Retour aux sources pour Mark Knopfler sur son nouvel album "One Deep River"
Décidément, Mark Knopfler occupe le devant de la scène depuis ce début d'année 2024. Vente de ses guitares aux enchères en janvier, sortie d'un single caritatif avec un casting impressionnant en mars, une série d'émissions télé en compagnie du chanteur d'AC/DC Brian Johnson à venir prochainement et un nouvel album ce mois d'avril, suivi d'un EP la semaine prochaine.
Et pourtant, cette scène, il ne l'arpentera plus, comme il l'avait annoncé lors de sa dernière tournée en 2019, et encore confirmé récemment. Alors surtout, ne lui parlez plus de l'éventualité d'une reformation de Dire Straits, ça n'arrivera pas... sa communauté de fans le sait bien, depuis longtemps déjà.
Des influences toujours bien présentes...
Bientôt trente ans que Mark Knopfler mène une carrière solo à la fois discrète et solide. Des tournées à guichets fermés, et des disques qui se vendent bien, même s'ils ne font pas la une des médias. Certes, le style est moins flamboyant que dans les années 1980, la guitare est plus en retrait, laissant les textes s'exprimer. Le musicien se considère d'ailleurs "bien plus songwriter que guitariste, et encore plus maintenant".
Rien d'étonnant pour cet ancien journaliste et prof d'anglais, féru de littérature, et dont la lecture est une constante source d'inspiration. Ses jeunes années de stagiaire au journal Evening Chronicle à Newcastle, il les évoque dans Black Tie Jobs ("les jobs avec des cravates noires") comme il l'avait déjà fait précédemment dans Basil sur l'album Tracker en 2015.
Malgré cette priorité portée sur les paroles depuis plusieurs années, voire décennies, Knopfler n'en oublie pas pour autant ce qui a fait sa renommée : un son de guitare typique, tout en retenue et sans esbroufe. Un style qu'il a puisé à travers diverses influences dont JJ Cale et ses ambiances caractéristiques.
Ce dernier album One Deep River s'ouvre justement sur un morceau qu'on croirait sorti de la discographie du musicien de l'Oklahoma : boucle rythmique, guitare minimaliste, voix doublée, tous les ingrédients du fameux "Tulsa sound" sont là pour cette chanson qui ironise sur le fait de devoir avoir "quatre bras" pour tout gérer... lorsqu'on est à la tête d'un groupe sur scène. Clin d'œil au mastodonte Dire Straits dont Knopfler a régulièrement expliqué qu'il l'avait dépassé et n'était plus gérable ?
Ce groove à la JJ Cale, on le retrouve aussi dans le lancinant et hypnotique Scavengers Yard, avec des accents plus proches de Dire Straits et notamment une guitare rugueuse, un type de son que le guitariste a utilisé plus rarement dans ses derniers disques.
L'album précédent, Down the Road Wherever, affichait une ode aux grands espaces, jusque dans son titre et sur sa pochette. One Deep River pourrait de prime abord célébrer le retour au bercail et un climat plus casanier.
Mais aussi des sonorités nouvelles
Pourtant, la couleur musicale générale du disque sonne très americana. L'omniprésence de la pedal steel guitar insuffle un parfum country-folk qui est familier dans la discographie solo de Knopfler. Quant à la guitare au son instantanément reconnaissable, elle est bien là à plusieurs reprises.
Les solos sont toujours assez brefs, mais ne laissent jamais aucun doute quant à l'identité de son auteur. Smart Money, Before My Train Comes, Janine, Tunnel 13 ou Ahead Of The Game ont tous leur dose de guitare purement knopflerienne.
En revanche, on est surpris çà et là par des interventions sonores auxquelles Knopfler ne nous avait pas habituées jusqu'à présent. Des bruitages presque déconcertants en début de Sweeter Than The Rain, des cordes proéminentes sur Black Tie Jobs, et surtout des chœurs féminins sur plusieurs morceaux, dont la superbe introduction quasi mystique de Tunnel 13.
L'autre élément qui tranche avec les albums précédents est l'absence de profusion d'arrangements celtiques, qui n'apparaissent ici que sur un seul titre, This One's Not Going To End Well.
Retour sur le passé
Si One Deep River signe un retour aux sources de l'influence jjcalienne et americana, il offre également un retour sur le passé de son auteur. Mark Knopfler n'a pas souvent signé de textes autobiographiques, préférant la plupart du temps se positionner comme observateur. Dans cet album, il semble se livrer un peu plus que d'habitude.
Bien sûr, il y a toujours les histoires inspirées de faits divers, voire sordides (Tunnel 13), l'allégorie du voyage dans les bouleversements de la vie (Before My Train Comes) ou la thématique de l'essor des villes (Janine). Mais certains textes peuvent difficilement se lire à la troisième personne. C'est le cas du plus que mélancolique Watch Me Gone. La rupture amoureuse qui y est dépeinte appartient sans doute au passé de Knopfler, bien que l'intéressé ne confirmera jamais.
Le songwriter a toujours laissé le public interpréter ses textes à sa guise, ne donnant que peu d'indications sur les significations de ses chansons.
La rivière comme un symbole
Toutefois, ce qui apparaît limpide dans cet album, c'est l'évocation de son enfance et adolescence passée à Newcastle, au nord de l'Angleterre. Une ville traversée par la rivière Tyne que Knopfler cite comme un passage auquel il revient encore et toujours.
"On pense toujours à la traversée de la Tyne", explique-t-il. "Que vous partiez ou que vous reveniez, c'est un lien avec votre enfance. Son pouvoir ne s'estompe pas."
Le morceau-titre sonne apaisé et serein. Une petite merveille qui referme le disque de façon magistrale. Les quais de Newcastle plantaient déjà le décor de Down to the Waterline qui ouvrait le premier album de Dire Straits en 1978. Et la "rivière profonde" clôt ce disque 46 ans plus tard. Faut-il y voir la fin d'un cycle pour Mark Knopfler ?
L'auteur-compositeur-interprète dit vouloir continuer à enregistrer de nouveaux albums, tant ses idées de chansons continuent d'affluer. À défaut de le revoir sur scène, on espère continuer à l'entendre encore plusieurs années, tel un long fleuve tranquille auprès duquel on aime venir se ressourcer régulièrement.
"One Deep River" de Mark Knopfler est sorti le 12 avril (Mercury/Universal)
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