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"Led Zeppelin, La Totale": plongée dans l'alchimie d'un géant du rock

Après les Beatles, Bob Dylan ou Pink Floyd, Jean-Michel Guesdon et Philippe Margotin, auteurs de la très respectée série "La Totale", se penchent sur le répertoire de Led Zeppelin. Les 94 chansons de ce quatuor incandescent inventeur du hard-rock moderne sont passées au crible. Le sens des textes, leur contexte, les instruments mis en œuvre et la science du studio : vous saurez tout, tout, tout.
Article rédigé par Laure Narlian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 11min
Led Zeppelin sur scène le 24 mai 1975 à Earl's Court (Londres).
 (Dick Barnatt / Redferns / Getty Images)

Trois kilos d'érudition zeppelinesque

Fans de Led Zeppelin, préparez-vous à prendre un cours magistral de plus de 3 kg sur la tête. Trois kilos d'érudition grâce auxquels l’œuvre commune de Jimmy Page, Robert Plant, John Paul Jones et John Bonham n’aura plus de secrets pour vous.
 
Au fil de ces 600 pages agrémentées de très nombreuses photos, on suit pas à pas la progression de Led Zeppelin né en 1968 sur les cendres des Yardbirds. Chaque album donne lieu à une première analyse générale et contextuelle puis les 94 chansons sont minutieusement disséquées une par une. Des éclairages et portraits, notamment du manager et cinquième membre du groupe Peter Grant, ou du mage Aleister Crowley, guide spirituel de Jimmy page, ponctuent l’ensemble.

Vous craignez l’indigestion ? Impossible parce que vous pouvez trouver en un clin d’œil vos chansons préférées et décider de ne pas vous attarder sur les autres… sauf si des détails vous harponnent. Et ils sont nombreux, même pour les admirateurs du groupe.

On est par exemple surpris d’apprendre que le chanteur Robert Plant, critiqué pour sa voix "criarde" et son comportement excessif, aurait pu ne pas être reconduit au second album ! Mais on est encore plus estomaqués de réaliser que Led Zeppelin II, l’album de Whole Lotta Love, a été élaboré et structuré en pleine tournée, dans d’impersonnelles chambres d’hôtels (mais en galante compagnie, la débauche étant alors à son summum) et enregistré dans 13 studios différents des deux côtés de l'Atlantique.

Led Zeppelin joue "Dazed and Confused" Live à la télé française à "Tous en scène", le 5 sept 1969 (Jimmy Page joue de l'archet sur sa Gibson Les Paul)

Les secrets de fabrication dévoilés

Jean-Michel Guesdon, chargé de l’analyse musicale, nous ouvre littéralement la porte de la construction des morceaux et des différents studios de Led Zeppelin. La science du placement de micros, poussée très loin chez Jimmy Page, ainsi que l’art des arrangements, sont ici expliqués avec une précision maniaque. Quant aux différents instruments, ils sont aussi soigneusement inventoriés.
 
Qu’utilisait le guitariste Jimmy Page sur Stairway to heaven pour l’un des plus grands solos de l’histoire du rock ? Une Dragon Telecaster de 1959, branchée sur son ampli Supro combo. Mais attention : sur scène, il utilisait sa fameuse Gibson EDS – 1275 double manche de 1968 qui focalisa l’attention et forgea sa légende de guitar hero.

Vous comprendrez d’où venait la subtilité du batteur John Bonham, par ailleurs le plus puissant cogneur de fûts de l’histoire du rock - de son amour du jazz et du swing notamment. Et combien le discret John Paul Jones, arrangeur, bassiste et multi-instrumentiste de génie, a compté dans l’alchimie de ce dirigeable hors normes.

Vous découvrirez l’intérêt acoustique du fameux manoir hanté de Headley Grange où le groupe a composé et enregistré en partie quatre albums, dont le chef d’œuvre Led Zeppelin IV. Vous tendrez l’oreille sur les sonorités étranges entendues au cœur de Whole Lotta Love, créées avec un thérémine, et vous vous attarderez sur le piano de Rock and Roll tenu par Ian Stewart, "le cinquième Rolling Stone".

Led Zeppelin joue "Black Dog" Live au Madison Square Garden (New York) en 1973

Les paroles et les pochettes décortiquées

Grâce à Philippe Margotin, en charge des paroles, les inspirations héroïc fantasy et gothiques de Robert Plant n’auront plus de secret pour vous. Vous saurez tout sur le making of des pochettes et en particulier sur la signification des fameux quatre symboles du chef d’oeuvre Led Zeppelin IV, "une ruse pour perturber les médias" bien embêtés à l’heure de reproduire ces quatre signes cabalistiques en lieu et place d’un titre conventionnel.
 
Vous comprendrez pourquoi la chanson érotique Black Dog ne comporte aucune mention de chien noir et pourquoi l’instrumental démonstratif de John Bonham Moby Dick porte le nom d’un roman de Melville. Enfin, vous sourirez en constatant combien l’érudition des deux auteurs, de fins limiers, arrive régulièrement à prendre en défaut et contredire la mémoire même des musiciens (allez directement à Kashmir pour vous en convaincre).

Mais l’exploration de l’alchimie et de l’histoire de Led Zeppelin serait incomplète sans les références à toutes les accusations de plagiat dont le groupe a fait l’objet, en particulier Dazed and Confused, inspiré par Jake Holmes, Whole Lotta Love qui empruntait des paroles de Willie Dixon et bien sûr Stairway to Heaven qui aurait soi-disant plagié Taurus du groupe Spirit. A l’heure où ce cas se retrouve une nouvelle fois dans le collimateur de la justice, voici venu le moment de lire l’interview extrêmement éclairante de Jean-Michel Guesdon. Et de clore le débat sur une éventuelle reformation.

7 questions à Jean-Michel Guesdon, co-auteur, en charge de l'analyse musicale de la série "La Totale"

 

En tant qu’analyste musical, quel est le membre de Led Zeppelin qui vous a donné le plus de fil à retordre ?
Jimmy Page forcément, parce que c’est le compositeur de presque tous les morceaux. Il était aussi le directeur artistique et le grand ordonnateur : c’est lui qui a décidé du son, lui qui a financé le premier album avec son propre argent. C’est quelqu’un de très talentueux, un magicien. J’étais déjà très fan aussi du batteur John Bonham, que je considère comme le plus grand batteur de rock. Et de Robert Plant, bien sûr, avec sa voix exceptionnelle. Mais j’ai découvert en faisant ce livre l’extraordinaire musicien qu’est John Paul Jones. C’était un arrangeur et un bassiste fabuleux, très subtil, et il jouait aussi à la perfection du piano, du banjo, de la mandoline…

Comment analysez vous l’alchimie entre les membres du groupe ?
Comme souvent, l’alchimie ne peut se comprendre que par les affinités musicales. Déjà, ce sont tous à la base de grands musiciens de très haut niveau. Ensuite, ils avaient des goûts éclectiques et se complétaient les uns les autres. L’amour du blues était le dénominateur commun mais ils aimaient aussi le jazz, le classique, la folk et étaient tous très curieux musicalement. Et puis c’était quatre potes, tout simplement.

Les orgies, les groupies mais aussi les références à la drogue et à aux messes noires, vous n’en dites pas beaucoup dans "La Totale". Pourquoi ?
Nous n’en parlons pas trop, effectivement, pour une bonne raison : c’était un peu monté en mayonnaise par les médias, excepté au moment du second album où ils ont complètement déliré et bâti leur réputation. Il est souvent difficile de faire la part du vrai et du faux et notre rôle n’est pas de colporter des ragots. Mais les deux débauchés c’était surtout Plant et Bonham. Quant à l’occultisme, le mage Alestair Crowley, auquel nous consacrons un chapitre, était plus provocateur que maléfique. Il prêchait la débauche des sens mais pour aller vers la lumière, comme Rimbaud.

Outre la lecture de dizaines de livres et de centaines d’articles, avez-vous réalisé des interviews exclusives ?
Nous avons interviewé quelques ingénieurs du son. Je suis surtout content d'avoir réussi à parler avec l’ingénieur du son qui les a enregistrés au Royal Albert Hall de Londres en 1970, lors du concert qui les a consacrés. Il m’a donné la liste du matériel et raconté comment cela s’était passé. Je n'ai lu cela nulle part ailleurs.

Led Zeppelin en 1970. De g à d : John Paul Jones, Jimmy Page, John Bonham et Robert Plant.
 (Michael Ochs Archives / Getty Images)

Quel est votre point de vue sur les accusations de plagiat alors qu’on annonce la réouverture du procès autour de "Stairway to heaven" ?
Jimmy Page a beaucoup emprunté à droite à gauche. Mais comme je le rappelle souvent dans le livre, il s’est approprié les morceaux des autres pour en faire de vraies créations personnelles. Concernant "Stairway to heaven", je ne vois pas comment les plaignants peuvent gagner parce que la descente harmonique que l’on entend au début du morceau est quelque chose de banal. J’ai fait des recherches et déniché deux versions précédentes antérieures à "Taurus" de Spirit (que Led Zep est censé avoir plagié) qui reprenaient cette même descente harmonique venue de folk songs.

Comment expliquez-vous que Robert Plant refuse obstinément depuis 10 ans une reformation, même scénique, avec les deux survivants de Led Zeppelin et pensez-vous qu’ils rejoueront un jour ensemble ?
Je dirais qu’il y a 30 chances sur cent pour que le groupe se reforme un jour. Je pense que Robert Plant refuse parce que pour lui, Led Zeppelin est associé au malheur. Il a quand même perdu son fils Karak âgé de 5 ans durant les sessions de "Presence". On pense qu’il en a voulu à Jimmy Page pour ses messes noires et son occultisme un peu lourdingue, le rendant responsable en partie de ce drame. Ensuite, Page prenait toute la place dans Led Zeppelin, il imposait ses choix. Quand le groupe s’est séparé par force à la mort de John Bonham, Robert Plant s’est retrouvé libre d’explorer d’autres univers musicaux et il n’a sans doute aucune envie de revenir en arrière. Enfin, ce qui l’arrête est peut-être aussi la perspective de stress intense que représenterait une reformation de ce méga groupe.

Savez-vous déjà quel sera le prochain "La Totale" ?
Mais oui : Jimi Hendrix ! Je découvre une personnalité vraiment lumineuse, qui avait connu une enfance horrible et que j’apprécie beaucoup sur le plan humain.
 

"Led Zeppelin La Totale" de Jean-Michel Guesdon et Philippe Margotin (éditions Le Chêne E/P/A)

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