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On y était : Alabama Shakes et Algiers au Festival Les Inrocks 2015

Les bêtes de scène ont pris le pouvoir mercredi soir au Casino de Paris pour la première soirée du festival Les Inrocks 2015. Stars de la soirée, les Sudistes Alabama Shakes emmenés par l'incroyable chanteuse Britanny Howard n'ont pas fait mentir leur réputation. Leurs compatriotes Algiers, qui les précédaient, ont également fait forte impression.
Article rédigé par Laure Narlian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Brittany Howard de Alabama Shakes, le 11 novembre 2015 au Casino de Paris pour le Festival Les Inrocks.
 (Nathalie Guyon / Studio France Télévisions)

La décharge électrique Last Train

En prélude à cette soirée, la jeune sensation du rock français Last Train, qui affiche plus d'une centaine de concerts au compteur cette année, a fait monter en puissance l'électricité. Introduits par un titre très western d'Ennio Morricone, le quatuor démarre fort avec la déflagration des premières secondes de "The Holy Family", extrait de leur dernier EP autoproduit. Frissons lorsque s'invite la voix de l'expressif Jean-Noël, chanteur, guitariste et leader de ce groupe de blousons noirs originaire de Mulhouse. Une voix possédée, écorchée, qui semble devenir toujours plus rocailleuse au fil du temps, au bord de la rupture. Elle tient bon tout du long ce soir, notamment sur les magnétiques "Cold Fever", "Fire" et "Leaving you now".
Le chanteur-guitariste et le bassiste de Last Train le 11 nov 2015 Casino de Paris.
 (Nathalie Guyon / Studio France Télévisions)
La dernière fois qu'on les avait vus c'était à Rock en Seine, en plein jour. La nuit leur va mieux. Les quatre Alsaciens jouent à la fois sur la puissance électrique, très Queens of the Stone Age, et sur une science redoutable des silences. Il savent installer des climats et exploser en sauvagerie. Il s'en faudrait de peu que Last Train mette vraiment le feu.

Le concert de Last Train au Festival Les Inrocks est à voir en intégralité sur Culturebox

L'uppercut insurrectionnel d'Algiers

Jean-Daniel Beauvallet ne nous avait pas menti : Algiers est très impressionnant sur scène. D'ailleurs Algiers n'est pas un groupe, c'est un coup de pied au cul. Et ce groupe d'Atlanta ne donne pas de concerts mais fomente des émeutes. On le perçoit très vite, dès les premières secondes, sans même avoir besoin de comprendre les paroles de "Black Eunuch" qui ouvre le show ("Nous marchons tous dans le noir, avec des ciseaux dans les mains"…).
Le groupe Algiers d'Atlanta sur la scène du Casino de Paris le 11 novembre 2015.
 (Nathalie Guyon / Studio France Télévisions)
Le quatuor tape dans ses mains sur un rythme trépidant et plonge aussitôt l'assistance dans un climat fiévreux, un climat d'insurrection, qui pourrait laisser hébété s'il ne prenait autant aux tripes. Habité, avec une superbe voix de soulman occasionnellement éruptive, le chanteur Franklin danse une transe qui secoue les consciences et allume des brasiers.

Le guitariste, équipé d'un archet, tire de longues plaintes électriques de sa six cordes tandis que le batteur, une longue chevelure brune sans visage d'où émergent deux biscottos armés de baguettes, frappe lentement sur ses fûts comme pour une cérémonie vaudou.

Le bassiste, bonnet collé et polo Fred Perry boutonné jusqu'en haut, tape sur tout ce qui est à sa portée, sa poitrine, son micro, ses poings et même ses joues, et envoie également aux claviers toutes les sonorités électroniques.
Le chanteur et guitariste d'Algiers Franklin James Fisher, le 11 novembre 2015 au Casino de Paris.
 (Nathalie Guyon / Studio France Télévisions)
Ce groupe dont le premier album est sorti ce printemps ne ressemble décidément à aucun autre. Algiers est tout à la fois le feu et la glace, mélange le gospel et la musique industrielle. Il est rouge de colère mais aussi couvert de bleus, douloureux.

L'air s'épaissit encore d'un cran pour le rageur "Irony. Utility. Pretext", qui, avec son rythme en droite ligne de "Planet Rock" de Afrika Bambaataa en accéléré, évoque les brutalités policières contre les Noirs américains. Véritable chant de la défaite, "Blood" fait flamber les chœurs gospels sur un beat funèbre et hérisse le poil – en un éclair, tout le désespoir des esclaves des champs de coton nous tombe sur les épaules. Refermant le concert, "Games", élégie ultra dépouillée semblant implorer le ciel, allège à peine l'atmosphère, à couper au couteau lorsqu'ils regagnent les coulisses sous les applaudissements.

La claque Britanny Howard d'Alabama Shakes

On respire mieux lorsque débarquent les Alabama Shakes. Non pas que ce groupe emmené par la pétulante Britanny Howard soit un groupe futile ou léger, loin de là. Mais comparée à la tension plombée d'Algiers, cette formation attendue avec ferveur par un public de connaisseurs est éminemment souriante et solaire.
Les Alabama Shakes au Festival Les Inrocks 2015 sur la scène du Casino de Paris.
 (Nathalie Guyon / Studio France Télévisions)
Pourtant vaste, la scène du Casino de Paris est désormais presque trop petite pour accueillir ces forçats de la route qui n'ont quasiment pas mis pied à terre depuis leur premier album "Boys & Girls" paru en 2012 ni levé le pied de l'accélérateur. Nominés en 2013 pour trois Grammys et invités à jouer à la Maison Blanche pour les Obama la même année, ils sont parvenus à composer durant leur incessante tournée et à publier en avril un remarquable second album, "Sound & Color", encore plus réussi que le premier.

Un douze titres de blues-rock mâtiné de soul où les tubes certifiés et potentiels se bousculent, de "Future People" qui ouvre le show à "Don't Wanna Fight", "Gimme All Your Love" ou "Sound & Color", toutes jouées ce soir et avec fougue. Seuls deux titres du précédent album ("Hold On" et "You Ain't Alone"), suivis de "Always Right", la BO du film Happiness Therapy, seront glissés au cœur du concert.
Brittany Howard des Alabama Shakes au Casino de Paris le 11 novembre 2015.
Sur scène, ils sont pas moins de cinq musiciens, plus trois choristes. Et bien sûr la chanteuse Brittany Howard, qui officie aussi à la guitare, une Gibson vintage. Inutile de se voiler la face, c'est elle que chacun ce soir est venue voir, écouter et aussi jauger. On attendait une claque, elle est là, en chair et en os. C'est un choc de voir cette Otis Redding en jupons envoyer uppercuts sur uppercuts sans faiblir au micro. Si Algiers était une émeute, Alabama Shakes est une maîtresse femme. Le genre poings sur les hanches avec du répondant, qui ne s'en laisse pas conter.

Britanny Howard n'est pas sur scène depuis cinq minutes qu'on se demande ce que font tous ces musiciens superfétatoires autour d'elle. Elle qui doit retenir la puissance de ses poumons et éloigner le micro à dix centimètres de ses lèvres pour ne pas le désintégrer. Elle qui accompagne chaque syllabe de tout son corps, fait des grimaces insensées pour moduler, elle qui se tord en arrière sur sa guitare, elle qui occupe de fait tout l'espace, vêtue d'une déconcertante longue robe de soie à fleurs.

On avait tort de douter de la pertinence du groupe. Car la précision des musiciens, en particulier son guitariste Heath Frog, son batteur Steve Johnson et son choriste principal, forgent l'écrin dynamique où cette voix a le loisir de s'épanouir de toute son âme. Brittany est une femme à poigne à laquelle rien ne résiste : ni ses musiciens, qui lui obéissent au doigt et à l'œil, ni son public qu'elle sait faire taire d'un geste ou taper dans ses mains d'un coup de menton. Un aimant, une étoile magnétique, dont le tatouage au bras lui indique le nord et la ramène chez elle où qu'elle soit. Celui de l'Alabama.
Brittany Howard des Alabama Shakes 11 nov 2015 Casino de Paris.
 (Nathalie Guyon / Studio France Télévisions)
Les concerts de Algiers et Alabama Shakes seront disponibles très prochainement en Replay sur Culturebox
Le festival Les Inrocks se poursuit jusqu'à dimanche soir et ce jeudi à La Cigale avec Odezenne et Jack Garratt

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