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: Interview Feu! Chatterton : dans les coulisses de la tournée
Cela fait plus de deux ans que Feu! Chatterton est sur la route, sillonnant la France des bars et des petites salles. Depuis la sortie mi-octobre de leur premier album, "Ici le jour (a tout enseveli)", leur notoriété n'a cessé de grandir et les cinq Parisiens ne sont pas prêts à ralentir le rythme. Comment vivent-ils sur la tournée ? Qu'ont-ils appris sur la route ? Rencontre.
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"Bonsoir le Trianon ! Nous sommes Feu! Chatterton, incandescent cadavre, pour vous servir", déclame Arthur avec une emphase rétro assumée (en référence à Thomas Chatterton, poète anglais suicidé du 18e siècle). Le 4 avril, le quintet parisien donnait son sixième concert dans cette salle parisienne du boulevard Rochechouart où il fait halte une fois par mois depuis le début de sa nouvelle tournée cet automne.L'adieu au Trianon, salle idéale
"Le Trianon c'est un peu la salle parfaite pour nous", expliquent Arthur et Sébastien (l'un des deux guitaristes–claviers du groupe). "C'est entre la salle de théâtre et la salle de concert et il y a vraie une proximité avec le public."
Après cinq mois sur la route, le concert est bien rôdé, chorégraphié, sans temps mort. Après plus d'un an sans les voir sur les planches on remarque combien les guitares de Sébastien et Clément osent désormais monter en puissance à l'unisson et à quel point la section rythmique versatile (Raphaël à la batterie et Antoine à la basse) demeure d'une subtilité exemplaire.
Un show fluide et sans temps mort
Très maîtrisé, le show 2016 de Feu! Chatterton ressemble à un voyage fluide alternant climats recueillis à chair de poule, déchaînements rock, clins d'œil psychédeliques et frénésie techno. Avec, toujours au centre du jeu, l'assaut de flèches poétiques décochées par Arthur au micro. Le contraste entre ce chanteur à moustache au look délicieusement désuet (début XXe siècle) et ce groupe rock en tenue de Talking Heads (jean's et chemises à fleurs new wave) est le même à l'oeil qu'à l'oreille : à nul autre pareil.La notoriété de Feu! Chatterton grossit de jour en jour et les salles de taille moyenne ne seront bientôt plus assez spacieuses pour contenir tous leurs fans. Sur scène le 4 avril, le groupe présentait son concert au Trianon comme "une fête de départ", le dernier de cette série en ce lieu. Où se produiront-ils à Paris la prochaine fois ? Les Zénith ? Ils ne sont pas prêts : "Trop grand pour nous", assènent-ils.
Ils y viendront, pourtant. "Il y a un an, lorsqu'on jouait encore dans les bars, les salles de type Smac (Scènes de musiques actuelles, 1000 places environ) nous semblaient terriblement impersonnelles. Aujourd'hui, on adore ce format de salle", reconnaissent d'ailleurs le guitariste et le chanteur. Mais ils appréhendent déjà les festivals prévus cet été sur leur agenda. "Cette fois nous sommes attendus, il va falloir assurer."
Assurer, Feu! Chatterton sait faire. Lors d'une résidence à Antibes en septembre-octobre, à la veille de la tournée, le groupe a travaillé à l'adaptation de l'album à la scène avec son ingénieur du son et son ingénieur lumière. Avec le premier, ils ont "réglé les micro-détails" permettant de dégager la voix tout en gardant la puissance rock de la formation. Avec le second, ils ont œuvré à établir une continuité scénographique entre les chansons et leurs différents climats, "afin de permettre au public de se laisser emporter sans jamais le perdre".Ce qui compte, c'est que l'énergie passe entre nous
La constante, ce sont les chansons. Et la configuration du groupe sur scène, sa façon d'occuper l'espace. "Quelle que soit la taille de la salle, la distance que l'on a les uns avec les autres est fixe. Ce qui compte, c'est que l'énergie passe entre nous", souligne Arthur. "Les chansons restent les mêmes mais avec la scène, elles ont évolué, elles évoluent tous les jours."
Sur scène on est en osmose
Chaque soir depuis novembre, Feu! Chatterton joue pourtant les mêmes chansons dans le même ordre avec juste quelques parties improvisées à des moments clés – la fin de "Boeing" et de "La Malinche" notamment. Rien de mécanique pour autant.Avant eux, on n'aurait jamais imaginé qu'un groupe de rock, aussi poétique et lyrique soit-il, puisse prendre un plaisir aussi profond à l'accomplissement d'une telle routine. "Notre set est parfaitement organisé et on adore le jouer. Depuis qu'on a trouvé le bon ordre des chansons, en novembre, on ne s'ennuie pas une seconde", assure Sébastien. "Nos morceaux on les a écrits, arrangés, on a beaucoup réfléchi à leur forme finale et du coup on les respecte beaucoup, peut-être trop. On les aime comme ils sont", insiste le guitariste à la tignasse bouclée.
"La liberté on la trouve ailleurs", complète Arthur. "Plus la maîtrise est grande, plus la liberté est grande aussi. A force de jouer chaque jour les mêmes morceaux, nous vient une telle envie de précision, un tel besoin de rendre les choses justes et honnêtes, que la moindre inflexion du camarade devient une prise de risque par rapport aux autres et une liberté immense pour nous tous. La musique est quelque chose de fragile. Sur scène elle repose sur les fluides qui passent entre nous, on n'a pas besoin de bouger un cil pour transmettre l'information. C'est un langage imperceptible, comme dans un couple. On est en osmose."
Qu'ont-ils appris d'essentiel de ce mode de vie vagabond, sur la route ? La discipline pour Arthur, la détente pour Sébastien. Mais les deux ont aussi appris à se sentir à la fois partout chez eux… et nulle part à la maison. Pas même lorsqu'ils rentrent à Paris, ce Havre où ils trouvaient une forme de réconfort il y a encore un an. Les loges et le camion de tournée sont devenus leur nouvelle maison.En tournée il a fallu apprendre à faire des concessions
"En tournée il a fallu apprendre à faire des concessions, à respecter le rythme de chacun, à être compréhensif et tolérant. Il y a peu d'occasions dans la vie où on doit faire un effort sincère pour accepter l'autre à ce point", souligne Arthur. "Dans les loges, où nous restons au moins cinq heures par jour, chacun a ses petites habitudes et nous nous réapproprions l'espace très vite".
C'est entre ces murs qu'Arthur pratique une nouvelle discipline : l'échauffement de sa voix. Sur scène, le chanteur de Feu! Chatterton ne s'économise pas. Hors scène, il a compris qu'il devait ménager ce précieux organe, facilement enroué, "pour être à la hauteur tous les soirs".Ce métier est physique, découvre Arthur
"L'échauffement, les vocalises, c'est nouveau pour moi. Longtemps je n'ai pas pris soin de mon corps, ni fait de sport", reconnait-il. "Venant du texte, j'étais plutôt un pur esprit. Jusqu'à ce que je découvre que ce métier est physique. C'est un métier de sportif. Ca demande un effort et beaucoup de contrôle de soi. Le soir, j'ai envie de faire la fête mais je ne peux pas pour ma voix. Il y a en même temps beaucoup de joie à découvrir ça. Le plaisir d'éprouver son corps, de le sentir devenir plus souple, plus nerveux, plus endurant. Jusqu'à présent je n'avais pas d'instrument. Maintenant je considère ma voix comme mon instrument."
La prise de conscience majeure du groupe, cependant, s'est faite à la lumière douloureuse des attentats de novembre. "On a compris qu'une de nos premières missions, en tant que musiciens, c'était de transmettre de la joie avant toute chose."Le 13 novembre, c'est nous qui étions visés
Le funeste soir du 13 novembre 2015, Feu! Chatterton était sur scène à Saint Malo. "Nous sentions qu'il se passait quelque chose, surtout du côté de nos techniciens. Mais notre régisseur ne nous a appris la prise d'otages au Bataclan qu'à la fin du premier rappel", se souviennent Arthur et Sébastien. "Le Bataclan, c'est une salle où nous avons joué plusieurs fois, qui est très liée à nos techniciens. Le quartier est celui dans lequel on a grandi, les cafés touchés sont ceux où nous allions régulièrement. Ca a donc été un soir particulier mais le concert du lendemain, à Saint Lo au festival Rendez-vous sonique, a été un moment encore plus fort."
"Il y a d'abord eu des débats entre nous pour savoir si on allait jouer ou pas. On s'est vite mis d'accord sur la nécessité de jouer parce que ceux qui étaient visés c'était nous, notre mode de vie, des choses qu'on défend dans nos chansons comme "Fou à lier" qui parle de la folie et de la liberté de la fête. Ce concert de Saint Lo a été l'un des plus forts et des plus émouvants qu'on ait jamais donné. Après les attentats de janvier, nous nous étions interrogés sur le but de notre travail, nous avions eu le sentiment de faire quelque chose de nombriliste et de futile. Ce concert de Saint Lo nous a fait prendre conscience que ce qu'on faisait avait du sens."
Fort de ce constat, Feu! Chatterton a déjà engagé la réflexion en vue d'un second album. "Nous allons commencer à travailler dessus, à écrire et composer durant les moments de pause de la tournée, lorsqu'on rentre à Paris. A cinq désormais parce que la plupart des morceaux du premier album, par exemple "Côte Concorde" ou "La mort dans la pinède", avaient été composés au début du groupe, à trois (Arthur, Sébastien et Clément). Pour l'instant, on prend beaucoup de plaisir à jammer tous les soirs, durant les balances notamment. On improvise à cinq, et l'énergie entre nous est très forte, on va sans doute essayer de pousser ça sur l'album. Nous sommes dans un rapport très perfectionniste à notre musique. Trop pour certains. Ce qu'on aimerait faire, c'est un album autour d'une histoire assez dense." Un album d'ici la fin 2017, c'est jouable ? "Peut-être avant quand même !".Nous allons commencer à travailler sur le second album
Feu! Chatterton poursuit sa tournée : le 11 avril à Tignes, le 14 à Bourges, le 22 à Rennes, le 29 à Poligny, le 30 à Bourg en Bresse, le 15 mai à Saint Brieuc… Toutes les dates sur leur page Facebook
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