Jack White ose tout sur son nouvel album solo, le survolté "Fear of the Dawn"
Sur son cinquième album solo, le patron du garage rock Jack White frotte sa guitare au rap, au dub et surtout aux synthétiseurs et aux samples. Il prend des risques : ce disque foisonnant et chaotique ne plaira pas à tout le monde. La liberté est à ce prix.
Mais qu’est-il arrivé à l’ancien leader des White Stripes ? De quoi son nouvel album solo, le cinglé et furibard Fear of the Dawn (Peur de l'Aube), est-il le nom ? Que s'est-il passé pour que le roi du garage, tenant jusqu’ici d’un certain classicisme rock, s’amuse ainsi à envoyer bouler tous les dogmes, à brouiller toutes les lignes de façon si rageuse ?
Un rock éruptif frotté au rap, au dub et aux synthétiseurs
Lui, l’amoureux des disques vinyle, le puriste des équipements analogiques vintage, lui qui n’a jamais eu de téléphone portable, aurait-il décidé d’entrer dans la modernité en avançant le curseur jusqu’au futur du rock ? C’est ce qu’on se demande en écoutant ce disque survolté avec lequel Jack White frotte sa guitare au rap, au dub et surtout aux synthétiseurs et aux samples. On ne sait pas si c’est le futur du rock mais c’est en tout cas un formidable coup de pied aux fesses et aux tympans qui ne ralentit jamais la cadence.
Son dernier album solo, Boarding House Reach (2018), n’a pas laissé un souvenir impérissable. Peu convaincant, il déployait déjà cet appétit d’expérimentations, dynamitant les frontières entre rock, hip-hop, jazz et électronique sur des titres comme Respect Commander ou Ice Station Zebra, qui le voyait même oser pour la première fois rapper.
Sur Fear of the Dawn, Jack White passe à la vitesse supérieure et lâche les chevaux. On l’imagine seul dans son studio, les yeux exorbités, s’amusant comme un adolescent, samplant sa guitare, tournant les boutons des synthés en tous sens, goûtant à chaque son avec joie, comme si c’était la première fois. Avec pour mission de faire le plus de bruit possible. Ce 12 titres en mode "high energy" peut d’ailleurs très vite épuiser, mieux vaut être en forme pour l’aborder la première fois, vous êtes prévenus.
Comment ce chaos tient-il debout ?
Passés les trois premiers titres de rock pied au plancher sur lesquels Jack White tient tous les instruments, dont le thérémine, les synthétiseurs et les percussions, on entre dans le vif du sujet, accrochez vos ceintures, avec Hi De Ho, un capharnaüm qui greffe notamment un sample de Cab Calloway à des bleep électroniques, un riff de guitare rock, et un rap de son pote Q-Tip de A Tribe Called Quest (dont la voix est méconnaissable). Contre toute attente, ça fonctionne.
Eosophobia, le dub affolant hanté de riffs saccadés et de cris stridents qui lui succède est une autre dinguerie à vous mettre K.O. debout, avant le summum inénarrable du disque, Into The Twilight. Avec ses chœurs rétro mêlés à une batterie sèche et groovy à la Prince & The Revolution, un sample chahuté de William S.Burroughs et un autre de Manhattan Transfer, sans compter la basse de sa fille Scarlett, 15 ans, il s’agit d’un téléscopage chaotique et farceur presque hilarant. On pourra le trouver abominable et monstrueux, mais l’édifice tient debout et c’est une gageure.
Tout comme What’s The Trick sur lequel Jack White éructe un proto-rap démentiel, escorté de cow bells (celles entendues chez Run DMC et LCD Soundsystem) et d’un gros clin d’œil final à Daft Punk, qui nous laisse la mâchoire pantelante. On retiendra encore Morning, Noon and Night, un titre plus sage qui lui ressemble davantage, sur lequel on entend le premier solo de guitare d’un tiers sur un de ses albums, celui de Duane Denison de The Jesus Lizard, venu jammer un jour dans son studio.
Nouveau mode de vie
Une rare interview accordée au journal britannique Mojo offre un début d’explication. Bien sûr, le natif de Detroit veut toujours éviter la redite, explorer des choses qu’il n’a jamais faites (peu importe qu’elles aient déjà été faites par d’autres auparavant, précise-t-il). Mais on apprend surtout que Jack White, 46 ans, a décidé de changer radicalement de mode de vie depuis 2020, bannissant le sucre de son alimentation et entamant des jeûnes poussés avec salut matinal au soleil, afin, dit-il, de retrouver de l’énergie, une de ses nouvelles obsessions. Ce fut "une renaissance", que manifeste sa nouvelle chevelure bleue, et "une expérience électrisante", selon lui. D’où cette impression qu’il a mis les doigts dans la prise. Littéralement. Il a d’ailleurs été si productif qu’il ne sortira pas un, mais deux albums cette année, le second, Entering Heaven, plus apaisé et blues, étant annoncé pour le 22 juillet.
Avec Fear of the Dawn, Jack White prend le risque de surprendre et de déplaire. On pourra trouver cet album inécoutable et totalement vain. On parie qu’il deviendra culte. Ne serait-ce que parce qu’il tente d’effacer le mot impossible du vocabulaire musical et annonce la dinguerie qui vient, d’où qu’elle vienne, il mérite d’être salué.
Fear of the Dawn de Jack White (Third Man Records) sort le 8 avril
Jack White sera en concert en France cet été : le 7 juillet à Lyon, le 12 juillet à Carcassonne, les 18-19 et 20 juillet à Paris (Olympia).
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