Christian Vander de Magma : "Avec Zëss l'oeuvre esquissée il y a 40 ans prend forme enfin"
"Zëss", composé en 1977 n'avait jamais été enregistré. Le beau cadeau de Christian Vander pour les 50 ans de Magma. Interview.
1969-2019 : Un demi-siècle d'existence pour Magma, le plus ancien groupe français encore en activité et à la musique inclassable, aux frontières du jazz, du rock progressif et de la musique contemporaine. Son leader et compositeur Christian Vander est retourné en studio pour graver Zëss, morceau composé en 1977, et joué en live dès 1979 et dans les années 80. Toujours avec cette passion et cet esprit habité par la musique, notamment celle de Coltrane, il nous raconte la génèse et la réadaptation de cette œuvre fleuve, sous-titrée "Le jour du néant" , qui sort le 28 juin. Dans la plus pure tradition Magma, une expérience musicale et sensorielle unique, à vivre pleinement, en se laissant transporter. Une posture de lâcher-prise que le compositeur-batteur-chanteur a adopté depuis toujours.
France info culture : Comment définir la musique de Magma pour un public néophyte ?
Christian Vander : Je suis un peu medium de ma musique, je laisse venir. J’ai l’esprit suffisamment dégagé pour laisser venir la musique qui me semble nouvelle. Je compose au travers d’essais au piano, ou de choses comme ça, qui en général ne vont pas plus loin. Mes états d’âme n’entrent pas en ligne de compte dans les compositions qui viennent quand elles doivent venir, je suppose, ça je ne me l’explique pas très bien.
Vous avez dit que vous ne cherchiez surtout pas à intellectualiser la musique, à rester dans le domaine de la sensation, du ressenti. Vous êtes toujours dans cette démarche ?
Absolument. Et encore plus maintenant. Ce morceau qu’on vient de finir d’enregistrer, ça conclut toute une phase, un passage. Et je m’intéresse d’autant plus aux musiques multidirectionnelles, à partir de sensations qu’il faut vivre, avant de proposer. C’est un travail permanent. J’essaie de progresser que ce soit en jouant la musique de Magma, ou du jazz, qui me permet de défricher, d’aller vers d'autres horizons, des univers rythmiques différents. Il y a déjà longtemps, j’avais dit que je travaillerais sur des musiques multidirectionnelles, et j’ai lu beaucoup plus tard que John Coltrane avait répondu à un journaliste qui lui demandait comment il situait sa musique : "c’est une musique multidirectionnelle". Quand j’ai lu ça, je me suis dit, je suis sur la bonne voie. Bon lui, il avait trouvé ! (rires)
C’est la quête de l’émotion ultime ?
En tout cas ça doit passer par là. Oui bien sûr. Mais ça se travaille en permanence. Que ce soit en marchant, en saisissant un objet… Garder cette approche du toucher sur toutes les choses simples qu’on fait au quotidien.
Ça fait quel effet d’avoir un demi-siècle d’existence musicale ?
Je fonctionne au jour le jour. Je n’y pense pas. Mon seul souhait est de pouvoir continuer et garder l’inspiration.
Ce morceau Zëss date des années 70. Une première représentation à Bourges en 79, puis joué à plusieurs reprises dans les années 80. Pourquoi avoir choisi de l’enregistrer en studio maintenant ? Les 50 ans, ça a joué ?
Pas du tout. L’année dernière, Stella (Vander, chanteuse du groupe – NDLR) a proposé qu’on l’enregistre, et au départ je disais non. Et j’ai trouvé la réponse à ce non. Je me suis dit : "Zëss, le jour du néant", c’est peut-être ton dernier morceau. Forcément après le néant, il n’y avait plus rien à proposer. Et heureusement il m’est venu une idée, c’est d’imaginer que ce n’était qu’un songe, une vision de la fin des temps. Dans tous les morceaux que j’ai composé, il y avait toujours une ouverture. Là je ne pouvais pas rester sur cette fin sans issue, alors que dans le même temps j’avais déjà en tête de nouvelles musiques.
C’était l’occasion de terminer un cycle pour en démarrer un nouveau ?
En effet. De toute manière je ne pouvais pas laisser Zëss en suspens. Il me manquait le final. Quand j’ai composé le morceau en 1977, j’avais écrit tout le discours d’introduction en français, et pour le maitre des sons (un des personnages de l’œuvre – NDLR) j’avais une idée que j’ai noté sur une enveloppe, car je n’avais pas mon cahier habituel. Et j’ai égaré l’enveloppe ! Donc je savais qu’il me manquait le maitre des sons. Et au cours de 2018, il m’est arrivé exactement la même chose. L’idée du maitre des sons m’est revenue, et je n’avais toujours rien pour écrire, sauf une petite enveloppe… Quelqu’un m’a dit "c’est un message !" Et j’ai pu finaliser le texte intégral et enfin le final de Zëss. Et cette fois l’enveloppe est en lieu sûr ! (rires)
Ce final, il donne un peu l’impression que quelque chose redémarre derrière…
Il m’est venu très très vite, un peu comme s’il m’attendait. Je n’ai pas cherché à le faire. On a pris un tempo plus lent que les versions live qui étaient plus torturées, plus violentes. Cette version "medium" nous permet de mieux travailler sur les mélodies, de les faire se résonner.
A partir du moment où la musique est expressive, on peut ressentir sans forcément dire des sons. Pour le kobaïen, les mots venaient naturellement avec la musique, parallèlement aux mélodies. Je ne cherchais pas.
Christian Vander
Les chœurs font penser à du chant sacré. Vous revendiquez une dimension mystique dans votre œuvre ?
Certains passages, certains morceaux oui. D’autres peut-être moins. Un morceau comme Kohntarkosz évoque ça directement. Pour Zëss, il y a une magie qui s’effectue, quelque chose de très spirituel. Je n’explique pas pourquoi. Ce n’était pas prémédité, une fois de plus. Quand je joue le morceau, je pose mes mains sur le piano, et je suis quelqu’un d’autre directement. J’ai du mal à refréner cette espèce d’euphorie, de folie qui monte en moi.
A l'écoute de Zëss on ressent effectivement une folie jouissive avec ces envolées lyriques, ce rythme qui nous emporte, et ce final grandiose, où l'explosion laisse place à l'apaisement et la sérénité. L'orchestre Philarmonique de Prague, enregistré en une seule journée, apporte une couleur néo-classique, en élargissant le spectre musical. Une première dans la discographie de Magma, et qui éloigne légèrement des ambiances jazz-prog-rock des versions live. Une oeuvre majeure a réécouter plusieurs fois, pour s'imprégner de sa dimension spirituelle. Une expérience transcendante dont on ressort différent.
Magma - Zëss, Le jour du néant (Seventh Records) - sortie le 28 juin
Les dates de concerts, à retrouver sur le site officiel :
26 Juin : La Philarmonie - PARIS (75)
02 Juillet : Festival Les Nuits De Fourviere - LYON (69)
06 Juillet : Festival Off de Carcassonne
16 Juillet : Festival Jazz A Juan - JUAN (06)
16 Août : Motocultor Festival - SAINT NOLFF (56)
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