: Interview "Le metal est une musique qui nécessite de l’engagement" : Corentin Charbonnier, co-commissaire de l’exposition "Metal" qui débute à la Philharmonie de Paris
Des instruments de musique de légende (comme la "Monkey" Gibson SG 1964 de Tony Iommi de Black Sabbath ou la basse en forme de hache de Gene Simmons de Kiss), des tenues et masques de scène mais aussi des accessoires de concert mythiques comme la guillotine d'Alice Cooper, des œuvres d'art (d'Auguste Rodin à H.R. Giger, le père d'Alien), des pochettes d'albums, T-shirts et objets de collection à gogo : l'exposition Metal, Diabolus in musica ouvre ses portes vendredi 5 avril 2024 à la Philharmonie de Paris.
Au son d'une cinquantaine de classiques aux riffs lourds mis en boucle, cette installation spectaculaire propose un vaste panorama du metal, de ses mythes fondateurs à ses développements les plus récents. Elle explore ce faisant son riche imaginaire et son esthétique subversive, et montre le dialogue fécond qu'entretient le metal avec différentes formes d'art, de la sculpture à la peinture et de la bande dessinée au cinéma. Quelques dispositifs audio-visuels (mention spéciale à celui de la salle dédiée au metal français) complètent cette première entrée au musée d'un genre populaire mais néanmoins incompris.
Cette exposition, qui n'oublie ni l'humour ni Lemmy Kilmister, est de par son envergure et le nombre d'objets exposés, une première mondiale. Elle a été réalisée avec une minutie d'orfèvre par deux passionnés de metal, Milan Garcin, docteur en histoire de l'art, et Corentin Charbonnier, docteur en anthropologie. Ce dernier, auteur d'une thèse baptisée Hellfest, un pèlerinage pour metalheads, nous éclaire dans cet entretien sur les intentions du binôme pour cet exposition, et, au-delà, sur le profil du fan de metal, à rebours des caricatures. Alors que le metal est désormais un quinqua à la nombreuse progéniture, il était temps de tordre le coup à quelques malentendus et préjugés sur son compte.
Franceinfo Culture : Qu'aviez-vous particulièrement à cœur de montrer dans cette exposition ?
Corentin Charbonnier : Avec Milan Garcin, nous sommes co-commissaires de cette exposition mais fans avant tout. On a donc voulu rendre hommage à la fois aux groupes et aux passionnés de metal, tout en espérant faire découvrir cette musique aussi au plus grand nombre. C'est une très belle opportunité que nous a offert la Philharmonie. Etant donné que je suis anthropologue, je voulais montrer que le metal est à la fois une culture et une communauté très diversifiée. Nous voulions mettre en valeur ses liens avec l'art - on le voit notamment avec la sculpture de Rodin reprise par Black Sabbath, et avec l'artiste suisse H.R. Giger, qui, en plus d'avoir créé la créature d'Alien qu'on est très très contents d'avoir, a fait un pied de micro pour le chanteur de Korn et pas mal de pochettes d'albums pour des groupes de metal comme Celtic Frost. Et puis je voulais montrer qu'il s'agit d'un phénomène international, que l'on retrouve dans toutes les régions du monde, et que même si on n'aime pas le metal, on y a forcément été confrontés avec des chansons plus calmes comme Still Loving You de Scorpions, Nothing Else Matters de Metallica ou pour les plus anciens The Final Countdown d'Europe. On a eu la chance que le Hard Rock Café accepte d'être partenaire et nous prête plein d'instruments mythiques. Le Rock and Roll Hall of Fame à Cleveland a été une très belle surprise aussi, parce qu'ils nous ont passé d'autres instruments et des éléments de scène, dont la guillotine d'Alice Cooper. J'espère que les metalheads seront heureux de se confronter pour la première fois d'aussi près à tous ces éléments mythiques.
Il y a effectivement profusion d'objets, du sol au plafond, dans cette exposition. Les fans de metal sont-ils particulièrement fétichistes et même collectionneurs ?
Oui, tout à fait. Dans les éléments que j'ai pu explorer pour ma thèse, il y a cet aspect du métalhead : c'est un collectionneur qui est autant consommateur qu'acteur de sa musique. Il va aux concerts et aux événements metal, il collectionne ses places de concerts et ses bracelets de festivals, et il est un énorme consommateur de tout ce qui est lié à sa communauté. C'est un public qui achète beaucoup de merchandising de groupes, comme les T-shirts, parce que c'est un élément de soutien, c'est un engagement. Les statistiques montrent que le metalhead a souvent un bon pouvoir d'achat parce qu'il est cadre et a un fort niveau de diplômes. C'est aussi un public qui continue d'acheter de la musique et pas seulement des CD et du vinyle mais aussi des cassettes audio. Donc, effectivement, on a une grosse collection d'objets mais c'est pour faire honneur à cette communauté-là, très engagée. Et puis les musiciens qui ont été prêteurs sont, eux aussi, des archivistes de renom : ils conservent.
Comment expliquez-vous ce fort engagement du metalhead ?
Toutes les études sur le metal le prouvent : c'est une musique où la passion reste. Même si on le découvre majoritairement à l'adolescence, à l'âge adulte, la passion demeure. Mon explication sera très anthropologique : ce qui est intéressant dans le metal, c'est que c'est une musique qui nécessite de l'engagement pour y aller. On ne peut pas y entrer si on ne connait pas un peu la communauté, si on n'a pas les codes, si on ne sait pas où trouver les informations au départ. On a un public qui s'applique des rites pour rentrer dans les concerts, avec un look vestimentaire particulier, les patchs de logos de groupes qui sont portés, les danses, etc. C'est beaucoup plus fort qu'ailleurs. Ce n'est pas une musique qui est simplement liée à une forme de consommation, dans laquelle on peut entrer et ressortir aussitôt. Pour pleinement profiter de ce qui est proposé, il faut de l'implication. Et l'implication, généralement, va perdurer.
Malgré ses très nombreux adeptes et son succès, que l'on constate notamment dans le pèlerinage annuel au Hellfest, le metal reste quand même plutôt underground, on ne l'entend pas dans les grands médias et à la télévision. Est-ce voulu, d'une certaine façon ?
Dans le metal, il y a toujours eu un jeu entre vouloir la reconnaissance et rester underground, rester dans l'entre-soi. On a une position qui n'est pas forcément simple avec cette exposition, parce qu'on va mettre en lumière bon nombre d'objets et de sous-genres du metal qui n'ont pratiquement jamais été exposés. Dans les sous-cultures, il y a toujours cette peur de se faire bouffer par le système, et ne plus avoir de légitimité, parce qu'une fois récupéré, ça n'a plus de pouvoir. Par exemple, si tous les T-shirts de metal s'achètent en grande distribution demain, ils perdront beaucoup de leur valeur. Il y a une forme de reconnaissance attendue, parce qu'on est passés sous le radar des institutions en France pendant plus de 25 ans. Et en même temps, lorsqu'une forme de reconnaissance se profile, on a peur que ça détruise l'entre-soi qu'on avait au départ.
L'esthétique macabre et horrifique du metal sert-elle de fonction repoussoir ? C'est choquer pour ne pas se faire récupérer ?
Effectivement, les thématiques metal ont toujours été liées au cinéma d'horreur et à l'occultisme. Il n'y a pas de phénomène de croyance, mais par contre, un jeu avec ce qui dérange le plus la société. Choquer, aller à contre-courant, ça permet une mise en marge : le public qui n'est pas familier de cette scène a du coup peur d'y entrer. En même temps, c'est aussi un instrument de révolte contre toute forme de domination. Beaucoup de groupes se sont amusés à jouer avec les limites, en particulier du religieux, et contre la chrétienté majoritairement.
Certains groupes véhiculent aussi un message fasciste dans le metal. En février, un festival de black metal néo-nazi a été interdit par la préfecture du Rhône. Que fait la communauté metal à ce sujet ?
Les groupes fascisants ou connotés extrême droite, ils existent, on ne va pas se mentir. Mais ça reste très anecdotique au niveau de la population metal. Ils ne sont pas du tout représentatifs. Sur les 7 000 plus gros groupes de metal, il va falloir aller chercher loin pour en trouver ! Dans le public, c'est pareil : dans les dernières statistiques réalisées au Hellfest, qui remontent à 2019, l'extrême-droite représentait moins de 5% des personnes interrogées sur leur bord politique. Les groupes fascisants qui ont un discours inadmissible sont peu nombreux et ils ne jouent pas. Ils sont très clairement écartés des festivals, petits ou grands. On le voit bien dans le cas que vous évoquez : ils ont été obligés d'organiser un truc entre eux parce que personne ne voulait d'eux. Le public metal n'en veut pas. Pour la communauté, c'est la pire image possible et elle ne correspond pas à la réalité. Aujourd'hui, on a plus de groupes qui sont engagés dans les luttes écologiques, comme Gojira, pour les droits des femmes, pour la sensibilisation au handicap et pour l'inclusion de tout le monde, que de groupes fascisants. Au Hellfest, on voit des personnes handicapées en fauteuil soulevées par la foule… Et puis, il ne faut pas oublier qu'historiquement, dans les grandes manifestations metal, tout ce qui est phénomène identitaire hors metal disparaît : la classe sociale disparaît, la couleur de peau aussi. Tout le monde s'en fiche !
Le metal est un genre en perpétuelle évolution, dont il existe plusieurs centaines de sous-styles. Quelles sont ses dernières évolutions ?
Il y en a plein. Avant, c'était un genre très cloisonné, death metal, black metal, thrash metal etc. Alors que là, on voit des formes d'hybridation entre les sous-styles. Par exemple, truc improbable : un groupe comme Lorna Shore, qui arrive un peu de nulle part après avoir eu une carrière tranquille, se retrouve à chanter aux Grammy Awards l'an dernier. C'est un groupe très surprenant si on ne connaît pas le metal, avec un chanteur qui fait une sorte de crossover entre death et black au niveau de la voix, et des parties très rythmiques. Mais je pense que la grosse évolution en cours, c'est le lien avec les cultures locales. Alien Weaponry l'a montré en Nouvelle-Zélande, en faisant le lien avec les cultures Maoris. Si j'exclus un peu la scène scandinave, qui est depuis déjà une vingtaine d'années sur cette thématique, on pourrait parler de Finntroll en Finlande, ou de Wardruna, qui a explosé dans d'autres sphères que le metal, puisqu'ils font des musiques de jeux vidéo. Le lien aux cultures locales fait souffler un vent de renouveau. Il permet de promouvoir sa culture, de la faire connaître et découvrir, et en même temps, il permet au metal de s'enrichir tout en touchant de nouveaux territoires. On le voit avec The Hu en Mongolie, qui a très bien marché, mais derrière, il y a Uuhai, qui va certainement se faire connaître dans les années à venir. Ces groupes-là utilisent leur culture locale, soit comme mythologie, soit dans les textes, mais souvent dans la musicalité. Une musicalité qui reste potentiellement plus accessible pour des gens qui s'intéressent à d'autres styles de musique que le metal.
Exposition "Metal, Diabolus in musica” à la Philharmonie de Paris du 5 avril au 29 septembre 2024
221 avenue Jean-Jaurès, 75019 Paris
Du mardi au jeudi de 12h00 à 18h00
Le vendredi de 12h00 à 20h00
Samedi et dimanche de 10h00 à 20h00
Tarifs : de 6 à 14 euros, gratuit pour les moins de 12 ans
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