Dans "Very Good Bowie Trip", le journaliste Michka Assayas raconte sa conversion au génie de David Bowie
Rien de tel qu’un converti sur le tard pour défendre une idée, une cause ou un artiste. Le journaliste et écrivain Michka Assayas n’avait rien d’un dévot de David Bowie. Jusqu’à ce que France Inter lui commande pour l’été dernier une série radiophonique en neuf épisodes sur l’homme aux mille visages, dont la version livre vient de paraître aux éditions GM. Se plongeant dans les arcanes de l’œuvre de l’auteur de Let’s Dance, il a découvert à quel point les travestissements de Bowie, sa théâtralité et sa supposée superficialité cachaient des trésors de profondeur.
Pas de fascination au départ
"Pour moi, Bowie c’était des singles et des tubes. Je n’avais pas de fascination. Je lui trouvais quelque chose de guindé, de fabriqué, même si génialement fabriqué. J’avais du mal avec son côté froid et avec sa voix très théâtrale, un peu old school", nous confie-t-il. Se pencher sur sa vie et son œuvre a changé la donne. "En faisant mes recherches, j’ai découvert que derrière la multiplicité de ses avatars il y avait le besoin viscéral de combler un vide et une quête spirituelle, métaphysique. J’ai fini par comprendre qu’il y avait justement dans cette fabrication et cette distance quelque chose d’incroyablement authentique que je n’avais pas pleinement saisi.
Bowie cherche en fait à savoir qui il est en adoptant divers personnages et en s’y perdant.
Michka Assayasà franceinfo Culture
En bon converti, Michka Assayas développe dans son livre (basé sur son émission radiophonique retravaillée) une analyse fine, parfois admirative mais sans affect, et va à l’essentiel. Il porte ce faisant un regard neuf sur l'artiste, à la bonne distance, loin de celui du fan obsessionnel ou du nostalgique d'une époque. "Bowie fera de la folie qui le rongeait, ou qui du moins le guettait, un des thèmes centraux de son œuvre de musicien", écrit-il au sujet de Silly Boy Blue, l’une de ses premières chansons. Et plus loin : "Chez Bowie, toujours s’exprime cette intuition centrale que le rêve est mort, que tout se dégrade et que l’humain n’en finit plus de chuter et de s’anéantir."
Une foule de détails
Même en connaissant honorablement Bowie, on apprend une foule de détails dans ce livre, qu’il s’agisse de la signification de paroles qui nous avait échappée (Jean Genie parle davantage d’Iggy Pop que de Jean Genet et All The Young Dudes est un cri de désillusion lancé à la face de la génération hippie et non pas une célébration de la jeunesse), ou de faits jamais portés à notre attention (par exemple le fait que le mime Lindsay Kemp, dont il fut brièvement l'amant, fut le premier à lui parler d’Antonin Artaud et du théâtre de la cruauté, où ce que l’on vit sur scène déborde de la scène et met en danger l’artiste et son public).
Michka Assayas exhume également quelques déclarations éclairantes glanées dans la presse d’époque – " Je suis simplement un homme d’images. J’ai une conscience très forte des images et je vis à l’intérieur de ces images", confiait-il au NME en 1972. Et il revient par ailleurs sur quelques anecdotes captivantes. Par exemple ce voyage que Bowie effectua avec Brian Eno en Autriche en 1994 dans une clinique psychiatrique dont les patients polytraumatisés durant la Seconde Guerre mondiale étaient invités à évacuer le souvenir des sévices subis au moyen de l’expression artistique. Un patient se prenant pour un ange y inspira à Bowie la chanson I’m Deranged. Plus réjouissant, le récit de la véritable scène qui lui inspira son hit le plus universel, Heroes, ou bien encore comment le jeu de tarot loufoque de Brian Eno guida l’expérimentation musicale audacieuse du tube Boys Keep Swingin.
Mais ce qui a résolument fait basculer Michka Assayas dans le camp des convertis, c’est le côté visionnaire de David Bowie, nous dit-il. "Il y a chez lui une incroyable anticipation dans les sons. Notamment avec le post-punk. Warszawa, le sommet de l’album Low, a non seulement inspiré le premier nom de groupe des futurs Joy Division mais il leur a aussi inspiré la seconde face de leur album Closer . Là je me suis rendu compte qu’il avait compris beaucoup de choses avant tout le monde et je suis très admiratif."
C'est incroyable, il a anticipé tout ce que la musique allait devenir. Il avait des antennes.
Michka Assayasà franceinfo Culture
Innovant et prophétique
Ce qui l’a encore surpris davantage, nous confie-t-il, c’est à quel point la quête de David Bowie s’est poursuivie jusqu’à la fin, lorsque, considéré comme un dinosaure du rock qui ne surprend plus, il a continué à innover dans une ombre relative. "Son renouvellement m’a frappé et en particulier les albums peu médiatisés comme Heathen (2002) et Reality (2003) qui sont magnifiques. Ces deux-là m’ont énormément impressionné, et je trouve que le chant de Bowie y est beaucoup plus chaleureux. Intéressant aussi, Earthling (1997), qui contient I’m Afraid of Americans en duo avec Trent Reznor de Nine Inch Nails, et l’expérimental Outside (1995) qui est assez fascinant."
"Sa curiosité et sa compréhension de ce qui est nouveau dans la société ne s’arrêtent pas à la musique, loin de là. (...) Ses intuitions sont parfois étonnamment prophétiques", relève l'auteur. "Avec l’internet, la musique va devenir comme l’eau courante et l’électricité", avait-il anticipé dès 1997, avant d’être l’un des tout premiers artistes à créer son propre site, bowienet. Il y a vingt ans tout juste, Bowie analysait ainsi la société : "On ne peut plus s’appuyer sur rien. Le savoir est mort. Seule existe l’interprétation des faits qui nous submergent jour après jour." Comment mieux résumer le présent ?
Very Good Bowie Trip de Michka Assayas (GM Editions, 20 €) est sorti le 12 mai 2023
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