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Radiohead signe un joyau de spleen avec "A Moon Shaped Pool"
Après une semaine de teasing et de mystères, Radiohead a finalement sorti dimanche soir son neuvième album. Le suspense n'était pas un écran de fumée marketing : à force de malaxer la matière sonore, ces alchimistes ont fini par réussir à transformer le plomb en or. "The Moon Shaped Pool" est un grand album à accrocher à la cîme de leur discographie.
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Tristesse contemporaine
A l’heure d’écouter un nouvel album de Radiohead, il n’est jamais question de rigoler. Il existe cependant deux catégories d’albums tristes. Ceux susceptibles de vous enfoncer dans la dépression sans rémission et ceux de nature à soulager et accompagner le spleen par effet d’empathie. "Moon Shaped Pool" est de ceux-là. En dépit de sa profonde mélancolie, ce disque enregistré dans le sud de la France, aux studios La Fabrique à Saint-Rémy de Provence, n’est pas lesté de plomb. Il est même lumineux, d’une luminosité fragile semblable aux derniers feux clignotants des étoiles à l’orée de leur extinction.Double spleen
Si les paroles de Thom Yorke restent elliptiques, les bribes que l’on en perçoit durant l’avancée du disque – 'This is a low panic attack', "It’s too late the damage is done", "Now we’re trapped, we are helpless to resist in our darkest hour" etc - en disent suffisamment long. Peu de groupes avant eux ont su traduire avec autant d'acuité le désenchantement contemporain. La fuite en avant de la société, notre désespérante inertie et l’extinction programmée de la civilisation sont au cœur de ce disque. Mais pas seulement.Les paroles du chanteur écorché vif n’ont jamais été aussi sincères et poignantes. Elles tordront les tripes des plus sensibles à en pleurer (oui, on a chialé). Thom Yorke a en effet rompu l’été dernier avec Rachel Owens, la mère de ses deux enfants, une femme dont il partageait la vie depuis 23 ans, et semble s’adresser à elle directement à plusieurs reprises, en particulier sur Ful Stop ("You really messed up everyhting, Why should I be good if you’re not ?'). Les mots sont donc souvent ici à double sens, englobant à la fois l’infiniment personnel et le terriblement global.
Daydreaming, emblématique de l’album
"Daydreaming", second single dévoilé vendredi dernier, est emblématique de l’album au plan musical. Majestueuse avec sa lente progression, fourmillant de micro-détails, enroulant l’adn de son piano à d’intrigantes textures puis à une merveilleuse partie de cordes, cette rêverie diurne est représentative de l’aboutissement auquel est parvenu ce groupe de têtes chercheuses au neuvième album. Un songwriting non linéaire et très complexe qui ne perd pourtant jamais le fil ni l’attention de l’auditeur.Une majorité de titres familiers
Si cet album est particulièrement long, avec ses onze titres et ses plus de 50 mn, une majorité de chansons étaient déjà connues des fans. Outre les deux singles dévoilés la semaine passée ("Burn the witch" et "Daydreaming"), d’autres titres leur étaient déjà familiers. "Identitik" et "Ful Stop" avaient été jouées durant la précédente tournée de "The King of Limbs" (2011). "Present tense" et ses accents bossa nova a été entendue plus récemment sur la tournée d’Atoms For Peace, le projet parallèle de Thom Yorke. "True Love Waits", qui referme l’album, est sans doute la plus vieille de toutes: jouée sur scène dès l’époque de "The Bend" en 1995 elle n’avait jamais été enregistrée en studio. Enfin, "Island Desert Disk" et "The Numbers" avaient été dévoilées début décembre lors du concert acoustique au Trianon de Thom Yorke en marge de la Cop21 à Paris."The Numbers", brûlot sur le réchauffement climatique
En décembre, lorsque Thom Yorke avait joué ce titre inédit en marge de la Cop21, il portait un autre nom : "Silent Spring". Connu pour son engagement écologique, Thom Yorke avait toujours dit qu’il n’écrirait pas de chanson au sujet de ses convictions en la matière car ce serait forcément "merdique". Eh bien il se contredit avec "The Numbers" et on applaudit. Car cette chanson est un appel vibrant à se lever, se responsabiliser et à reprendre espoir."We are of the earth/To her we do return/ The futur is inside us/It’s not somewhere else", chante-t-il (Nous venons de la Terre/C’est à elle que nous retournons/Le futur est en nous/Ils n’est nulle part ailleurs.) "We call upon people/People have this power/The numbers don’t decide/Your system is a lie…We’ll all take back what is ours" (Nous en appelons au peupe/Le peuple a ce pouvoir/Les chiffres ne décident pas/Votre système est un mensonge…Nous reprendrons ce qui est à nous). Non seulement elle n’est pas niaise mais c’est même une des merveilles absolues de cet album avec sa mélodie simple, son intro mystique à la Alice Coltrane, ses guitares et son piano rappelant Pink Floyd, ses arrangements de cordes très Melody Nelson et sa manière de sonner lâche, aérée, comme si deux mélodies éparses dialoguaient en parallèle (à la façon de The Beta Band). Hymne futur, vous verrez.
Vivement le Live !
Transposé sur scène, cet album promet d’être riche en émotions. On espère en particulier qu’un orchestre à cordes sera présent. Sur le disque, c’est le London Contemporary Orchestra qui est à l’œuvre. Un ensemble fondé en 2008 (quatre violons, quatre altos et des choristes), déjà entendu aux côtés du guitariste et claviériste Johnny Greenwood pour la bande originale du film "The Master" de Paul Thomas Anderson (réalisateur du clip de "Daydreaming"). Réponse lors du coup d’envoi de la tournée le 21 mai à Amsterdam et surtout les 23 et 24 mai au Zénith de Paris puis aux Nuits de Fourvière le 1er juin. Une autre inconnue demeure : que diable peut bien signifier "A Moon Shaped Pool" (Une piscine en forme de Lune) ? Avec cet album, la chasse au trésor ne fait que commencer."A Moon Shaped Pool" de Radiohead est sorti dimanche 8 mai. Il est disponible en version digitale (payant) sur le site dédié amoonshapedpool.com. La version physique sortira le 17 juin.
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