Iggy Pop et les Stooges : 12 choses apprises dans le documentaire "Gimme Danger" de Jim Jarmusch
Enfant, Iggy était fasciné par le show télévisé pour enfants d'un certain Soupy Sells, "Lunch time with Soupy". L'humoriste invitait les enfants à lui envoyer des lettres, mais précisait qu'elles devaient être écrites en 25 mots maximum. Iggy en a tiré une leçon pour le futur : faire simple, court et direct pour ses propres chansons.
Son inspiration première ? Le vacarme industriel, le "méga-bang" des usines de montage automobiles Ford de son enfance près de Detroit, dont on retrouve la trace dans la musique des Stooges. Mais un jour, Iggy en a "eu marre de jouer derrière un cul" et a réalisé que tout compte fait, taper sur des fûts n'était pas son rêve. Il a préféré en apprendre les rudiments à Scott Asheton.
Alors que ses parents et lui vivaient dans un mobil home à Ann Arbor (banlieue de Detroit), Iggy ne pouvait caser sa batterie volumineuse que dans le living room, où elle occupait tout l'espace. Chaque soir, il en jouait à faire trembler la caravane. "Mes parents ne se sont jamais plaints", remarque-t-il. Au bout d'un an de ce régime, ils lui ont simplement cédé leur chambre pour qu'il puisse y installer son lit et son bruyant instrument.
"Un jour, je fumais un joint, et j'ai réalisé que je n'étais pas noir", se souvient Iggy dans le film. C'était avant la fondation des Stooges. Il venait de quitter Detroit pour Chicago, où, remarque-t-il "ce n'était plus l'Amérique blanche." "Ces gens n'avaient pas perdu leur enfance. C'était passionnant, j'ai beaucoup appris." Il fit alors vœu de faire pour sa génération "ce que les bons musiciens noirs avaient fait pour la leur".
"On était de vrais communistes", se souvient Iggy Pop au sujet de la vie en squatt qu'il partagea à Detroit avec les frères Asheton (Ron et Scott) au lendemain des émeutes de 1967. Vivant dans la même maison, ils partageaient tout : la nourriture, l'argent et même les crédits des chansons. "Mais nous n'étions pas politisés" précise-t-il. Contrairement aux membres du MC5, groupe de rock ami de Detroit, "qui étaient des communistes bien plus sérieux que nous". Iggy raconte d'ailleurs comment il a refusé, en se roulant par terre, que les Stooges accompagnent le MC5 à la Convention Démocrate de 1968, qui s'était terminée dans le sang. "Nous, on se tenait à l'écart de la politique, c'est pour ça qu'on était taxés de nihilistes", rappelle l'Iguane.
C'est John Cale (du Velvet Underground, dont la "simplicité" les inspirait alors, selon Iggy) qui produit le premier album "The Stooges". Un disque enregistré à New York, "dans un minuscule studio de R&B situé au-dessus d'un peep-show". La plupart des chansons étaient écrites dans l'urgence, au Chelsea Hôtel, la veille de l'enregistrement, raconte Scott Asheton dans le film. "John Cale portait toujours une cape", se souvient aussi Iggy. "Avec Nico, on aurait dit Morticia et Gomez de la Famille Addams", raille-t-il, pince-sans-rire, tout en reconnaissant l'influence qu'a eue sur lui Nico, qui fut brièvement sa maîtresse.
Le musicien et constructeur d'instruments Harry Partch a beaucoup compté pour les Stooges. Sa façon d'utiliser des objets de la vie courante accordés (cloches de verre, cartouches d'obus ou blocs de bois disposés de façon particulière) a inspiré le groupe et l'a incité à explorer de nouvelles sonorités. A son exemple, les Stooges se sont mis à expérimenter : avec un baril d'essence en guise de grosse caisse, l'ajout d'un mixeur de cuisine en studio, la présence d'un aspirateur sur scène, ou encore en utilisant un cône dans lequel ils plongeaient le micro (on entend bien ce bruit de succion sec au début de "Dirt", notamment). C'était "de la musique free", résume Iggy Pop.
Direction Los Angeles pour leur second album, le monument incandescent de free rock qu'est "Fun House". "On expérimentait une musique plus agressive, avec plus d'espace, comme Miles Davis avec l'album "Bitches Brew" et ce que faisait James Brown avec Fred Wesley et Maceo Parker… mais sous acide", analyse Iggy Pop. "Le studio Elektra était merveilleux", dit-il encore. "Une seule pièce, un beau tapis. Et j'avais mon propre ampli." Au Whisky à Gogo (Los Angeles) et au Fillmore (San Francisco) où ils se produisent alors, "personne n'avait jamais rien vu de tel".
C'est à Los Angeles, durant l'enregistrement de "Fun House" qu'Iggy dégotte l'un des plus fameux accessoires de son look de scène. "Il y avait une boutique d'articles pour chiens, à Santa Monica, le Bowser. Un jour, j'y ai vu un collier pour chien rouge. Je me suis dit que ce serait génial de porter ce collier. Je l'ai acheté et je le portais tous les jours pour aller en studio." Puis en concerts. Mais il est incapable aujourd'hui de donner un sens à ce look qui a essaimé plus tard chez les punks (nous, on a pensé bêtement à leur chanson "I wanna be your dog", non ?). En revanche, il sait pourquoi il apparaissait torse nu sur scène : parce qu'il avait remarqué que les pharaons égyptiens portaient rarement des chemises…
Au début des années 70, le groupe est usé, lessivé, rongé par les drogues. "On jouait comme des pieds, parfois j'arrivais à chanter, parfois non". Le label Elektra les vire. Une fois désintoxiqué, Iggy part à New York où David Bowie demande à le rencontrer puis le fait venir à Londres pour enregistrer. Si Bowie l'a sauvé de l'ornière, Iggy n'a pas de mots assez durs contre son manager Tony De Fries avec "son gros cigare" et "son manteau de vison". Il demandait "un travail dément" contre "une part ridicule du fric. Je ne comprenais pas bien qui possédait quoi et avec qui j'avais signé." En fait, "il ne nous a jamais voulus", assure-t-il.
Pour "Raw Power", le troisième brûlot inflammable des Stooges produit par Bowie, "on nous a laissés sans aucune supervision adulte", témoigne James Williamson, guitariste sur cet album (alors que Ron Asheton passe à la basse). "En tant que guitariste, James remplit l'espace de détails comme si on avait lâché un chien renifleur chez vous. C'est du lourd", décrit Iggy dans le film. "Ron a un style de basse agile qui aide beaucoup à faire décoller James. Alors moi, j'ai dû pousser ma voix très haut, un octave plus haut que sur "Fun House", pour trouver un espace que James n'occupe pas."
L'industrie a "vidé le rock de son sang" dénonce Iggy qui dézingue une fois de plus dans ce film "managers pourris" et maisons de disques. Selon lui, l'industrie "a tout manigancé" pour ôter toute subversion au rock en l'amenant vers des bluettes inoffensives à la "Marrakesh Express" de Crosby, Stills & Nash, qu'il fredonne un instant avec dédain. "La musique est la vie et la vie n'est pas un business. Je ne veux pas faire partie des gens glam, ni alternatifs. Je ne veux pas être un punk. Je veux juste être", résume l'Iguane dans le film.
"Gimme Danger" de Jim Jarmusch sort le 1er février sur les écrans français
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