LCD Soundsystem revient avec le bouleversant "American Dream"
Toujours aussi pertinent, marqué par l'hécatombe récente de musiciens
Après avoir tiré sa révérence en fanfare en février 2011 avec un concert d'adieu au Madison Square Garden, LCD Soundsystem, le groupe new yorkais qui a œuvré au rapprochement rock et dance dans les années 2000 avec des hits comme "Daft Punk is playing at my house", est de retour avec un nouvel album. S'il est inespéré, ce retour pourrait avoir un petit goût de trahison (arrières-pensées, effet marketing etc), auprès des fans de ce groupe new yorkais connu pour son intégrité, qui avait préféré s'auto-saborder en pleine gloire que de se répéter.James Murphy, qui s'est finalement résolu à reformer le groupe sur les conseils de David Bowie - il m'a demandé "Est ce que ça te met mal à l'aise ? Bien. Si tu n'es pas inconfortable tu ne fais rien"- se devait d'autant plus de ne pas décevoir. Et, on l'écrit avec soulagement, il ne déçoit pas. En 2017, LCD Soundsystem reste tout aussi pertinent, voire davantage, que le groupe adulé dès le premier album en 2005. Il a cependant changé. En prise avec la marche du monde et la mort en série d'une grosse poignée de héros dont David Bowie, Lou Reed, Alan Vega, Leonard Cohen, Lemmy et Prince.
Hanté par la mort et le passage du temps
Une première chose frappe sur ce quatrième album : comme nous l'avions remarqué lors de leur passage au festival We Love Green en 2016, James Murphy a beaucoup évolué au micro. Il ne se contente plus de parler, de scander ou de brailler. Il chante désormais. Et avec une clarté qu'on ne l'imaginait pas vouloir ni pouvoir atteindre. Sur le refrain de "I Used To" par exemple, où il monte dans les aigus sans forcer, mais aussi sur le funèbre "How Do You Sleep ?" où il prend des accents à la Jim Morrison, ou encore sur le tournoyant "American Dream" où perce sa vulnérabilité comme jamais.
Un second constat saute aux yeux dès que l'on se penche sur les paroles: ce disque est hanté par la mort et le temps qui file. La mort, l'âge, la finitude et l'impermanence sont évoqués d'une façon ou d'une autre dans quasiment chacun des dix titres. La mort des autres mais aussi la mort d'un monde et celle de James Murphy, 47 ans, qui se rapproche. En restant souvent elliptique, il est néanmoins comme toujours d'une précision remarquable dans ses textes, capturant comme personne de mini saynètes et, plus encore, des états d'esprit.
James Murphy plus personnel que jamais dans ses textes
James Murphy se montre surtout moins snob et arrogant qu'avant, moins ramenard dans ses paroles. Il a laissé de côté le sarcasme pour s'atteler courageusement à mettre ses tripes sur la table."American dream" ressemble à la gueule de bois d'un quadragénaire qui, sa jeunesse envolée, se réveille brutalement et se regarde dans le miroir avec l'envie de crever. Sur "Tonite", il annonce "la meilleure nouvelle de la semaine" : "nous allons tous finir de la même façon". Et de critiquer férocement le narcissisme général.
"Sur ton téléphone, des numéros de gens disparus que tu ne peux effacer, et des moments importants de ta vie que tu ne peux répéter", remarque-t-il sur "Emotional Haircut". Mais ce n'était pas forcément mieux avant : l'un des couplets de "Call The Police" raconte ses premières années "ennuyeuses" en tant que "punk malheureux", entre une mère handicapée et un père alcoolique. Il n'avait jamais été aussi personnel.
"Oh Baby, le titre d'ouverture, hommage à Alan Vega
Mélancolique mais pas déprimant pour autant
Pour autant, cet album n'a rien de déprimant. Il est même encore dansant, voire trépidant ("Call the Police"). Juste plus émouvant, dans la veine de "New York I Love You" et "All My Friends". LCD Soundsystem y gagne en profondeur, sans jamais abandonner tout à fait son humour caustique ("So call the police/Just text the cops/They're first in line/They're gonna eat the rich" sur "Call the police").Durant les cinq ans d'absence de LCD Soundsystem sur les scènes, James Murphy a été très occupé, ouvrant un bar à vin à Williamsburg (Brooklyn, New York), lançant une marque de café, composant des musiques de films et imaginant une sonorisation (refusée) du métro new yorkais. Il a aussi produit le dernier Arcade Fire. Et travaillé sur l'ultime album de David Bowie, "Blackstar".
L'esprit de Bowie plane jusqu'au titre final, saisissant
Si l'influence de Talking Heads est toujours aussi prégnante sur ce quatrième album de LCD et si le titre d'ouverture "Oh Baby" est un hommage limpide à Alan Vega (Suicide), la figure de David Bowie plane comme aucune autre sur ce disque. Impossible de ne pas penser à Bowie sur "Change Your Mind". Et surtout sur le titre final, à vous filer la chair de poule.Ce titre de clôture s'appelle "Black Screen" et il est une réponse évidente au "Blackstar" final du "Starman" Bowie. "Tu n'as pas pu venir à notre mariage/Trop malade pour voyager/Tu étais entre l'ami et le père (…) J'ai gardé trace de tes e-mails, conservés ensemble/Je les relis parfois pour me souvenir", commence James Murphy d'une voix douce et sépulcrale.
Long de 12 minutes, basé sur quelques notes étiques de Korg, "Black Screen" s'enfonce lentement dans le cosmos, emmené par un piano désaccordé et un rythme de moniteur de réanimation. "Je regarde des images depuis la Station/Terre depuis les satellites/Me sens lent à 17.000 miles de l'heure/ Tu pourrais être n'importe où sur l'écran noir". Sublime et bouleversant. On le jure, Bowie semble être dans la pièce.
"American Dream" de LCD Soundsystem (DFA/Sony)
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