Massive Attack joue les prophètes de malheur sur la tournée "Mezzanine"
Plus qu'un concert, une déconstruction exigeante
27 ans après ses débuts avec le révolutionnaire "Blue Lines", Massive Attack continue d'innover. Sa tournée actuelle, centrée autour de leur troisième album "Mezzanine", un bijou de noirceur claustrophobe sorti en 1998, ne ressemble en rien aux shows flemmards célébrant les anniversaires d'albums, qui font, au mieux, tourner la machine à nostalgie à plein régime.
Résolument tourné vers le futur, Robert Del Naja, alias 3D, tête pensante du groupe, n'a aucune nostalgie. A fortiori pour un album dont il résume ses souvenirs en un mot : "la bagarre". Avant la tournée, il avait prévenu : "Ce n'est pas un concert best-of, ne vous attendez pas à un show hollywoodien". De fait, Massive Attack présente une déconstruction ambitieuse de l'album. Une expérience exigeante. Ce désossage en règle de Mezzanine offre d'abord une réinterprétation dans le désordre des chansons originales dont les samples sont joués live. L'envoûtement est intact. Mais il fait aussi apparaître au grand jour quelques-uns de ses samples majeurs, qui, glissés dans la setlist, constituent un bel hommage a posteriori.
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Les morceaux samplés sur l'album mis en pleine lumière
Ainsi, 10:15 saturday night de The Cure est joué en prélude à Man Next Door qui le samplait. Le groupe interprète aussi I Found a Reason du Velvet Underground (en ouverture, on a été désarçonnée) et Where Have All The Flowers Gone ? de Pete Seeger, samplés tous deux sur Risingson. Il y a aussi un titre de Bauhaus et le punk-rock fiévreux Rockwrock d'Ultravox, sans compter un petit clin d'oeil incongru à Avicii en intro de Group Four.
"Ce concert est équivalent à ce que représentait auparavant la sortie d'un album", analyse 3D dans le Guardian. "Parce que tout a changé - la façon dont nous nous présentons, la façon dont nous partageons tout ce que nous faisons, l'expérience sociale. Tout cela est très différent de l'époque où nous avons sorti Mezzanine. Aujourd'hui, on sort un album pour justifier une tournée, c'est ce que beaucoup de gens font. Du coup, l'album comme produit principal semble dépassé."
Massive Attack reprend « 10:15 Saturday Night » de The Cure mardi au Zénith de Paris. Idée brillante que de rejouer les titres qu’ils ont samplé (en l’occurence sur « Man Next Door »). pic.twitter.com/sjT0Ys970s
— Laure Narlian (@Nijikid) February 13, 2019
Pourquoi aucun dialogue avec le public ?
Au Zénith de Paris mardi 12 février, le show minitieusement réglé de Massive Attack ressemblait davantage à un manifeste inquiet et à un constat accablant sur l'état du monde qu'à un concert. Ce n'est pas le festival du rire, on pouvait s'y attendre. En revanche, le mutisme du groupe et l'absence totale de dialogue avec le public, auquel ni 3D, ni Daddy G, ni Liz Fraser, ni Horace Andy, ne s'adressent jamais, sans un bonjour ni un au revoir, nous ont paru, avouons-le, exagérément distants.
3D s'en explique plus ou moins dans le Guardian. Sur scène, le groupe ne parle pas, reconnaît le cerveau de Massive Attack, mais dans une pièce de théâtre, "les acteurs ne se retournent pas en demandant (au public) "est-ce que ça va?", souligne-t-il. "Je suis content que ce soit imprévisible, c'est l'idée", se félicite-t-il. Pour lui, il est vital que cela "reste déroutant pour nous comme pour le public".
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La scénographie parle pour le groupe
Il faut avouer que les images très prégnantes, projetées en fond de scène sur cinq écrans géants durant toute la durée du concert parlent pour le groupe. Il s'agit d'un flux tendu de signes clignotants, comme une radioscopie féroce et brutale de l'époque.
Les vidéos alternent grâce et beauté du monde (oiseaux, sous-bois, oeuvres d'art) et absurdité de la société de surabondance (juxtaposition hystérique d'ouvrières en usine, de challenges idiots, d'ordinateurs et de célébrités). Quand ce n'est pas la sauvagerie de la guerre, la mort, le sang et les larmes, qui s'invitent en toile de fond sur la reprise de Where Have The Flowers Gone? de Pete Seeger.
Des images brutales pour "sortir les gens de leur bulle"
Questionné au sujet de ces dernières images particulièrement brutales par la journaliste du Guardian Nosheen Iqbal, le documentariste Adam Curtis se montre un peu agacé. "Nous avons fait très attention dans notre choix d'images", assure-t-il. "Elles devaient être puissantes." Sur la folk song pacifiste de Pete Seeger en particulier, il dit avoir voulu "sortir les gens de leur bulle pour leur faire réaliser ce qui se passe en leur nom. Car je crois que nous ne l'avons pas encore vraiment réalisé", dit-il en précisant : "On se bat toujours en Irak et en Afghanistan, vous savez".
Son intention, et celle de 3D qui a co-réalisé la scénographie, était de raconter dans les visuels "l'histoire étrange que nous avons tous vécu ces vingt dernières années depuis la sortie de Mezzanine." Donner à voir ce "monde bizarre et rétrograde où des machines prédisent désormais nos moindres faits et gestes". Et d'offrir matière à réflexion, comme ce message vicieux affiché sur les images d'une poignée de mains Trump-Poutine : "Peut-être que la suspicion c'est le contrôle". Prenez ça dans la figure.
Le résultat, passablement anxiogène, nous donne effectivement le sentiment aigü d'être condamnés, englués plus que jamais dans une lessiveuse cauchemardesque dont on ne voit pas l'issue. Ce que confirme l'ultime message lu sur les écrans à la fin du show : "Nous sommes pris dans un cercle vicieux". Mais, est-il ajouté, "il est temps de commencer à construire l'avenir."
Car comme 3D le rappelle lui-même dans le Guardian, "je suis devenu un prophète de malheur, mais je suis un optimiste en réalité". "J'ai une confiance totale dans la prochaine génération", souligne le musicien âgé de 54 ans. "Voir leur réaction par rapport au changement climatique est très intéressant (...) C'est notre génération et la précédente le problème parce qu'elles refusent de changer."
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