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INTERVIEW Charlélie Couture : l'artiste hyperactif n'a décidément "pas sommeil"

Il sait tout faire Charlélie Couture : composer, peindre, écrire, chanter et même photographier. A 62 ans, la créativité de l'auteur d'"Un avion sans aile" ne ralentit pas d'un pouce : "Même pas sommeil", nous dit-il, via le titre de son nouvel album sorti vendredi. Un 23e disque qui sera suivi de la publication d'un recueil de poèmes et d'une exposition de peinture. Entretien.
Article rédigé par Laure Narlian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10 min
Charlélie Couture, hyperactif, n'a toujours "pas sommeil" en 2019.
 (Anver)

Après "Lafayette" (2016) qu'il était allé enregistrer en Louisiane, Charlélie Couture est de retour avec un album très réussi où se mêlent ses observations inquiètes, voire sa révolte, de citoyen du monde tendance écolo ("Toi ma descendance", "Les heures caniculaires"), mais aussi sa tendresse et sa bienveillance ("Ode à l'Est" et le très beau "Résister Sister" qui referme l'album). Musicalement, "Même pas sommeil" explore différents climats déclinant l'américana avec sensibilité, entre rock, blues et jazz du Bayou (génial "Le Lamantin"). On y retrouve surtout avec délice sa façon remarquable de croquer les situations, convoquant des images de mini-scenarii, et sa voix nasillarde à la scansion singulière. Une voix et un rythme que l'on "entend" aussi en lisant son recueil de poésies "inchantables" à paraître en février au Castor Astral.

"Même pas sommeil" est un album assez varié tant dans les thèmes que dans les compositions. Dans quel état d’esprit l’avez-vous écrit et où ?
C’est un disque sur lequel j’ai commencé à travailler il y a deux ans et demi. J’étais à New York d’abord, et puis j’ai décidé de venir passer plus de temps en France et le disque a donc évolué en fonction des thèmes qui me touchent et qui sont en relation avec le monde et ma vie d’aujourd’hui. Pourquoi enregistre-t-on de la musique ? Parce qu’on a des choses à dire avant tout. Parce que le monde évolue et que les thèmes que j’aborde aujourd’hui je ne les aurai pas traités, en tout cas pas du tout de la même manière, il y a trois ans quand j’ai fait le disque enregistré en Louisiane par exemple. Il y a des sujets, comme la canicule ou l’approche de la fin de la civilisation, qui n’étaient pas à ce point d’actualité il y a trois ans.

On entend effectivement vos préoccupations sur le devenir de la planète sur les chansons "Toi ma descendance" et "Les heures caniculaires". Mais votre fibre écolo n'est pas récente.
La question de l'environnement me tient à cœur depuis toujours. En 1984, "La petit rivière" évoquait déjà les rivières qui se bouchent et s’assèchent. Mais il y a trente-six manières d’être un poète. J'ai toujours considéré que la fonction de l’artiste est de dire des choses. On n’a pas le pouvoir de décision mais on a celui de la parole. Nous sommes des gens des mots et on s'autorise à parler, voilà. Je dis souvent que la musique est le ciment et que les mots sont les pierres; on construit quelque chose en associant l’un et l’autre et tout d’un coup paroles et musique prennent un certain sens. On partage ainsi avec d’autres ce qu’on ressent.

Un clip réalisé par Charlélie Couture pour "Les heures caniculaires"

Dans "Another Man Blues", vous évoquez une bavure policière. Comment viviez-vous ce climat de violence lorsque vous étiez aux Etats-Unis ?
En fait cela fait 15 ans que je vis aux Etats-Unis, j’ai la double nationalité. Lorsque je m'y suis installé, ce pays représentait le nouveau monde, un pays où la diversité faisait force, où le drapeau était fédérateur de gens qui avaient des pensées, des habitudes, des coutumes différentes. De voir ça balayé avec des arguments abjects par le plus ignare des présidents, par un mec qui s’endort en conférence internationale, ça me scandalise. Que des cyniques défendent ce personnage dans leur intérêt propre, ça me révulse autant que les lobbys, qui sont pour moi des bandits. Sous les mandats d’Obama aussi il y a eu un certain nombre de bavures policières, il ne pouvait pas les empêcher. Mais au moins on avait le sentiment qu’il défendait les victimes. Alors que Trump a défendu les salopards du Klu Klux Klan lorsqu’ils ont foncé sur les manifestants. Cela crée au sein du pays une faille qui mettra longtemps à être recollée.

Vous avez pris vos distances avec l’Amérique de Trump, que vous inspire la France de Macron ?
Ce n'est pas la France de Macron, c’est une France qui après douze ans de panique et d’embarras, a espéré quelque chose qu’elle n’a pas trouvé dans la politique qui a été décidée depuis deux ans. Les gens qui ont voté Macron ont eu un rêve, ont pensé qu’en faisant appel à quelqu’un qui ne faisait pas partie du cénacle, les arguments seraient différents. Ils ont déchanté assez vite et souffrent maintenant du sentiment d’avoir été trompés. Le drame vient de ce qu’il n’y a pas d’écoute.

Vous vous êtes souvent plaint d’être incompris, en tout cas en France, est ce que c’est encore le cas ?
Jamais je ne me suis plaint. J’ai juste été attristé qu’on ne me demande pas plus. Année après année, je constate que malgré mes 23 disques je n'ai jamais été nominé aux Victoires de la Musique. Manifestement, je n’existe pas pour eux. Mais cela ne m’empêche pas de rester "frais" sans être envahi par l'amertume. 


 
"Le Lamantin", une chanson très réussie sur un drame de fin de carrière en entreprise, rappelle la veine de vos débuts. Comment avez-vous fait pour croquer cette histoire de façon aussi juste alors que vous n'avez jamais connu le monde de l'entreprise ?
Parce que je ne vis pas en dehors du monde ! J'en suis un spectateur inquiet. Etre poète, dans le sens grec du terme, poiesis, signifie "faire, créer". Ce que je fais est lié au fait d'agir et de rester en prise avec la société. La chanson "Le Lamantin" c'est un peu une comédie à l'italienne. L’histoire raconte ce mec conscient qu’il va se faire virer par la nouvelle direction, qui vient d’arriver. Cette direction organise un pot sur un bateau pour évoquer le bilan annuel avec les employés. Ils font la fête mais lui a bien compris qu’il allait être poussé vers la sortie. Il se saoule la gueule à l’open bar, il fume des tarpés et puis il passe par-dessus bord et on le retrouve le lendemain échoué comme un lamantin sur le sable. On ne sait pas si quelqu’un l’a balancé, s’il est tombé ou s’il s’est suicidé. Mais la musique, elle, est restée comme si on continuait à faire la fête sur le bateau.

Comment est née "Ode à l'Est" ?
Je suis né en Lorraine et chaque fois que j’entendais "Le Sud" de Nino Ferrer, j’étais un peu jaloux. C’est un truc globalement sur le sud des Etats-Unis mais tout le monde le prend comme si c’était le sud de la France. Je me disais, on dit tellement de mal de l’Est qu’il faudra que j’essaye un jour d’écrire quelque chose sur l’Est. Et puis depuis que Danny Boon a eu la bonté d’offrir un film au Nord avec Les Chtis, le Nord est devenu une star, alors toutes proportions gardées, j’ai voulu offrir à l’Est une chanson disant que ce sont des gens bien aussi.

Vous avez dédié ce disque à Véronique Colucci et à Jacques Higelin. Ils étaient vos amis ?
Oui. Véronique m’a aidé lorsque j’ai fait la B.O. de "Tchao Pantin" et m'a permis de mieux connaître Paris, et Jacques Higelin, je le connaissais depuis le tout début. Il se trouve que je suis allé assister le même jour à l’enterrement de l’un et de l’autre, et après avoir quitté des gens qui étaient envahis par la tristesse, je me suis retrouvé à l’aéroport, car j'avais un concert le soir même, où j'ai croisé des gens joyeux qui continuaient à vivre comme si de rien n’était. Je me suis dit alors "il n’y a qu’à considérer qu’ils se sont endormis, ils restent dans nos cœurs, la vie continue". Certains voudraient que je m’endorme aussi mais "j’ai pas sommeil" et je ne suis pas près d’aller me coucher. (D'où le titre de l'album NDLR)
 

Vous qui êtes très attentif à l’image, que représente l’aigle de la pochette, de quoi est-il le nom ?
D’abord ce n’est pas un aigle. J’ai justement fait attention de ne pas prendre un aigle qui fait allusion à l’Amérique. Il s’agit d’un vautour, un gypaète barbu, et comme les vautours sont des charognards qui se nourrissent de carcasses, on l’appelle "le nettoyeur". Mais l’idée c’était surtout d’avoir un regard sur le monde vu d'en haut, de prendre de la distance par rapport aux choses tout en gardant une acuité de regard. La photo magnifique est de mon ami Vincent Munier, un des plus grands photographes animaliers. J’étais très heureux qu’il m’autorise à utiliser cette image remplie de symbole et de force.

Vous avez une actualité chargée avec la sortie, en plus de l'album, d’un recueil de poésies et une exposition de peintures. La créativité, c'est une nécessité pour vous ?
C’est ça être artiste, c’est avoir à l’intérieur de soi une envie. Toute forme de création nait d’une envie de faire, l’envie de transformer la notion abstraite du sentiment humain en lui donnant une forme. Si on trouve la bonne forme, d’autres personnes vont éventuellement se reconnaître et s’identifier. Il se trouve que pour exprimer ce que je ressens, je dispose à la fois du verbe, de la musique et de l’image. Chacune m’est tout aussi importante, et ce depuis l'adolescence. Quand j’écris un poème c’est vraiment comme quand je peins. Sauf que je peins avec des mots. Au lieu que de jouer avec des couleurs, c’est avec des sons, des diphtongues, des rythmes.

La même inspiration peut donc donner lieu à un tableau comme à une chanson ?
Oui sauf que quand j'écris les poèmes, comme ceux réunis dans "La Mécanique du Ciel" qui va paraître au Castor Astral, un recueil de textes choisis que j’ai écrits de 1973 à 2017, ils ont pour finalité d’être lus comme on suçote un bonbon. On en lit trois, on repose le livre puis on y revient, donc ça vous accompagne. Alors que quand j’écris une chanson, le but c’est que les mots, la moindre sonorité, puisse être maniée, mâchouillée, répétée, transformée, quand je vais les interpréter, parfois de manière différente, d’une année sur l’autre.


Quels ont été vos derniers coups de cœurs musicaux ces dernières années ?
Il y a Babx, des choses un peu complexes. J’ai trouvé excellent le dernier Jean Louis Murat et le "Amour chien fou" de Arthur H. J’aime bien aussi Feu! Chatterton. Et beaucoup Stromae.

Que peut-on attendre de vos concerts à venir ?
Dans un tour de chant, il y a en moyenne entre quinze et vingt chansons. Je prévois d'en faire six ou sept du nouvel album, je vais jouer un inédit et le reste ce seront des chansons que mon public connaît et se plaira à reconnaître, sachant que je fais rarement deux fois les mêmes arrangements pour les mêmes chansons. Les musiciens sont les mêmes depuis une dizaine d’années, les mêmes que sur le disque : formidables Karim Attoumane à la guitare, Martin Mayer à la batterie, Pierre Sangra (violon, banjo, mandoline). Et puis vraisemblablement des invités au coup par coup.

Parmi les classiques de votre répertoire il y aura des chansons de toutes les époques ?
Oui bien sûr, "Comme un avion sans aile" fait partie des incontournables, comme "Le loup dans la bergerie". Ce sont des chansons que je me dois de faire et surtout qui m’amusent toujours de chanter. Quand ça ne m’amuse plus, je ne les chante plus. A l’inverse, certaines chansons vont réapparaitre, "Tourne en rond" par exemple, que je vais refaire dans une version complètement différente. On est à deux mois de la tournée, je laisse encore des portes ouvertes, rien n’est arrêté.

L'actualité chargée de Charlélie Couture :

L'album "Même pas sommeil" (Rue Bleue/Flying Boat) sort vendredi 25 janvier 2019 
Charlélie Couture est en tournée de la mi-mars à la mi-mai, avec une date à Paris au Trianon le 12 avril
Le recueil de poèmes "La mécanique du ciel, 50 poèmes inchantables" (Castor Astral) est publié le 14 février 
Exposition de peintures au Musée Paul Valéry de Sète du 15 février au 28 avril 2019

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