Royal Blood impérial en clôture du festival des Inrocks
Dès que le rideau s’écarte, première surprise. Vous attendez votre quart d’heure de décibels rock ? Voilà du bon gros rap : « 99 Problems » de Jay Z sert de pied de nez en intro, pour l’arrivée sur scène de Mike Kerr (basse, chant) et Ben Thatcher (batterie).
Une façon de dire que Royal Blood est bien dans son époque, ouvert et surtout pas monomaniaque. On peut faire du rock tout en appréciant le hip-hop. Et même la bonne pop anglo-saxonne avec laquelle les deux Royal Blood ont grandi et qu’ils continuent d’apprécier, eux qui ont repris récemment "West Coast" de Lana Del Rey et « Happy » de Pharrell Williams.
"Elle est où la guitare ?"
Le tandem attaque sur « Hole », un titre qui ne figure même pas sur leur premier album sorti cet été, et sidère direct les tympans.
Mike Kerr et Ben Thatcher ne font rien comme personne. Enfin si, comme les White Stripes, un peu. Sauf que pour ceux qui ne les connaissent pas encore, Mike Kerr ne tient pas la guitare mais la basse. Une basse dopée minutieusement aux amplis et aux effets, qui a le son d’une guitare offensive, monumentale.
« Il y a un truc que je ne comprends pas, la guitare elle est où ? » se demande un de nos voisins, les yeux écarquillés, au bout du troisième morceau.
De fait, durant le premier quart d’heure, ils sont beaucoup ces voisins mal informés à chercher le guitariste sur scène. Nous, on se tient les côtes. Il n’est pas planqué derrière le rideau « le guitariste », mais là, sous nos yeux, à la basse et au micro, accompagné de son complice Ben Thatcher à la batterie en surplomb.
Cette basse démente garde jalousement ses mystères
Mike Kerr insiste depuis le début : "Nous ne faisons rien en studio que nous ne pourrions faire live". Ce soir, il prouve qu’il disait vrai. Les hymnes incendiaires qu’ils enchainent, « Come on Over », « Figure it Out » et « Little Monster », sont tout aussi efficaces sur scène. Rageurs, musclés et saignants à souhait, servis à point.
Ce bassiste hors normes n’a même pas besoin de ses deux mains pour tirer de son instrument de monstrueux riffs qu’on jurerait joués à la guitare : on peut le constater lorsqu’il empoigne sa basse en intro de « Loose Change » et se contente de taper le manche pour le faire gémir. Quelle est cette diablerie ?
Justement, les bassistes qui ont fait le déplacement dans le public se tordent eux aussi le cou pour tenter de percer le secret de ce bassiste révolutionnaire. Quels amplis ? Quels effets ? Quelles pédales ? Quelle genre de basse ? Ils repartiront quasi-bredouilles. On ne livre pas comme ça de si précieux secrets de fabrication. Le guitariste Jimmy Page lui-même répugne encore aujourd’hui, dans ses mémoires, à parler de ses premiers amplis.
Adoubés par leurs héros Page et Grohl
Le sorcier du son de Led Zeppelin, grand amateur d'amplis et d'effets, est d’ailleurs venu saluer les jeunes Royal Blood dans leur loge à New York récemment. Sacrée consécration de la part d'un de leurs modèles.
Leur autre grand héros, Dave Grohl des Foo Fighters vient de juger « encourageant » le fait que leur premier album sorti cet été soit devenu direct numéro un (il s’agit du premier album de rock anglais à s’écouler aussi vite depuis trois ans en G-B). Le groupe de l’ancien Nirvana les a d’ailleurs choisis comme première partie pour ses futurs concerts en G-B.
Un batteur tout aussi phénoménal
On parle beaucoup de Mike Kerr et de son incroyable façon de faire sonner la basse mais voir Royal Blood sur scène fait réaliser tout ce que le groupe doit aussi à son complice Ben Thatcher. Excellent, apparemment sans effort, ce dernier fait un sacré boulot dynamique et s’avère un prétendant sérieux à la succession du légendaire cogneur de fûts John Bonham (Led Zeppelin). Il faudra aller demander à Jimmy Page ce qu’il en pense.
Tout du long le son est massif, épais, compact, intransigeant : il ne laisse rien passer. Sur la durée, toutefois il manque de nuances et de mélodies.
Seul bémol : le manque de nuance et de contact avec le public
Mike et Ben sont de super musiciens, qui-plus-est en osmose, mais ils sont encore peu aguerris à l’exercice du live. Concentrés, appliqués, et sans doute un peu timides, ils communiquent peu avec le public et enfilent leurs murs du son en apnée, comme s’ils étaient seuls au monde en studio, sans même s’amuser ou digresser avec leurs chansons. Il faudrait apprendre à se détendre, à maîtriser l’art de la scène, ce mélange de rigueur et de folie, de professionnalisme et de coolitude.
Surtout, on pressent ce soir qu’il devront veiller à ne pas devenir un simple phénomène de foire, un groupe dont on vient avant tout jauger les performances extraordinaires (oui, extradordinaire, c’est bien le mot pour cette basse de carrure inédite). Car Mike Kerr et Ben Thatcher donnent parfois l'impression de n'avoir rien d'autre à offrir que cette efficacité besogneuse et redoutable. C’est déjà beaucoup. C’est déjà immense. Mais il leur manque encore le petit supplément d’âme qui les fera rester dans l’histoire du rock.
En attendant, le monumental « Out of Black » asséné en uppercut final est déjà l’hymne rock de l’année. Pas mal pour des petits gars qui n’avaient encore rien sorti il y a un an.
La setlist du concert du 16 novembre 2014 à la Cigale (Paris)
Hole
Come on over
You Can Be So Cruel
Figure it out
Little Monster
Careless
Loose Change
Ten Tonne Skeleton
Better Strangers
Out of the Black
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