"La littérature est ma religion, le rock’n’roll mon addiction" : Elliott Murphy livre les mémoires d'un Américain à Paris
Installé dans la capitale française depuis 30 ans, le songwriter new-yorkais Elliot Murphy vient de sortir son autobiographie. Nous l'avons interviewé à cette occasion.
"Le nouveau Dylan", c’est ainsi qu’il a été étiqueté par les critiques rock à la sortie de son premier album Aquashow en 1973. Avec une plume aiguisée, à l’érudition littéraire évidente, une voix proche du grand Zim, et des orchestrations dans la veine springsteenienne, Elliott Murphy a traversé les seventies avec panache et quatre superbes albums folk-rock. Avec le Boss et Lou Reed, ils formaient sans doute le trio des meilleurs songwriters new-yorkais. Mais au lieu d’embrasser le succès de rock star comme les deux autres, il a mené une autre carrière, le destin en ayant décidé autrement.
En traversant l’Atlantique, il a rencontré son public en Europe, qui le suit toujours fidèlement aujourd'hui, depuis un concert resté célèbre, en 1979 au Palace à Paris. Cette ville où il s’est définitivement installé en 1989, elle l’a accueilli à bras ouverts et lui a reconnu son talent en le nommant Chevalier des Arts et des Lettres. Car en plus d’avoir enregistré pas moins de 35 albums, Elliot Murphy a également publié des romans, ou écrit dans la presse. Cet admirateur de Fitzgerald avait d’ailleurs débuté sa carrière d’écrivain en rédigeant les notes de pochette du disque mythique 1969 : The Velvet Underground Live. On a fait pire comme référence.
Alors, Elliott Murphy, chanteur, compositeur, musicien poète, écrivain ? Pour en savoir un peu plus, celui qui vient de publier ses mémoires, Just A Story From America, a répondu à nos questions.
franceinfo culture : Comment vous définissez-vous : rocker, écrivain, poète... ?
Elliott Murphy : Je porte plusieurs casquettes. Je suis un écrivain, mais j’ai surtout gagné ma vie comme un musicien, chanteur-compositeur. Avant mon premier disque sorti en 1973, j’ai écrit les notes pour un album live du Velvet Underground, le Live 69, donc ma première publication a été en tant qu’écrivain. Ce que j’ai toujours dit c’est : "La littérature est ma religion, et le rock’n’roll est mon addiction". J’ai toujours écrit des chansons, des romans, ou des articles journalistiques. J’ai besoin des deux.
Quand vous avez démarré dans la musique, on vous a placé sur un piédestal. "Le nouveau Dylan", c’était difficile à porter ?
C’était une étiquette très honorable mais très difficile en même temps. Et surtout, mon tout premier disque Aquashow était comparé aux 6e et 7e disques de Bob Dylan : Highway 61 revisited et Blonde on Blonde (considérés comme des chefs d’œuvres incontournables dans l’histoire du rock et le summum de la carrière de Dylan, NDLR). Donc la question c’était : mais qu’est-ce que je vais faire après ça ? Après mon premier disque ? (rires)
Bob Dylan, c’est le Picasso du Rock’n’roll
Elliott Murphy
Heureusement à cette époque, Dylan n’était pas très actif, et j’étais de la même génération que Bruce Sringsteen, John Prine et plein d’autres. Et puis c’était naturel pour les médias de chercher "le nouveau Dylan" comme ils ont cherché les nouveaux Beatles ou les nouveaux Rolling Stones. Je me souviens très bien, Aerosmith était présenté comme "les nouveaux Stones". C’était difficile, mais c’était une très bonne comparaison. J’adore Bob Dylan. A mon avis, il est le Picasso du rock’n’roll. Donc c’était une médaille que je portais avec honneur.
Durant ces années 70, on était encore dans l’âge d’or du rock. Quels souvenirs gardez-vous de ces années ?
Beaucoup de moments formidables. Rien que la côte est, autour de New York, c’était vraiment une bulle de cet âge d’or. J’ai fait les premières parties pour les New York Dolls, les Kinks, le Jefferson Starship… c’était une époque "ouverte". C’est vraiment le mot qui la caractérise. Ce n’était pas très difficile de jouer dans les clubs. Il suffisait de bonnes chansons, et ce n’était pas très compliqué de signer un contrat avec une maison de disques.
Vous racontez dans votre livre qu’à l’époque, quand on envoyait une démo à une maison de disques, il y avait beaucoup plus de chances qu’ils l’écoutent, par rapport à maintenant
Actuellement, je pense que c’est quasiment impossible. Maintenant, ils ont besoin de beaucoup d’intermédiaires : des avocats, des managers… si un musicien ordinaire de banlieue, comme je l’étais à l’époque (natif de Long Island, NDLR) essaie aujourd’hui d’envoyer une démo à une maison de disques, c’est retour immédiat à l’expéditeur, et sans avoir écouté (rires).
Et pourtant maintenant, il y a plus de possibilités pour faire et diffuser de la musique
Oui, c’est le paradoxe. C’est moins cher avec les home studios, c’est plus facile d’enregistrer un disque, et plus facile de le publier, mais la contrepartie est qu’il y a beaucoup plus de musique aussi !
Vous avez été proche de Lou Reed aussi à cette époque…
Oui, c’était un ami. Il m’a beaucoup soutenu après la sortie de mon premier album. Il m’a conseillé pour survivre dans le business de la musique. Et puis il avait grandi à Long Island, comme moi. Nous avions beaucoup de points communs.
J’ai vécu plus de temps à Paris qu’à New York
Elliott Murphy
Et puis en 79, avec ce fameux concert au Palace, vous êtes tombé amoureux de la France ?
Je suis toujours amoureux de la France ! C’est une très longue histoire d’amour. J’habite ici depuis 30 ans. J’ai vécu plus de temps à Paris qu’à New York. La qualité de vie, la culture, la façon de vivre ici me conviennent parfaitement.
Le public français et même européen, vous adore. Comment l'expliquez-vous ?
C’est réciproque. Tout de suite après ce premier concert au Palace à Paris en 79, j’ai commencé à tourner en Espagne, Belgique, Italie, les pays scandinaves… et j’ai trouvé un public fidèle jusqu’à aujourd’hui. Lorsque j’ai fait des live en streaming pendant le confinement, j’ai été suivi par les publics européen, américain, japonais, cambodgien… j’ai gardé une audience internationale. J’ai vraiment beaucoup de chance.
Depuis que vous êtes en France, vous faites tout vous-même : l’enregistrement, la production et même la distribution
Le système de distribution en France et en Europe est différent des Etats-Unis. C’est moi qui produis mes disques, et ensuite je signe une licence avec six ou sept maisons de disques indépendantes, une par pays. Et ça fonctionne très bien. J’ai été pionnier en tant qu’artiste indépendant. Quand je suis arrivé en France il y avait beaucoup de maisons de disques indépendantes, comme New Rose avec Patrick Mathé.
Vous avez eu une relation particulière avec Patrick Mathé
Oui j’ai travaillé avec lui du temps des labels New Rose et Last Call. On a fait quinze disques ensemble. C’était un très bon ami. J’ai été vraiment très attristé lors de sa disparition il y a deux ans.
Je reste fidèle envers mes disques
Elliott Murphy
Dans votre livre, vous dites qu’à chaque fois qu’un album est terminé, c’est un peu un crève-cœur de le laisser tomber pour attaquer le suivant. Vous n'êtes pas comme ces artistes qui, à peine un disque fini, sont déjà dans l’après ?
Non. Je reste fidèle envers mes disques. Six mois après leur sortie, je continue de les écouter en pensant que j’aurais pu les enregistrer autrement. Pour moi, c’est toujours très difficile de les laisser partir. Mais je m’y fais quand je commence à travailler sur le suivant. C’est ce qui m’arrive en ce moment. J’ai débuté un nouvel album, dans le même style que le précédent, enregistré pendant le confinement, à distance avec Olivier Durand : The Middle Kingdom.
C’est un petit peu du slam non ?
Oui carrément ! Je n’y ai pas pensé quand je l’ai enregistré. Mais mon fils Gaspard qui a produit et mixé le disque m’a dit "papa, c’est comme du slam !" Et je suis fier de rentrer dans cette catégorie.
Votre fidélité à vos disques, c’est par exemple Aquashow deconstructed, l’album de 1973 revisité en 2015 ?
Exactement. C’était une expérience bouleversante. Par exemple, quand j’ai ré-enregistré How’s the family, presque 50 ans après, en présence de mon fils. J’ai été très heureux de la réception de Aquashow deconstructed. C’était très fort. Et justement c’est Patrick Mathé qui m’avait proposé l’idée : réarranger l’album. Mais avec exactement les mêmes paroles. Je n’ai pas changé les paroles.
C’est là qu’on voit la force des textes. Même 50 ans après, ils résonnent toujours sur les nouvelles générations
Je l’espère ! Quand je joue en Espagne ou au New Morning chaque année pour mon birthday-show, je vois toujours environ 25% du public qui a moins de 30 ans. Ça fait chaud au cœur
Aux Etats-Unis, la musique ce n’est pas de la culture, ça fait partie du business
Elliott Murphy
Quel regard portez-vous sur l’Amérique depuis la France ?
Ouh la la ! Je suis comme un migrant, mais je continue de suivre l’actualité mondiale bien sûr. Je suis inquiet pour le niveau de la culture aux Etats-Unis.
C’est cette vision différente de la culture qui vous a attiré en France ?
C’est surtout la vision du rock en France qui me plaît. Aux Etats-Unis, la musique ce n’est pas de la culture, ça fait partie du business. En France, j’ai eu l’honneur de recevoir la médaille de Paris, d’être fait Chevalier des Arts et Lettres. Il n’y a pas d’équivalent aux Etats-Unis.
En parlant d’Etats-Unis, votre ami Bruce Springsteen a sorti un album récemment (Letter to you). Comment l’avez-vous trouvé ?
J’aime tout chez lui. J’adore l’Homme, l’artiste, le compositeur, le chanteur, le musicien. Et ce Letter to you est un très bon disque. C’est quelqu’un qui est comme moi, il a dédié sa vie à son art, il ne s’est jamais arrêté. Moi non plus je ne me suis jamais arrêté.
Votre passion pour la musique et la littérature, c’est indissociable de votre vie ?
Oui, j’en ai vraiment besoin. Pour exprimer mon âme, ma place dans la vie, dans le monde d’aujourd’hui. C’est pour ça que j’aime les Français. Parce qu’ils sont beaucoup dans l’analyse, la réflexion, la dissertation, pour arriver à la fin à une conclusion. Et je suis comme ça. C’est pour ça que je me plais ici.
La musique, c’est comme une rivière, elle finit toujours par trouver sa direction
Elliott Murphy
Comment voyez-vous l’avenir avec la situation sanitaire ?
J’espère qu'avec le vaccin on va pouvoir reprendre les concerts. Entre les deux confinements, j’ai fait deux concerts, tous les deux pleins. C’était un peu bizarre de se retrouver face à un public masqué (rires). Mais la musique, c’est comme une rivière, elle finit toujours par trouver sa direction, même avec l’épidémie.
"Just a story from America" est sorti le 5 novembre aux Editions du Layeur
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