Le chanteur brésilien Moraes Moreira, cofondateur des Novos Baianos, emporté par une crise cardiaque
Cofondateur, compositeur et chanteur des Novos Baianos, groupe de rock et de musique brésilienne culte des années 70, il avait mené par la suite une brillante carrière solo.
Depuis lundi 13 avril, tout ce que le Brésil compte d'amoureux du rock, de MPB (musique populaire brésilienne) mais aussi du tropicalisme, jusqu'à l'ancien président Lula, lui rend hommage. Moraes Moreira est mort dans son sommeil, victime d'un infarctus du myocarde, à son domicile de Gávea, un quartier de Rio où il vivait seul. Il avait 72 ans.
Esprit rebelle
Moraes Moreira, de son vrai nom Antonio Carlos Moraes Pires, est né à Itaçu, dans l'État de Bahia (nord-est) le 8 juillet 1947. Il commence à jouer de l'accordéon puis se met à la guitare à l'adolescence tout en suivant des études scientifiques. Il part vivre à Salvador où il rencontre le musicien Tom Zé, l'un des fondateurs du mouvement tropicaliste. Par la suite, Moraes Moreira fait la connaissance des futurs membres du groupe Novos Baianos : Pepeu Gomes (guitare), Paulinho Boca de Cantor (chant), Baby do Brasil (chant), la seule à ne pas être native de l'État de Bahia, et Luiz Galvão (parolier). Il joue à leurs côtés entre 1969 et 1975. Le groupe se séparera en 1979, avant des réunions en 1995 et 2015.
Influencés par le tropicalisme et la contre-culture, ils entretiennent un esprit rebelle, refusant de se soumettre aux dictats des labels et du show business. Ils en font la démonstration dès 1969 au célèbre Festival de musique populaire brésilienne, à São Paulo. Venus présenter leur premier titre De Vera, ils dépassent le temps qu'il leur a été imparti dans ce concours retransmis à la télévision. Or au Brésil, alors dirigé depuis cinq ans par une junte militaire, on ne rigole pas avec les règles.
João Gilberto, le mentor
Disqualifiés du concours, Moreira et ses amis partent vivre en communauté à Rio où ils affinent leur son de groupe. Ils reçoivent la visite et le soutien d'un autre Bahianais déraciné et éternel indomptable : João Gilberto. Sous son aile, ils glissent de la samba et de la bossa dans leur musique déjà pétrie d'influences. C'est avec leur deuxième album parrainé par Gilberto, Acabou Chorare (1972) qu'ils connaissent la consécration absolue. Presque cinquante ans après sa sortie, cet album, qui comporte plusieurs perles dont son titre éponyme, figure toujours au panthéon des plus grands disques de MPB.
Puis les Novos Baianos s'installent dans une ferme à São Paulo. Ils y réalisent leur quatrième disque, Novos Baianos (1974). Cet album a la particularité d'abriter l'une des rares compositions de João Gilberto, Isabel. Mais il ne connaît pas le succès de ses prédécesseurs, ce qui cause des tensions avec le label du groupe, Continental. Moraes Moreira, jeune père de famille, lassé de la vie en communauté avec ses comparses, quitte la formation et entame une carrière solo en 1975.
En solo, il devient un roi du carnaval
Dans sa nouvelle vie, Moraes Moreira met ses talents de chanteur au service du duo des musiciens vétérans bahianais Dodô et Osmar, pionniers du trio électrique ("trio elétrico") au Brésil, un camion combiné avec une scène mobile équipée du matériel de son, idéal pour le spectacle de rue. Moreira va composer des chansons qui deviendront incontournables parmi les musiques de carnaval, comme Pombo Correio, Bloco do Prazer, Vassourinha Elétrica.
En 2007, Moreira raconte l'histoire du groupe qui lui a valu le succès dans le livre A História dos Novos Baianos, un ouvrage accompagné d'un CD, avant d'enregistrer ses derniers disques de compositions inédites, A Revolta dos Ritmos (2012) et Ser Tão (2018). Les années 2010 auront été marquées par deux grandes tournées commémoratives au Brésil, l'une en 2012 avec son fils Davi Moraes, également musicien, afin de fêter les quarante ans de l'album emblématique Acabou Chorare, l'autre en 2016 avec les Novos Baianos. Mais le groupe n'a pas pu honorer toutes ses dates, Moreira devant être hospitalisé en raison d'un ulcère.
Moraes Moreira s'était produit sur scène à quelques reprises cette année. En janvier, il avait joué à Pelourinho, un quartier de Salvador de Bahia, avec son fils. Il y était apparu affaibli, selon le site du Correio, un organe de presse bahianais. Il était retourné y chanter en février pour le carnaval. Il a donné son dernier concert le 13 mars à Rio, au Clube Manouche, selon le site de Veja Rio qui en a posté un bref extrait.
Quelques jours plus tard, en quarantaine à cause de la pandémie du coronavirus, il avait publié un dernier post le 18 mars sur Instagram : "Je suis à Gávea, entre mon domicile et mon bureau qui sont tout proches, faisant ma quarantaine, à jouer et écrire sans arrêt." Il proposait ensuite un texte en prose qu'il avait écrit la veille, confiant d'emblée avoir "peur du coronavirus", tout autant que d'une "balle perdue" et abordant différents sujets de société - le viol, le machisme, les milices - avec des allusions à peine voilées au régime politique en place au Brésil.
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