"Springsteen on Broadway" : 8 choses apprises sur le Boss en voyant le documentaire
1La leçon d'Elvis
Pour Bruce Springsteen, qui déroule le fil de sa vie dans ce show, la révolution originelle fut télévisée. "C'était un dimanche soir de 1956", se souvient le musicien qui était alors âgé de 7 ans. Installé devant la télé avec sa mère Adele, il voit surgir dans le poste "la joie, la vie". Grâce à ce type "qui remue les hanches", il entrevoit la possibilité d'une autre existence. Plus libre. Plus fun. En étudiant son "nouveau héros", cet "Adonis humain" portant guitare, il réalise qu'il peut se construire une identité et une vie loin de ce "trou noir sans vie" qu'est l'enfance. "Le génie du rock'n'roll était sorti de la bouteille" et il n'allait plus jamais y rentrer. "J'ai écouté cet appel à l'action", dit Springsteen, qui a tout fait ensuite pour obtenir cette "putain" de guitare. Pour le petit Bruce, la leçon d'Elvis Presley a été fulgurante. Elle disait simplement : "Prends le risque d'être toi-même". Cette quête court tout au long de Springsteen On Broadway. La question posée n'est pas seulement "qui suis-je vraiment ?" mais "vais-je me laisser dominer par mon ADN ou bien vais-je réussir à m'en libérer ?"
2Freehold New Jersey, ce piège mortel
De l'aveu de Springsteen, sa ville natale de Freehold, dans le New Jersey, est un trou désespérant, "une ville pour se foutre en l'air", "un piège mortel". Il a tout fait, dit-il, pour fuir rapidement "cet endroit de merde". Le musicien raconte pourtant avec tendresse et délicatesse cette ville, "une expérience sensorielle à elle seule", qui embaumait le café les jours de pluie en raison des émanations d'une usine locale où son père travailla un temps. "Quand j'étais enfant, personne dans mon entourage n'était jamais allé à New York", se souvient-il. "C'était pourtant à une heure de route ! (…) Aller à New York c'était comme d'aller sur la Lune. On était des provinciaux, on avait peur de New York", dit-il encore. Lui était "fait pour voyager" : "Born to run". "Aujourd'hui, je vis à 10 mn de ma ville d'origine", confesse-t-il. Mais "Born to come-back" ? ("Né pour revenir") Qui aurait acheté ça ?", plaisante-t-il.
3Springsteen en route pour l'Oscar ?
On le réalise dès la première demi-heure du show : Springsteen est un sacré bon acteur. On connaissait la bête de scène, le musicien et entertainer endurant capable de tenir en haleine un stade entier pendant plus de trois heures. On constate ici sans surprise que Springsteen, 69 ans et en pleine forme, n'a besoin de personne : sa voix, son harmonica et sa guitare (ou son piano) suffisent largement à ses chansons pour exister (magnifique version blues acoustique de Born in the USA au passage). Mais on découvre ici une nouvelle facette, celle de Springsteen acteur. Il faut l'être pour porter ce one man show, pour captiver un public durant deux heures trente de ce seul en scène.
En levant le voile sur son intimité et sur ses doutes, ce héros rock se met à nu, se montre sincère et régulièrement ému. Mais il faut néanmoins être acteur pour connaître par cœur tous ces textes et pour les redire chaque soir. Il faut surtout être comédien pour jouer, mimer, conter, crier, hululer, ménager ses effets, alterner émotion et traits d'humour, bref, dérouler une narration verbale et musicale sans temps mort. Alors voilà, après Springsteen écrivain (il a écrit de sa main son épaisse et passionnante autobiographie Born to Run parue en 2016 qui sert de fil rouge à ce spectacle), c'est désormais confirmé : Springsteen n'est pas loin d'égaler les cadors d'Hollywood et de Broadway. On serait étonnée que metteurs en scène et réalisateurs ne se saisissent pas de cette opportunité…
4Son père, ce héros
Les rapports avec son père, un ouvrier taiseux aussi adoré que redouté (et en réalité schizophrène diagnostiqué tardivement), donnent lieu à plusieurs passages parmi les plus poignants du show. Douglas Springsteen frappe un jour à sa porte, à Los Angeles, au début des années 90, raconte Bruce. Son épouse Patti Scalfia est alors à quelques jours de donner naissance à leur premier enfant, Evan. Assis à table, son père lui dit tout de go : "Tu as été un bon fils". Et il ajoute "Je n'ai pas été un bon père." "Ça a été le meilleur moment de ma vie avec mon père", se souvient le Boss en essuyant une larme au coin de son œil. "Juste avant que je devienne père, mon propre père est venu me voir pour me mettre en garde contre les erreurs qu'il avait faites afin que je ne les reproduise pas avec mes enfants." Au-delà, en confiant dans ce show ses défauts, ses faiblesses, ses doutes et ses peurs, Springsteen semble vouloir lui aussi inspirer son public à ne pas commettre les mêmes erreurs et peut-être à faire preuve de plus de clémence envers les failles d'autrui.
5Le "Patron" n'a jamais eu de vrai boulot
"Se coucher tard, se lever tard, voyager beaucoup : c'est sans doute pour ça que je suis devenu musicien", avoue Springsteen. Lui, le chanteur des cols bleus (ouvriers) et de l'Amérique d'en bas, des déclassés, des modestes et des laborieux, n'a jamais vraiment travaillé. "Je n'ai jamais eu un vrai boulot de toute ma vie, je n'ai jamais fait de dur labeur, je n'ai jamais travaillé de 9h à 17h", révèle-t-il dans le show. "Je n'ai jamais travaillé 5 jours par semaine…jusqu'à maintenant." (Pour les besoins du show, il a été sur scène 5 soirs par semaine pendant plus d'un an NDLR). "Je n'ai jamais pointé à l'usine ni vu l'intérieur d'une usine, pourtant je n'ai écrit que là-dessus avec un succès absurde", ajoute-t-il avec une honnêteté désarmante.
6Bruce a joué devant tous les publics avant de devenir le Boss
Le Boss ne s'est pourtant pas fait en un jour. Ni sans labeur. "J'ai joué devant tous les publics possibles", raconte-t-il. Et d'énumérer avec malice : "J'ai joué au bal des pompiers, pour l'ouverture du supermarché, au drive-in (cinéma), devant le vendeur de pop-corn au cinéma, à la plage, dans des pizzerias, des cafés, des bowlings, des campings et des patinoires, des clubs de vétérans, devant les scouts, l'ordre des Elans, dans les gymnases de la YMCA, les fêtes foraines, les patinoires de hockey, les carnavals, les mariages, les bar mitzvah, à la prison de Sing sing et à l'hôpital psychiatrique de Marlboro (New Jersey). Et tout ça avant d'avoir 23 ans."
7Le souvenir de Clarence Clemons illumine son présent
"Personne n'a su toucher le cœur de mon public autant que Clarence", souligne Springsteen durant un long hommage à son ami Clarence Clemons, saxophoniste du E Street Band mort en juin 2011. "Le Big Man (le surnom de Clarence Clemons) était grand. Tout en lui était grand. Sa personnalité, sa taille, son rire, le son de son saxophone", se souvient le Boss au milieu de "Tenth Avenue Freeze Out". Un des plus lumineux sourires remarqués durant le show illumine alors son visage, comme si la seule évocation de cette amitié ravivait de merveilleux souvenirs. "Il était essentiel dans ma vie. Le perdre, c'était comme de perdre la pluie. (…) Ensemble, on a raconté une histoire plus grande que toutes celles que j'ai racontées en chansons." Durant cette séquence, on a remarqué que Springsteen avait le même phrasé que Patti Smith, pour laquelle il a écrit, rappelons-le, Because The Night.
8Catholique un jour, catholique toujours
"Vous savez ce qu'on dit sur les catholiques ?", demande Springsteen, né d'un père d'origine irlandaise et d'une mère d'origine italienne, alors que son show s'achève. "On n'en sort jamais. Ils vous tiennent, ils ne vous lâchent plus. Ces salauds vous ont eu quand c'était facile. Ils ont bien bossé." Springsteen n'est pas un bouffeur de curé. Il a l'air de plaisanter mais c'est pour mieux conclure son show par une prière, un Notre père. "Des mots que gamin je marmonnais et chantais en choeur. Je les récitais en m'ennuyant royalement". Aujourd'hui, dit-il, ils sonnent différemment. Après ce "Notre père" bien senti, et juste avant d'entamer l'ultime titre de son show, Born to run, Bruce bénit carrément l'assistance. "Que Dieu vous bénisse tous et votre famille, merci d'être venus ce soir". Amen et bienvenue en Amérique.
Springsteen on Broadway : le documentaire (2h33) est disponible sur Netflix depuis dimanche 16 décembre 2018. Il est accompagné d'un album (Sony) qui contient les propos du Boss et les quinze morceaux du show
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