Fauve ≠ : l'interview d'adieu en 5 souvenirs
Après son ultime concert en forme de "pot de départ" au Bataclan en septembre 2015, Fauve ≠ revient pour un dernier tour de piste discographique. "150.900", qui correspond au nombre de kilomètres effectués par le collectif depuis décembre 2012, est un disque en forme de tomber de rideau final. Ce double album documente leurs trois ans quasi-ininterrompus sur la route "à rosser le bitume" et à enflammer toutes les scènes de France. Leurs classiques, de "Blizzard" et "Kané" à "Infirmière" et "Hautes Lumières", y sont entrecoupés de petits récits de la vie en tournée.
On retrouve deux membres du collectif un soir d'avril dans un petit troquet de la place Clichy. Fauve ≠ tourne la page mais ne baisse pas la garde : on n'a toujours pas le droit de livrer ne serait-ce que les prénoms de nos deux interlocuteurs. En dépit de leurs mines de conspirateurs, de résistants qui s'expriment avec passion mais en baissant la voix, ils ne mordent pas et sont même particulièrement avenants. Pour cette dernière interview en tant que Fauve, ils sont visiblement désireux de se livrer et surtout d’expliquer cette aventure hors du commun en levant tous les malentendus. Voici cinq souvenirs et une petite mise au point sur le futur de ces félins indomptables.
"Au début, tout est allé très vite. Nous avons vécu beaucoup de premières fois en un court laps de temps et ces premières fois étaient toutes très médiatisées. Cela a généré de l’inquiétude et de la peur. On était durs avec nous-mêmes, on était exigeants parce qu’on se sentait presque illégitimes, on avait peur de ne pas être à la hauteur, d’être des imposteurs. On sortait de scène insatisfaits parce que ce n’était pas parfait, on se disait qu’il fallait progresser encore, travailler davantage. Cette envie de bien faire générait du stress jusqu’à parfois prendre le pas sur le plaisir. D’autant que si on ne s’attendait pas à un tel succès, on n’était pas non plus préparés à être aussi controversés, à faire autant débat. Du coup on avait l’impression d’être jugés en permanence. Le soupçon pesait sur nous : est-ce que ce groupe est orchestré par une agence de pub ? Est ce qu’ils ont une maison de disques derrière ? etc Le pire pour nous c’était que notre sincérité soit mise en doute alors qu’on a justement monté ce projet pour être intègres et honnêtes. On avait toujours la double crainte que le truc nous échappe, qu’il cesse de nous ressembler et qu’on soit pris pour ce qu’on n’était pas. Heureusement, au bout d’un moment on a fini par comprendre que le coté bancal et la fragilité du projet contribuaient à le rendre intéressant aux yeux du public. Les gens nous aimaient justement parce que c’était imparfait."
De quoi Fauve ≠ est-il le nom ?
"Fauve c’était à la fois une béquille et une lanterne, c’était un mantra, c’était la façon dont on voulait vivre dans nos vies. Fauve pour nous c’est comme un animal de compagnie dont on aurait la garde commune, c’est comme ça qu’on le définit entre nous. C’est pour ça qu’il n’y a pas eu de problème d’ego, parce qu’on se demandait toujours qu’est ce qui était le mieux pour Fauve, de quoi cette entité avait besoin, nous étions tous à son service. D’ailleurs, nous on n'est rien. C’est Fauve qui a eu de la reconnaissance, pas nous."
"Aujourd’hui, quelqu’un qui découvre le projet Fauve peut se dire que c’est assez bien pensé : il y a un logo, une image sans visage, une esthétique forte. Mais en fait, tout ça s’est décidé au fur et à mesure. Lorsqu’on a sorti notre premier morceau, "Kané", c’était juste pour nos potes. On s’est dit, faisons un petit clip. On a pris des images de vacances, on les a montées, ça ne faisait pas partie d’un plan. On n’avait qu’une chanson en stock, rien d’autre. Et là se pose la question de se mettre ou non on scène. Comme le texte était très impudique on pensait qu’il mettrait les gens mal à l’aise. On a été unanimes : il n’était pas souhaitable de se mettre en avant, y compris pour préserver nos proches.
Par la suite on s’est toujours demandé ce qui était le mieux pour l’esthétique et l’intérêt artistique du projet, pour sa cohérence. En général, on retournait la question à l’envers : pourquoi s’exposer un peu plus ? Pourquoi aller sur un plateau télé ou montrer nos visages sur une couverture de magazine ? Est-ce que c’est la place de Fauve ? Qu’est-ce que ça va nous apporter ? Pas grand-chose. Juste vendre un peu plus de disques, mais ça n’a jamais été le but, Fauve n’a pas été fait pour ça. Fauve a été créé pour nous offrir un espace de liberté absolue pour s’exprimer et se défouler. Or, montrer nos visages n’allait pas aider à ça, et cela pouvait même le compromettre.
Ce qui nous a poussés vers toujours plus de radicalité, pour l’anonymat comme pour d’autres domaines, c’était la nécessité qu’il ne puisse subsister aucun doute quant à notre sincérité. Au fur et à mesure on s’est aussi rendus compte que l’anonymat avait plein d’autres avantages. D’abord, pas de problèmes d’egos et pas de gens qui te reconnaissent dans la rue. Ensuite, être anonyme et rester dans l’ombre ne crée pas de la distance, au contraire : le fait d’être aussi discrets nous a permis d’être beaucoup plus proches des gens qui nous suivent et de rester abordables, en discutant notamment avec notre public avant et après les concerts. De temps en temps, il y a eu des tentations de vivre des choses qu’on n’avait pas connues comme la télévision. Mais beaucoup d’autres choses nous ont confortées dans notre décision de ne pas nous montrer. Si on faisait juste attention au début, on était devenus très radicaux sur ce point à la fin."
"On tenait à sortir notre premier EP seuls, on l’a toujours voulu. Parce qu’on voulait un premier disque vierge de toute empreinte extérieure. Ca a été le cas, avec "Blizzard" sorti en indépendant en mai 2013, malgré les nombreuses propositions de maisons de disques. Mais on ne pensait pas pouvoir continuer seuls plus loin. J’ai un souvenir très précis d’un jour, environ un mois après la sortie du EP. Nous étions à Montréal. On était un peu sur un nuage parce qu’on jouait hors de France pour la première fois, on nous avait payé l’avion, c’était fou, il faisait beau, c’était l’été, il y avait quelque chose d’un peu surréel. On était fiers, on se disait ‘Fauve peut nous emmener jusque-là’. Et là on a reçu les premiers chiffres de ventes de Blizzard. Ce petit EP enregistré dans une chambre, avec une carte son qui ne marchait même pas - quand tu réécoutes la prod aujourd’hui c’est gênant, comparé à Vieux Frères 2 – allait sans doute être disque d’or (50.000 exemplaires à l’époque, au final on en a vendu beaucoup plus).
Là on prend conscience que ce truc qu'on avait sorti nous-mêmes à l’huile de coude, à se galérer pour faire la créa, pour aller livrer les cartons de disques en Clio dans les entrepôts de la Fnac, que ce truc imparfait mais qui nous ressemble, peut marcher. Que c’est possible. Jusque-là on pensait ne pas être capables de faire quelque chose seuls à une plus grande échelle. Ce jour-là à Montréal, on s’est soudain sentis capables. On s’est dit ‘mais pourquoi on ne continuerait pas comme ça ?’ On a laissé mûrir un peu le truc, et alors qu’on avait été dragués par toutes les maisons de disques, on a annoncé un mois plus tard qu'on continuait seuls selon nos propres termes.
Ce n’est pas pour nous lancer des fleurs mais je ne connais aucun groupe qui se soit autant impliqué, auto-produit de façon aussi poussée, qui se soit battu pour proposer les prix les plus serrés pour ses disques et ses billets de concerts. Les mécanismes de l’industrie ? On les a appris en posant des tas de questions à chaque rendez-vous avec les maisons de disques. Et puis, après notre annonce de continuer seuls, nous avons reçus une quantité de messages de personnes nous proposant leur aide : graphistes, vidéastes, jeunes attachés de presse. Certains ont fini par travailler avec nous. C’est à ce moment-là que notre idéal de collectif ouvert a pris tout son sens."
"J’ai un souvenir assez ému de notre premier Bataclan. Au moment où nous avions annoncé ce concert, nous n’avions encore sorti que quatre chansons sur internet mais notre premier EP "Blizzard" allait sortir entre temps. C’était gigantesque pour nous le Bataclan. On craignait surtout de ne pas le remplir. D’autant que ça commençait à dauber un peu, des médias qui nous avaient encensés au départ commençaient à retourner leur veste, certains pariaient qu’on ne le remplirait jamais. Or on a mis les places en ventes le lundi et le lendemain c’était complet. Je me souviens de notre arrivée sur place à 14h, quand j’ai vu le nom inscrit sur la façade, et la taille impressionnante de la salle où je me souvenais d’avoir vu MGMT et Oxmo Puccino. Pour moi, ça reste une des premières fois où on a touché du doigt quelque chose qui, dans notre imaginaire, n’était accessible qu’aux stars. A ce premier concert, l’ambiance était fantastique, le public était accueillant, bienveillant, plein d’énergie, comme il l’a toujours été. Nous on était sur-stressés, on a trouvé notre concert un peu raté, mais c’était vraiment super.
Ensuite, en 2014, on a fait une vingtaine de Bataclan en quelques mois, quatre séries de cinq concerts chaque mois. Là, notre rapport à la salle a changé. On a fait du Bataclan un lieu qui nous correspondait, on a commencé à devenir proches des équipes de sécurité, des équipes du bar, de tout le monde. C’était un peu chez nous. On laissait nos affaires le soir et on les retrouvait le lendemain. On a appris beaucoup de choses sur notre jeu de scène avec ces séries, on a tenté des choses, appris à définir qui fait quoi sur scène, on a énormément progressé. Et puis il y a eu la der des ders, en septembre 2015, qu’on avait appelée notre "pot de départ". C’était extêmement émouvant tout en étant joyeux. Je me souviens du dernier morceau qu’on a joué, "Les Hautes lumières", quand tout le monde chantait le refrain j’avais les larmes aux yeux."
Fauve s'arrête mais on continue a construire ensemble
"Je vais essayer de clarifier cette idée de pause à durée indéterminée. On arrête Fauve. On arrête de travailler sur ce projet. On s’est toujours dit qu’on ne le ferait pas longtemps. C’était une manière de ne pas s’habituer, de chérir le moment. Une façon aussi de se donner de l’énergie parce qu’on a quand même fait 200 concerts et plusieurs disques en deux ans. C’était tellement intense, tellement éreintant, que c’était important de se dire qu’on pourrait bientôt relâcher la pression. Pour autant, on n’a pas prévu de prendre six mois de vacances, on aime bosser. Ca faisait un moment qu’on se demandait quel serait le bon moment pour arrêter.
Donc on arrête Fauve. Mais la nuance c’est qu’on n’a pas du tout l’intention de se séparer. On continue à se voir tous les jours. Nous allons rester un collectif (une vingtaine de personnes). Mais ça ne veut pas dire qu’il sera public. Ce qui est important pour nous c’est notre histoire commune. Ce qui nous plaît vraiment c’est de partager, de vivre et de construire des choses ensemble. On ignore juste encore quelle forme cela va prendre. Et on ne s’interdit pas de remonter Fauve, si un jour, dans trois, cinq ou dix ans, nous reprenait l’envie de réinvestir cet espace pour vider notre sac. Aujourd’hui, nous avons besoin d’autre chose. De nous exprimer différemment. On aura toujours des envies liées à l’artistique mais il n’y aura pas forcément intérêt à le dire parce que ça peut être tellement différent de Fauve que les gens ne comprendraient pas."
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