Duo Abélard, les pianistes françaises qui enchantent les premières parties de Rammstein
Héloïse Hervouët et Katherine Nikitine assurent 22 dates de la tournée mondiale du groupe de métal allemand avec des reprises de leurs titres au piano. Une adaptation particulièrement réussie qui trouve écho auprès du public. Rencontre avec deux musiciennes aussi douées qu'enthousiastes.
C’est une première partie inattendue mais magnifique qui illumine les stades des concerts de Rammstein avant même l’arrivée des héros du soir. Sur une petite scène loin de la grosse machinerie légendaire des Allemands, deux pianistes virtuoses ouvrent le bal. Lorsque s’égrènent les premières notes de Sonne par le duo Abélard, la rumeur se tait. Et la magie des mélodies des morceaux de l’un des plus grands groupes de métal du moment opère sur un public pourtant venu pour du gros son. Héloïse Hervouët, la brune, et Katherine Nikitine, la blonde, offrent avec fougue et brio une mise en bouche avec un show enthousiasmant. Mutter, Diamant, Früling in Paris, Zeit, Deutschland… 9 titres s’enchaînent et à défaut de Till Lindemann c’est le public qui donne de la voix. Un public qui ne boude pas son plaisir si l’on en croit les très nombreux messages et vidéos postés sur les réseaux sociaux (qu'elles gèrent elles-mêmes).
Rien ne prédestinait pourtant les deux amies à se retrouver dans des stades, acclamées à chaque concert par des dizaines de milliers de personnes qui ne les connaissaient sans doute pas quelques instants plus tôt. En tout cas dans ce milieu du métal puisqu’elles sont loin d’être novices en classique. Tombées dans la musique dès leur plus jeune âge, auréolées de distinctions et concertistes chevronnées, les jeunes femmes de 36 et 37 ans mènent chacune de brillantes carrières de solistes et enseignent en conservatoire. A Genève pour Katherine, à Monaco pour Héloïse, qui joue au sein de l’orchestre philharmonique de Monte Carlo.
Leur amitié remonte aux années 2007/2008, au conservatoire de Lyon où elles faisaient leurs études en classe de piano. A l’époque déjà, elles se produisent ensemble et leur duo fait mouche. Et puis chacune a suivi son chemin dans une région différente et elles se sont perdues de vue… Jusqu’à ce jour de 2019 où tout a basculé. Un autre duo féminin, Jatékok, officiait alors déjà en première partie de Rammstein. Pour les besoins d’un remplacement, Adélaïde Panaget et Naïri Badal contactent Katherine qu’elles connaissaient de longue date et qui les avait déjà dépannées. Celle-ci reprend alors contact avec son ancienne duettiste. La veille du concert, elles choisissent leur nom de scène, en référence à la célèbre histoire d’amour moyenâgeuse entre Héloïse et Abélard, "signe que nous mettrions tout notre cœur à l’ouvrage". "C’était un peu une évidence de jouer ensemble et on s’est retrouvées avec plaisir", raconte Katherine. "Ca marche très bien musicalement et humainement".
"On fonce et on donne tout"
Le groupe allemand est séduit et leur propose alors d’assurer la moitié des concerts à venir. C’était sans compter sur l’arrivée d’un mauvais virus... Reportée à 2021, il faudra encore attendre 2022 pour que la tournée démarre enfin. Et voilà comment Héloïse et Katherine ont mis leur vie de pianistes classiques entre parenthèses pour quelques semaines et se retrouvent à enchaîner 22 dates du Stadium tour, les 16 dernières en Europe (dont les deux concerts français à Lyon les 8 et 9 juillet) et les 6 premières aux Etats-Unis et au Canada.
"J’étais déjà un peu fan de metal et quand on m’a proposé ce remplacement j’étais folle de joie" se souvient Katherine. "On est toujours en adoration devant les compositeurs qu’on travaille comme Mozart, Beethoven mais là, ce qui est grisant et merveilleux, c’est de jouer la musique de compositeurs vivants". Héloïse a découvert à ce moment-là cet univers dans lequel elle a plongé sans retenue. "Pour le premier show à Rostock en 2019, on a eu une seconde d’intimidation devant ce stade avec 30 000 personnes devant nous. Mais on s’est dit 'allez on fonce et on donne tout' et on y est allé avec beaucoup de joie et d’excitation. C’est ce qui nous porte à chaque fois sur scène et on trouve ça extraordinaire ! Maintenant ça fait trois ans que j’écoute Rammstein et j’ai énormément d’admiration pour ce qu’ils font".
Malgré toute cette admiration, intégrer la tournée a demandé un énorme travail d’adaptation, facilité par la rigueur et la concentration nécessaires en classique. "On change complètement de dispositif par rapport à un pianiste solo, explique Héloïse. Il y a jusqu’à 300 personnes qui travaillent sur un concert, avec l’aspect sécurité, son, lumière à gérer. On a dû apprendre à jouer sur des claviers numériques qu’il faut apprivoiser".
Pour leur set list, il a aussi fallu faire des choix. "C’était difficile parce qu’on aime toutes leurs chansons", poursuit Katherine. "Mais on a choisi celles qui passaient le mieux au piano, celles où la mélodie est très présente, sur de belles harmonies, donc qui sont compatibles avec notre univers". "Et puis on a notre fantastique arrangeur Jonas Atlan, qui nous fait de sublimes arrangements des chansons", complète Héloïse. Un choix validé par le groupe, différent de celui proposé par le duo Jatekok, qui "reflète notre personnalité", soulignent-elles.
Une chaleur incroyable
On peut être reconnaissant à Rammstein d’expérimenter sans complexe ce mélange des genres (c’est un peu sa marque de fabrique d’ailleurs). Parier sur cette réinterprétation de leurs titres en première partie est un choix artistique à contre courant, culotté mais payant. Les deux pianistes sont d’ailleurs intimement convaincues que, quel que soit le style musical, l’émotion est à la base de tout, pour les musiciens comme pour les fans. "On a un grand respect pour ce public qui vient parfois de très loin", souligne Katherine. "On a une vraie responsabilité et ce n’était pas gagné d’avance".
On sait qu’on arrive face à des métalleux qui attendaient plutôt du metal en première partie. Ils sont captifs de notre piano pendant 45 minutes donc on voulait être au niveau.
Katherine Nikitine
"On a travaillé comme des folles, en collant aux structures des chansons donc les gens peuvent chanter en même temps, ça leur permet de participer et d’être avec nous. Le premier concert au Danemark a été un grand soulagement, avec un accueil du public d’une chaleur incroyable. Dès la première chanson on a vu que les gens accrochaient, ils chantaient, tapaient dans les mains. Ca nous a beaucoup rassurées !". "Ca nous porte", complète Héloïse. "Il y a énormément d’énergie et d’adrénaline qui nous traverse et les nuits ne sont pas faciles après".
Membres d’une grande famille pendant la tournée, elles appréhendent un peu la fin de l’aventure Rammstein. "On a tellement de paillettes dans les yeux qu’on peut être un peu aveuglées", s’amuse Héloïse. Chacune a déjà un programme chargé qui l’attend au retour des Etats-Unis, entre concerts pour l’une, sortie d’un disque pour l’autre et reprise des cours au conservatoire. Mais les deux jeunes femmes n’espèrent qu’une chose, continuer ensemble une route "qui donne beaucoup de sens à [leur] musique". Elles ont beaucoup d’envie et… des secrets qu’elles ne peuvent pas encore dévoiler. Le tout jeune duo Abélard nous réserve certainement plein de belles choses. Surtout tendez l’oreille !
Pour retrouver Héloïse et Katherine : Duo Abélard sur Instagram ou sur Facebook
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