas avec ton foulard palestinien ! " (rires).

La description de chaque membre de la raya Bérurier Noir par mastO

MastO reconnaît bien son écriture mais il n’a aucun souvenir d’avoir croqué ces mini-portraits par écrit sur le bout de papier froissé qui figure dans une vitrine à l’exposition. Sans doute un de ces souvenirs précieusement conservés par le collectionneur Fanxoa.

Photomatons des membres du groupe Bérurier Noir ayant servi à la composition de la pochette de l’album "Abracadaboum !" sorti en 1987. Fonds / Collection Heuer, Tomas (a.k.a mastO) (ELIE LUDWIG / BNF)

Selon le cartel, cette liste aurait été écrite pour le livre Conte cruel de la jeunesse d'Erwan Marcil sur Bérurier Noir. Ne passez pas à côté, elle est savoureuse. Fanfan (alias Fanxoa) y est décrit comme "chef et beau", Loran comme "engagé et généreux", Titi (la petite) comme "bagarreuse sentimentale". Elno est "l’incarnation de la grâce", Marsu "commissaire politique, gentleman", Laul "dessinateur, clown, acrobate nihiliste" et Miki "singe jaune, guerrier silencieux et mangeur d’ail."

Exposition "Dans les archives de Fanxoa et mastO de Bérurier Noir"
Du 27 février au 28 avril 2024 à
la BnF, site François Mitterrand, Galerie des donateurs
Entrée libre, fermé le lundi, ouvert de 10h à 19h tous les autres jours, et de 13h à 19h le dimanche.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.