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Guerre des festivals Rock en Seine vs Summer Jam : bras de fer américain sur le sol français

Ce week-end, derrière la musique et l'image bon enfant des festivals, un choc de titans se prépare sur le sol français. Celui des deux géants américains de la production de concerts, les rivaux AEG et Live Nation. Le premier détient depuis peu 50% de l'historique festival parisien Rock en Seine. Le second a lancé pour le contrer une Paris Summer Jam prévue vendredi à la U Arena de Nanterre.
Article rédigé par franceinfo - Laure Narlian (avec AFP)
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Ambiance à Rock en Seine.
 (Victor Picon)

La bataille de deux festivals parisiens

Vendredi, au parc de Saint-Cloud, Rock en Seine (détenu à 50% par AEG) ouvrira sa 16e édition avec pour la première fois un groupe de rap en tête d'affiche, et pas n'importe lequel : le clivant duo des Tarterêts PNL. Chapeau. Au même moment, à la U Arena de Nanterre, le Paris Summer Jam (Live Nation) proposera une affiche hip hop particulièrement relevée avec Kendrick Lamar, N.E.R.D, IAM et Brockhampton.

L'enjeu est le même pour chacun: attirer 40.000 personnes, à 50 euros la soirée pour Paris Summer Jam, à 59 euros (39 en tarif réduit) pour Rock en Seine qui proposera en outre vendredi une vingtaine d'artistes rock, rap et électro, tels Mike Shinoda de Linkin' Park, Die Antwoord, The Limiñanas, Parcels et Carpenter Brut.

Des deux poids lourds américains du divertissement, qui l'emportera ? Au vu de la billetterie, aucun ne devrait sortir gagnant de ce premier affrontement sur le ring français : ni Paris Summer Jam ni Rock en Seine ne semble devoir faire le plein vendredi.

La rivalité des deux mastodontes américains

Derrière ce face à face sur le territoire français, il y a la concurrence féroce à laquelle se livrent depuis longtemps aux Etats-Unis Live Nation et AEG, les deux plus gros producteurs de spectacles au monde.
 
Le premier, Live Nation, lié par contrat avec Jay-Z, Beyoncé ou U2, s'est implanté il y a dix ans dans l'Hexagone avec le Main Square festival à Arras. Il a depuis installé à Paris ses mastodontes Download (metal) et Lollapalooza (pop) et pris des parts dans les festivals Marsatac à Marseille et Garorock à Marmande.

Le second, AEG, qui compte dans son écurie les Rolling Stones ou Madonna et organise le festival californien Coachella, vient d'ouvrir une antenne française et un bureau parisien. Déjà au capital de l'AccorHotel Arena (Bercy Paris), il est entré l'an passé au capital de Rock en Seine à 50%, à égalité avec la holding LNEI de l'homme d'affaires Matthieu Pigasse (qui avait lui même racheté Rock en Seine quelques mois plus tôt).

Le secteur a du souci à se faire. Comme le rapportait Les Echos en mars dernier, Live Nation pèse à lui seul 47 fois plus lourd que le premier acteur français du spectacle, Fimalac Entertainment détenu par l'homme d'affaires Marc Ladreit de La Charrière. Et elle est en phase ascendante : le chiffre d'affaires de Live Nation, compagnie cotée en bourse et qui est aussi leader de la billetterie dans le monde via Ticketmaster, a bondi de 24% l'an passé.

Comment le cas Kendrick Lamar a cristallisé la guerre

La première étincelle qui a attiré l'attention sur cette guerre en France concerne Kendrick Lamar, l'un des plus célébres rappeurs américains. Kendrick Lamar est un artiste de l'écurie Live Nation. Or, Rock en Seine avait prévu de le programmer cette année.

"C’était quasiment fait quand nous sommes partis en vacances à Noël", racontait fin janvier au Parisien Arnaud Meersseman, qui dirige AEG Presents France. "Quand nous sommes revenus, Live Nation avait dézingué notre offre, et l’avait récupéré pour organiser un mini-festival à la U Arena (qui plus est le vendredi d'ouverture de Rock en Seine NDLR). C’est un coup pour nous faire perdre du public et du temps dans notre programmation", accusait-il.

De son côté, Live Nation avait peu apprécié de se sentir "court-circuité" en apprenant que Rock en Seine avait négocié directement avec l'agent de Kendrick Lamar et non pas avec Live Nation.

Les festivals français artisanaux fragilisés

Si ces deux poids lourds prennent pied ici c'est alléchés par le juteux marché de la musique live (concerts, festivals), particulièrement dynamique en France. Car avec la crise du disque, et même si le streaming redonne un peu de couleurs à la vente de musique, la scène est devenue la principale source de revenus pour les artistes.

L'ancien ministre de la Culture Jack Lang avait été le premier l'an passé à s'indigner de "l'invasion des multinationales américaines dans la vie musicale française". "La prise de pouvoir par ces groupes risque de tuer la diversité, de mettre en péril les festivals indépendants, de favoriser une inflation destructrice des prix et d'encourager la spéculation dans l'art musical sous toutes ses formes", s'inquiétait-il en interpellant les pouvoirs publics. 

Cette bataille de deux ogres industriels n'est de fait pas sans conséquence sur l'écosystème des festivals français, dont une bonne partie restent artisanaux et fonctionnent avec des bénévoles et des subventions locales. Les deux mastodontes américains ont en effet une force de frappe monumentale : non seulement des artistes dans leurs écuries respectives, des salles et des festivals pour les y produire mais surtout des moyens pour s'offrir de très grosses têtes d'affiche, une surenchère que les festivals français ont de plus en plus de mal à suivre.

Le gouvernement peut-il intervenir ?

La ministre de la Culture Françoise Nyssen n'est pas insensible à cette situation. Elle s'est inquiétée de la concentration du secteur, qui "met directement en risque la diversité culturelle et entraîne un dérapage des prix qui nourrit les inégalités d'accès à la culture entre les Français", expliquait-elle en juin dans Le Figaro.

Dès le mois de février, elle a désigné un expert interministériel, Serge Kancel, référent permanent et transversal pour les festivals. Sa mission ? "Identifier la meilleure réponse à apporter par l'Etat, prévenir les risques de monopole, assurer la régulation du secteur et garantir la juste répartition de la valeur sur toute la chaîne, des artistes aux tourneurs." On attend avec impatience ses premiers retours.
 

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