David Gilmour à Pompéi : la magie opère toujours même au cinéma
Un concert au cinéma
Sensation étrange que d'assister à un concert de rock au cinéma : on a envie d'applaudir entre les morceaux, de se lever et danser, de chanter les paroles des chansons, mais la salle obscure reste obstinément silencieuse. La voisine bat la mesure avec le pied tandis que le voisin ferme les yeux pour mieux s'envoler au son de la musique planante de David Gilmour. Le concert a été filmé en 4K (ultra haute définition) afin de restituer au mieux la beauté des lieux.
Le film projeté ne reprenait pas l'intégralité du concert présent sur le DVD qui sortira le 29 septembre. De même, il commençait par un mini documentaire intitulé "Retour à Pompéi" où l'on voit le groupe en répétition à Brighton, l'installation sur le site; ainsi que des extraits d'interview où David Gilmour présente ses musiciens et livre quelques ancedotes sur la prestation de Pink Floyd en 1971 dans ces mêmes arènes. Il est conscient du vrai privilège que constitue l'opportunité de jouer dans cet endroit, en public pour la première fois depuis 2000 ans (en 1971, Pink Floyd avait joué en live, mais sans public). Il évoque aussi bien sûr son ami Richard (Rick pour les intimes) Wright, claviériste, compositeur et chanteur des Floyd, disparu en 2008.
J'aime que le lieu prenne part à l'expérience de la musique
David Gilmour
A la fin de la projection, on entend certains décus de "ne pas avoir eu The Wall, alors qu'on l'attendait". Visiblement, ces spectateurs ne savaient pas que le chanteur et guitariste, même s'il reprend beaucoup de classiques de son ancien groupe, n'a jamais joué ce titre (plus exactement "Another brick in the Wall, part.2") lors de ses tournées solo. Le concert (en fait le mélange de deux concerts des 7 et juillet 2016) faisait partie de la tournée promotionnelle de l'album "Rattle that lock" sorti en 2015. La setlist mélangeait donc des morceaux de ce dernier album avec des plus anciens, sans oublier les incontournables.
Un équilibre entre les années Pink Floyd et la période solo
Le concert débute avec le très planant "5 am" où le fingerpicking du guitariste fait meveille sur sa Les Paul Goldtop. La guitare s'envole au-dessus des nappes de synthés, ça y est on est dans l'ambiance tellement reconnaissable de cette musique qui dans les années 70 était affublée du sobriquet "space opera". Puis on rentre dans le vif du sujet avec le rock de facture classique "Rattle that lock", dont le leitmotiv musical est bien connu des voyageurs français habitués des gares ferroviaires.
L'ombre de Richard Wright planait sur le concert
Après les tonnerres d'applaudissement de l'audience, Gilmour rappelle que ce morceau a été composé par Rick Wright, et que le titre suivant, composé et écrit avec sa femme Polly Samson, est en hommage à son ami disparu il y a bientôt dix ans. Il s'agit de "A Boat lies waiting", issu de "Rattle that lock" en 2015, mais dont le titre évoque inévitablement la pochette du dernier album des Floyd "The Endless River", sorti en 2014. Après une intro à la lap steel, le chanteur et ses musiciens nous livrent de magnifiques harmonies vocales, presque acapella, simplement soutenues par le piano de Chuck Leavell. A 70 ans, la voix de David Gilmour n'a rien perdu de sa superbe.
Retour au dernier album avec "In any tongue" et son clip animé en noir et blanc projeté sur l'immense écran circulaire situé derrière la scène. La période post-Waters est encore à l'honneur avec le tube "High hopes" qui bénéficie d'un solo à la guitare classique, après celui sur la lap steel. Vient ensuite un des grands moments du concert : "One of these days", seul morceau repris de la setllist des Floyd de 1971. La Rickenbaker de Guy Pratt (gendre de Richard Wright) lance le rythme hypnotique caractéristique, tandis que David Gilmour débute aux percussions sur l'intro, avant de délivrer un magnifique solo sur sa lap steel rouge.
"Shine on you crazy diamond" se retrouve amputé du deuxième solo de synthétiseur. On sait que Gilmour ne souhaite plus jouer le morceau "Echoes" depuis la disparition de Wright, en serait-il de même pour ce solo de clavier ?
Un final grandiose
L'intro cataclysmique de "Sorrow" trouve parfaitement sa place dans un lieu comme Pompéi, enseveli par le Vésuve en 79, date depuis laquelle aucune manifestation avec du public n'avait été donnée dans ces arênes. Sur "Run like hell", étonnamment pas en fin de concert, tous les musiciens jouent avec des lunettes noires, sans doute pour se prémunir du feu d'artifice en fin de morceau.
Le tic-tac familier des montres de "Time" suscite la clameur du public. Greg Phillinganes assure la partie chantée de Rick Wright, tandis que le solo de guitare revient aux origines. Et c'est le final avec l'incontournable "Comfortably numb". Si un morceau résume bien la symbiose qui a existé à une époque entre Waters et Gilmour c'est bien celui-ci. Chuck Leavell chante la partie de Roger Waters, qui a été souvent assurée par de nombreux guests au cours des tournées précédentes (Bob Geldof et Robert Wyatt en 2002, David Bowie en 2006, Benedict Cumberbatch en 2016) et même par Richard Wright sur la tournée 2006. Le refrain aérien chanté par Gilmour est repris en choeur par le public. Des lasers verts font leur apparition sur le premier solo, puis multicolores sur le deuxième. Même s'il a été entendu et réentendu maintes fois, ce morceau donne à chaque fois des frissons. Mais ça y est, le show est fini, et David Gilmour gratifie le public d'un "buonanotte, grazie mille".
Un style plus sobre qu'à l'accoutumée
Même si le concert est agrémenté d’effets visuels imposants (écran circulaire, lasers, feux d’artifice…), on sent sur le plan musical une volonté de revenir à des arrangements plus directs, avec moins d'emphase. Un son plus rock, plus brut. Une façon de revenir à un esprit plus proche du « live », loin des grandes messes que donnait le Floyd dans des stades géants. Pas de public sur les gradins, une capacité aux alentours de 3000 personnes, somme toute pas énorme, compte-tenu du lieu.
Je ne cherche pas à reproduire les morceaux exactement comme sur l'album studio. Je laisse les musiciens improviser, et comme ils jouent mieux, je joue mieux moi aussi
David Gilmour
Le line-up a changé depuis les précédentes tournées. A la seconde guitare, Phil Manzanera a laissé la place à Chester Kamen qui avait déjà joué avec Gilmour pour le Live Aid en 1985, en tant que membre du groupe de Bryan Ferry. Aux claviers, on retrouve deux pointures que sont Chuck Leavell et Greg Phillinganes. Tous les deux ont déjà joué avec de nombreuses stars du rock : Eric Clapton, Allman Brothers Band, George Harrison, Black Crowes pour le premier et Stevie Wonder, Michael Jackson, Paul McCartney et également Eric Clapton pour le second. La basse est toujours tenue par le fidèle Guy Pratt, qui se trouve être le gendre de Richard Wright. A la batterie, c'est Steve DiStanislao, déjà présent sur la tournée "On an Island" en 2006. Le Brésilien João Mello assure le saxophone et la guitare acoustique sur "In any tongue". Aux choeurs, deux femmes Lucita Jules et Louise Clare Marshall, et enfin, chose plus rare, un choriste masculin Bryan Chambers.
Pour les guitar-addicts
Depuis la réunion de Pink Floyd au Live 8 en 2005, David Gilmour a ressorti sa légendaire Stratocaster noire (la "black strat"), celle-là même qu’il joue à Pompéi en 1971. Depuis, elle a subi de nombreuses modifications (manche, micros, plaque…) mais c'est toujours la guitare la plus utilisée par le guitariste, et la seule Strato sur cette tournée (en 2006, il utilisait encore sa Stratocaster rouge de la période des années 80-90).
Une autre relique a refait surface pour cette tournée : l'Esquire de 1955, plus qu' usée par le temps. Elle apparait noptamment sur le morceau-titre du dernier album "Rattle that lock" et sur "Run like hell".
Deux lapsteels de marque Jedson (une rouge et une couleur crème) pour les parties en slide sur "The great gig in the sky", l'intro de "In any tongue" et bien sûr "One of these days".
Même s'il est surtout connu pour jouer sur Stratocaster, David Gilmour commence le concert sur une Les Paul Goldtop de 1956 avec micros P90 et vibrato Bigsby.
Enfin une Gibson acoustique pour "Wish you were here" et une guitare classique avec cordes nylon pour "High hopes" viennent compléter la panoplie de ce très grand guitariste.
Dire qu'il utilise un grand nombre d'effets est un euphémisme, en témoignent les nombreuses pédales situées derrière lui, en plus de celles sur son pédalier. Mais l'usage qu'il en fait est toujours à propos, et les sons magnifiques qu'il en tire restent avant tout la marque d'un touché hors du commun.
Le concert en plusieurs éditions le 29 septembre
Pour profiter de l'intégralité du concert (mix des deux concerts des 7 et 8 juillet 2016), les différentes éditions CD, DVD, Blu-Ray offrent de nombreux morceaux qui ne figuraient pas dans le film projeté hier soir, notamment les classiques "Money" et "Fat old sun", ou des titres du dernier album comme "Today".
Comme on peut le voir sur cette vidéo, ainsi qu'à l'affluence dans les cinémas hier soir, la musique de Pink Floyd continue de fédérer aux quatre coins du monde.
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