"L'idée c'est de faire le rock le plus sincère et le plus honnête possible" : rencontre avec les quatre passionnés de Last Train
Last Train, qui vient de sortir un second album intense, "The Big Picture", est plus qu'un groupe de rock. C'est une fusion d'amitiés qui avance et s'épanouit à l'unisson depuis plus de douze ans. Qui sont ces quatre garçons adeptes du "dot it yourself" et quelles sont leurs sensibilités ? Rencontre.
Les quatre jeunes en noir de Last Train viennent de sortir leur second album, The Big Picture. Ce disque de rock fiévreux, zébré de guitares plaintives ou rageuses et de silences, les impose comme l'un des plus prometteurs flambeaux du rock français. Le live, qui peut ressembler chez eux à une catharsis, est leur raison d'être : sur scène, Jean-Noël (chant, guitare), Julien (guitare), Timothée (basse) et Antoine (batterie) donnent tout. Avec quelque 300 concerts au compteur, la route est leur domicile. Mais ces Alsaciens relocalisés à Lyon impressionnent aussi par la maîtrise totale de leur projet à un si jeune âge - ils fêtent tous leurs 25 ans cette année. Ces acharnés de travail adeptes du "do it yourself" ménagent jalousement leur indépendance et contrôlent tout de A à Z, des clips aux tournées. Et défendent même d'autres formations, via leur label et leur agence Cold Fame, quand ils ne montent pas un festival, La Messe de Minuit.
Nous avons voulu en savoir plus sur leurs influences et leurs sensibilités, sur tout ce qui a irrigué, parfois de façon invisible, leur nouvel album, son ampleur et ses subtilités. Si la parole limpide et passionnée du leader naturel Jean-Noël domine ici, c'est pour cause de jour de grève dans les transports. Retenus dans les embouteillages monstres, ses camarades ont eu deux fois moins de temps pour nous parler.
"On a tout appris et tout découvert ensemble"
Jean-Noël Scherrer : Last Train c’est une histoire de copains, on s’est connus au collège, vers onze-douze ans, et on a tout de suite fait de la musique ensemble. Aucun de nous n’avait de parents amateurs de musique. Du coup on a tout appris et tout découvert ensemble, en échangeant. J’ai commencé par le piano et ensuite on a écouté les premiers groupes de rock qu’on nous mettait entre les mains, comme Sum 41, Avril Lavigne. J'ai vraiment envisagé de faire de la musique sérieusement avec des groupes comme Queens of the Stone Age ou Nine Inch Nails de Trent Reznor. Aujourd'hui, on écoute de tout, parce qu'il y a de bonnes choses à prendre partout dès lors que c'est sincère. Mais chez nous, un groupe fait l'unanimité à 150% : c'est Wu Lyf, un groupe de Manchester qui a sorti l'album parfait, Go tell fire to the mountain en 2011, puis s'est éteint. Ils avaient des éléments de post-rock et d'ambient qui nous ont énormément marqués. C'est notre madeleine de Proust, celle de nos années lycée.
"Notre rock reste viscéral mais on adore la musique élégante"
Jean-Noël Scherrer : Last Train est un groupe rock mais nos influences sont beaucoup plus larges. Au premier album nous n'avions pas réussi à l'exprimer. On avait 17-18 ans, on était sur la route tout le temps, on était quatre copains qui faisaient du rock incisif et bruyant. Pour le second, il fallait montrer qui on était. The Big Picture a été davantage irrigué par notre sensibilité pour la musique élégante, les musiques de films, la musique néo-classique, des musiciens comme Nhils Frams, Olafur Arnals. On écoute aussi beaucoup de post-rock, beaucoup d'instrumental et d'ambient. On reste dans l'énergie, un groupe rock un peu viscéral, mais nous avons compris que la musique c'est aussi du silence et qu'on peut jouer avec ça. En fait, ce qu'on aime c'est qu'une musique puisse être la bande originale de ta propre vie. Tu es dans la rue, tu écoutes quelque chose et c'est comme si c'était un film, ton propre film, et que tu choisissais la BO qui allait aller dessus. Avec Last Train, on cherche notre vérité : l'idée c'est de faire le rock le plus sincère et le plus honnête possible.
"Chaque concert est un combat"
Jean-Noël Scherrer : La scène c'est l'objet du groupe, le pourquoi du comment de ce que l'on fait. Notre nouvel album a d'ailleurs été pensé et composé pour le live. Chaque concert de Last Train est un putain de combat. Et on n'est vraiment pas les mêmes quand on monte sur scène que quand on en sort. C'est ultra physique, c'est très intense. Parce qu'on a des choses à prouver. Quand on quitte la scène, on est vidés, on est morts. On se retrouve dans des états pas possibles, les doigts en sang, l'arcade ouverte, des éléments de notre matos pété. Et le lendemain on doit redonner un concert, dealer avec ça. Ce qui caractérise le plus Last Train sur scène c'est ce dévouement envers le propos.
"Albums, clips, tournées : on fait tout nous-mêmes"
Jean-Noël Scherrer : Notre principe de base c'est que personne ne va le faire pour nous. Du coup, on fait tout nous-mêmes, des clips à la production. Plus on avance plus c'est extrême ! Il y a un côté control freak de ouf autour du projet Last Train. On a commencé par monter nos tournées et produire nos disques. Mais pour le premier album, on a travaillé avec d'autres personnes, on a notamment signé une licence avec Barclay. Or, en montant Cold Fame (leur label et agence de production de concerts, ndlr), nous nous sommes rendu compte que tous ces métiers que nous avions confié à d'autres, nous pouvions les exercer nous-mêmes. Nous avons surtout réalisé que pour toutes ces personnes extérieures, Last Train n'était pas forcément une priorité alors que c'était notre vie qui était en jeu. Aujourd'hui, on est producteurs de la tournée, producteurs de l'album, producteurs des clips, on fait du co-management. En tout, l'équipe se monte à une dizaine de personnes : il reste Marie notre attachée de presse, Romain notre agent, Jules notre manager, la fabuleuse équipe technique et le groupe. Le centre névralgique des décisions c'est le groupe et ça change tout. Parce que plus il va y avoir d'intermédiaires plus ton propos va être déformé et moins le projet va te ressembler.
"On a commencé par jouer en Chine. Ensuite, l'Asie est devenue une obsession"
Jean-Noël Scherrer : On a énormément tourné ces dernières années mais on a tous été super séduits par l'Asie. On a d'abord eu l'opportunité de jouer en Chine et on n'a pas hésité. Ensuite, l'Asie est devenue une obsession. Contrairement aux Etats-Unis, auxquels on a été familiarisés dans tous les films et toutes les séries, lorsque tu arrives en Asie tu n'as plus de repères. Tout change : les couleurs, les odeurs, la nourriture, les gens. Et c'est cette découverte et ce dépaysement qu'on aime plus que tout. On a joué au Japon, en Inde pour une douzaine de dates, en Birmanie, au Vietnam, et tout récemment en Corée du Sud. Séoul nous a rendus dingues.
Timothée Gerard : Pour nos premiers pas en Asie, en Chine, nous sommes tombés à Shangaï dans une salle proche d'un petit parc où plein de couples dansaient, sous des lampions. C'était romantique, c'était trop chou, avec cette musique et cette brume permanente qui tamisait les lumières. Suite à notre voyage au Japon j'ai commencé à apprendre le japonais et tu te rends compte que ce n'est pas juste une autre langue, c'est aussi une autre façon de penser, d'appréhender le monde.
Antoine Baschung : Dans la mesure où le langage est ce qui structure la pensée, ça doit avoir une incidence majeure, possiblement aussi sur les émotions.
Julien Peultier : Personnellement, toute cette esthétique visuelle, cette écriture mystérieuse qu'on ne comprend pas bien, je trouve ça fantastique. Le premier album on l'a fait en France, le second en Norvège, mais peut-être qu'un jour on en fera un en Asie.
"Pour la première fois, le cinéma est entré dans les influences de notre album"
Julien Peultier (qui réalise la plupart des clips du groupe): Dans la recherche visuelle j’aime beaucoup Xavier Dolan. Il est incroyable aussi dans l'écriture et les dialogues. Je peux me regarder en boucle La Haine de Matthieu Kassovitz, pour l'esthétique comme pour le discours. J'aime les films sociaux à la Ken Loach.
Jean-Noël Scherrer : Le Seigneur des Anneaux, aussi bien le bouquin de Tolkien, plein de sous-couches et tout simplement magique, que l'adaptation en films, a bercé toute mon adolescence et celle d'Antoine. Ensuite il y a eu la découverte de la musique d'Howard Shore. Un truc me fascine dans le cinéma, c'est comment tu arrives à l'émotion. Il y a le blockbuster bien réglé où tout le monde va se mettre à chialer en même temps et puis tu as des films beaucoup plus fins, plus profonds. Sur notre deuxième album, comme pour Le Seigneur des Anneaux, il y a tout qui s'aligne, tant sur l'histoire que sur les personnages, que sur leur relation, que sur la musique. Il fallait que tout tende vers l'émotion que je voulais faire ressortir. Plutôt mélancolique.
Timothée Gerard : La bande originale de la série Game of Thrones est complètement ouf, aussi. Il y a d'abord le thème du générique qu'on entend pendant huit saisons. Ensuite, tu réalises que chaque personnage et chaque monde a un thème musical. Sauf que dans tous, on retrouve le thème principal du générique. Sur notre nouvel album on a joué un peu avec ça. On a repris un thème : la fin du 3e morceau est faite avec les cordes de l'avant dernier titre, composé au départ au piano. Du coup il y a une sorte de continuité dans l'album.
Jean-Noël Scherrer : Pour la première fois, le cinéma est entré dans les influences de notre album. Auparavant, je ne comprenais pas comment un groupe de musique pouvait être influencé par le cinéma. Maintenant, je ne serais pas étonné qu'on se mette un jour au défi de réaliser un film.
The Big Picture, le second album de Last Train, est sorti le 13 septembre
Last Train est en tournée partout en France cet automne, avec une date à Paris le 6 novembre au Trianon.
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