Elvis Costello pactise avec The Roots sur un album lumineux
Ceux qui ont suivi Elvis Costello après 1980 savent que l'auteur de "Alison", "Pump it Up" et "(I don't want to go to) Chelsea" s'est affranchi très tôt des étiquettes punk puis new wave bien trop étroites pour lui avant de s'en aller explorer la soul ("Get Happy!" déjà en 1980) puis toutes les musiques américaines au gré de ses pérégrinations. La liste est trop longue.
Rappelons juste que ces dernières années, ses recherches l'ont encore conduit à la Nouvelle Orléans où il a collaboré avec Allen Toussaint, géniale figure du rythm 'n blues, sur l'album "The River in reverse" (2006), ainsi qu'à Nashville, déjà visité à l'époque d'"Almost Blue" (1981), pour deux récents albums, "Secret, Profane & Sugarcane" (2009) et "National Ransom" (2010).
On ne l'avait cependant jamais vu frayer avec un groupe de rap. Et en réalité on ne l'y verra pas davantage cette fois. Car The Roots, dont le rappeur en chef Black Thought est ici absent, est plus qu'un groupe de rap. C'est d'abord, et de façon incontestable, le meilleur groupe de musiciens hip-hop. Et c'est aussi, même si le terme peut paraître désuet, un orchestre hors pair. Cette formation tout terrain accompagne en effet depuis quatre ans les invités musicaux variés du talk show américain à succès The Jimmy Fallon show.
C'est d'ailleurs au Jimmy Fallon que s'est noué l'avenir de ce projet. Là qu' Elvis Costello et Questlove, batteur et éminence grise des Roots, se sont croisés, reconnus et appréciés au fil des passages (trois) de l'Anglais à l'émission. "Elvis était totalement ouvert à l'idée que nous réinterprétions à notre façon "Less Than Zero" et "(I don't want to go to) Chelsea", se souvient Questlove. Lorsque le projet d'album commun a germé, il a d'ailleurs d'abord été question de faire un disque de reprises de Costello. Mais l'entente était telle qu'ils ont rapidement opté pour des compositions nouvelles.
Un disque très soul
Le résultat est réussi. On évitera ici les superlatifs à l'emporte pièce du genre "meilleur album de Costello depuis trente ans" et autres considérations réductrices. Malgré quelques longueurs et une poignée de titres dispensables, "Wise Up Ghost" est juste un disque qui coule comme miel dans nos oreilles à l'approche de l'automne. On est ici à la fois en terrain familier et en terre inconnue. Chez le Costello de la charnière 70 et 80 (pensez "Armed Force" et "Get Happy!"), mais tapant le boeuf avec Curtis Mayfield et Isaac Hayes. Et le tout réalisé sans "deadline ni label en jeu". Libres.
La voix et le phrasé si particuliers d'Elvis Costello sont ici constamment au tout premier plan, les Roots déroulant sur mesure pour leur hôte le tapis rouge et moelleux de compositions groovy au climat chaud, plus ou moins rythmées, langoureuses ou sinueuses. Avec, pour couronner le tout, la production maniaque de Steven Mandel, collaborateur de longue date des Roots, qui ajoute une clarté surnaturelle à l'ensemble, en rendant chaque micro-détail (murmure, clochette, blip, corde) perceptible.
A écouter en priorité : le titre d'ouverture "Walk Us Uptown" aux accents presque ska, la montée jouissive et sans fin de "Refuse to be Saved", "Stick Out Your Tongue" qui revisite audacieusement "Pills and Soap" (sur "Punch The Clock" en 1983), "Wake Me Up" sur lequel la voix s'enroule merveilleusement sur le Rhodes et les cuivres, la somptueuse ballade "Tripwire", les guitares et les cordes cinématographiques de "Wise Up Ghost" et l'envoûtant et sinueux "Viceroy's Row" avec sa trompette discrète, ses choeurs et le phrasé plus équilibriste que jamais de Costello.
Vous pouvez écouter l'album "Wise Up Ghost" (Blue Note) dans son intégralité sur Soundcloud.
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