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Six bonnes raisons de voir "Rolling Thunder Revue", le (vrai-faux) documentaire sur Bob Dylan de Martin Scorsese

Pas tout à fait documentaire, pas non plus film de fiction... La nouvelle fantaisie de Martin Scorsese autour de son idole Bob Dylan, à voir sur Netflix, a plus d'un tour dans son sac. 

Article rédigé par Laure Narlian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 13min
Joan Baez et Bob Dylan en 1975 sur la tournée Rolling Thunder Review, dans le film Rolling Thunder Review : a Bob Dylan Story by Martin Scorsese. (NETFLIX)

"En partie documentaire, en partie concert filmé, en partie rêve éveillé" : c’est ainsi que la production décrit ce film qui raconte la mythique tournée Rolling Thunder Revue avec laquelle Bob Dylan sillonna l'Amérique du Nord en compagnie de nombreux invités, chanteuses, chanteurs, poètes et écrivains, en 1975 et 1976.

Aux manettes de ce vrai-faux documentaire, Martin Scorsese, à qui a été donné carte blanche pour retravailler les longues heures de rushes tournés à l’époque par Bob Dylan en vue du film Renaldo et Clara sorti en 1978 et indisponible depuis. A ce matériel de base, le réalisateur de Taxi Driver a ajouté de récentes interviews de Bob Dylan et de plusieurs participants de la tournée et a glissé non sans malice quelques images en supplément.

"Que reste-t-il aujourd'hui de la tournée ? Absolument rien. Des cendres", assure Bob Dylan aujourd’hui. Tout au long du film, Martin Scorsese, grand fan du créateur de Blowin' in the wind, va s'efforcer de le démentir en ramenant à la vie non seulement une tournée à nulle autre pareille, mais aussi tout l'esprit d'une époque et un Dylan inspiré et inspirant, éclatant d'intelligence et de finesse. Voici six bonnes raisons de regarder cette nouvelle "histoire de Bob Dylan par Martin Scorsese" après l’acclamé No Direction Home. Un conseil cependant : ne lisez pas le 6e point avant d'avoir vu le film. Et pensez à revenir le lire ensuite et jusqu'au bout. Vous risquez d'être soufflés !

La troupe de la tournée Rolling Thunder Revue de Bob Dylan sur scène en 1975. (NETFLIX)

1Pour voir la première interview de Bob Dylan en dix ans

Depuis quarante ans, Bob Dylan n'a quasiment jamais cessé de tourner - on l'a vu encore récemment au Grand Rex à Paris en avril. Mais ce réfractaire au star system cultive une grande discrétion dans les médias. Au point qu'il n'avait accordé, malgré la réception d'un Prix Nobel surprise de Littérature en 2016, aucune interview ces dix dernières années. Dans ce film, Martin Scorsese a réussi à le caler dans un fauteuil et à le faire parler face caméra et c'est un évènement.

Elégant en chemise blanche et lacet western avec turquoise assortie à son regard pénétrant, le barde du Minnesota revient sur la création de cette tournée mythique, sur ses figures, sur ses coulisses et sur le contexte. Mais ce taiseux reste économe de mots. "L'idée était de créer une tournée avec différents numéros sur scène avec des styles musicaux différents", tente-t-il de résumer au début du film. "C'est mal dit, bordel", se reprend-il. "C'est un truc qu'on a fait il y a 40 ans. Je ne me rappelle de rien. C'était il y a si longtemps, je n'étais même pas né". Agacé ou pince-sans-rire ? A vous de voir. Il se souvient pourtant de quelques bribes du passé. Y compris d'avoir été au pélerinage gitan des Saintes-Maries-De-La-Mer le jour de son anniversaire (24 mai) et d'avoir écouté Manitas de Plata une nuit entière autour d'un feu de camp. "Il était incroyable !"



2Pour se pâmer devant le Bob Dylan de 1975 sur et hors scène

En 1966, un accident contraint Bob Dylan à s'absenter des scènes. Il ne recommence à tourner qu'en 1974, avec The Band. Ils remplissent alors les stades. Un an plus tard, le Zim prend le contrepied de ce grand barnum : il veut aller au plus près du public, dans des salles à taille humaine, et donner des concerts annoncés très peu à l'avance, avec un prix d'entrée modique. Surtout, il entend proposer "une expérience" et vivre une aventure en invitant tous ses amis poètes et chanteurs à faire la route et à partager la scène avec lui.

Selon Allen Ginsberg, interrogé à l'époque, Dylan "voulait montrer la communauté, la vie des poètes telle qu'elle est." A un jeune journaliste de Rolling Stone, Dylan précisait avoir voulu faire "comme les troupes de la commedia dell'arte en Italie, avec de la musique". "C'est le milieu qui me convient le mieux", ajoutait-il. De fait, la légende folk, qui prépare à ce moment-là ce qui deviendra l'album Desire, est à son summum sur les images de cette tournée. Capable d'enflammer en un clin d'oeil une assemblée de sexagénaires dans le hall d'un hôtel en s'installant au piano, il est plus généralement entouré d'un groupe cinq étoiles au sein duquel on remarque notamment les guitaristes T Bone Burnett et Mick Jones (chipé à Bowie), ainsi que l'extraordinaire violoniste Scarlet Rivera.

Coiffé d'un chapeau garni de fleurs ou de plumes de paon, Dylan offre sans effort apparent des interprétations intenses et puissantes de chansons de son répertoire d'alors comme The Lonesome Death of Hattie Carroll ou Knocking on Heaven's Door mêlées chaque soir à de nouveaux titres qui atterriront sur Desire, comme One More Cup of Coffee, Hurricane ou Isis. En bon fan, Martin Scorsese prend le parti de laisser se déployer certaines chansons en entier et c'est pur bonheur. Surtout, Dylan, que l'on voit régulièrement au volant du bus de tournée, est le leader inspiré, le troubadour rayonnant, le poète itinérant et le grand conteur qu'il a toujours été mais que son attitude revêche et glaciale des dernières décennies avait fini par oblitérer. 



3Pour les géniales Patti Smith, Joni Mitchell, Joan Baez et Scarlet Rivera

On croise beaucoup de femmes fabuleuses dans ce documentaire. Joan Baez, bien entendu, qui apparaît ici de façon troublante en double de Dylan : à peine déguisée, avec masque blanc et couvre-chef à fleurs, on s'y méprendrait. L'entourage s'est d'ailleurs fait piéger à l'époque, raconte-t-elle. Nous assistons aussi à un duo remarquable pris sur le vif entre Joni Mitchell et Bob Dylan dans un appartement de Toronto : tous deux sur leur guitare, ils chantent Coyote de la musicienne canadienne et on a vraiment l'impression d'y être.

Autre privilège : voir une performance de Patti Smith, toute jeune, dans un club de l'East Village à New York. Emportée par le rythme de ses propres mots, scandant et chantant Ain't it strange, elle est gagnée par une transe où l'on voudrait plonger avec elle (il aurait fallu que ce soit un peu plus long). Enfin, il y a la talentueuse violoniste Scarlet Rivera, une femme mystérieuse et captivante dont beaucoup se tenaient à l'écart, raconte Dylan. Extraordinaire sur scène (sur Hurricane elle est irréelle de grâce et de dextérité sur son violon !), cette magicienne semblait venue d'une autre dimension.

Joan Baez déguisée en Bob Dylan, à côté de Dylan, en 1975 sur la tournée Rolling Thunder Revue. (NETFLIX)

4Pour l'histoire de la protest-song Hurricane

Martin Scorsese accorde une place particulière dans son film à la chanson de Dylan écrite pour le boxeur noir Rubin "Hurricane" Carter, poids moyen accusé à tort du meurtre de trois personnes en 1966. Après avoir lu son autobiographie dans laquelle il clamait son innocence, Mr Tambourine souhaita mettre fin à cette injustice qu'il estimait de nature raciste. Il lui rendit visite derrière les barreaux et batailla pour le faire sortir de prison, écrivant cette chanson, une de ses quelques protest-songs, et interpellant le public sur scène durant la tournée pour dénoncer "cette farce de justice".

Martin Scorsese a retrouvé ledit Hurricane, encore ébloui par ce soutien inespéré qui a porté ses fruits puisqu'il eut droit à un nouveau procès. "On était tous deux des performeurs que les gens aimaient", souligne-t-il à propos de Dylan. A noter que ce dernier interprète dans le film la première version de Hurricane dont certaines paroles durent ensuite être amendées pour l'album Desire, et que Dylan ne l'a jamais rejouée sur scène après 1976.



5Pour voir et écouter Allen Ginsberg

En regardant ce film de Scorsese, on peut se donner durant quelques minutes l'illusion de respirer le même air que le poète Allen Ginsberg. Ce n'est pas rien. Dylan et Ginsberg c'est la rencontre au sommet de la contre-culture américaine des seventies. "Parler avec Ginsberg c'était comme parler avec l'oracle de Delphes", se souvient Dylan. "La richesse matérielle ou le pouvoir ne l'intéressaient pas. Il n'en faisait qu'à sa tête". On les suit, complices et souriants, en pèlerinage sur la tombe de Jack Kerouac, dont Ginsberg fut le compagnon de route de la Beat Generation.

On voit le pionnier du mouvement hippie danser comme un petit fou, faire des lectures et analyser la tournée avec philosophie. "On a commencé en essayant de retrouver l'Amérique, on a découvert certaines vérités sur nous-mêmes", résume-t-il vers la fin du film. Et ce bouddhiste convaincu d'inviter les spectateurs à un sursaut : "Ressaisissez-vous, changez votre attitude, trouvez votre communauté (…) soyez plus attentifs à vos amis, à votre travail, à votre art et faites quelque chose pour votre propre éternité." En écho à son discours envoyé en 2017 à l'Académie des Nobel, dans lequel il comparait chanson et littérature, Bob Dylan confie à Martin Scorsese à propos de Ginsberg : "Les poètes ne touchent plus la conscience publique aujourd'hui. C'est remarquable qu'Allen ait eu autant de succès. Aujourd'hui, on se souvient des paroles de chansons."

Bob Dylan et Allen Ginsberg au mitan des années 70, dans le documentaire de Martin Scorsese Rolling Thunder Revue : A Bob Dylan Story by Martin Scorsese.  (NETFLIX)

6(ALERTE SPOILER) Pour le témoignage surprise de Sharon Stone

Sur cette tournée, de nombreuses personnalités allaient et venaient. Mais voir Sharon Stone dans ce documentaire, on ne s'y attendait pas. Elle raconte comment elle s’était rendue à un concert de la tournée en compagnie de sa mère. Agée de 19 ans, elle portait un sweat-shirt du groupe Kiss. Croisant Dylan, elle lui dit pour faire son intelligente que le maquillage de Kiss lui rappellait le Kabuki. Il invitera ensuite la ravissante jeune femme à venir sur la tournée et lui chantera Just Like a Woman en lui faisant croire qu'il l'a écrite pour elle (alors qu'elle date de 1966). Elle en rougit encore… et sème du même coup un petit doute dans notre crâne.

Le film nous apprend par ailleurs que Dylan avait été inspiré par le groupe Kiss vu en concert peu auparavant : "J'ai trouvé leur maquillage intéressant. J'en ai pris note", se souvient le musicien. D'où le maquillage, essentiellement du blanc sur le visage, qu'il porte, mais aussi les masques que certains participants arborent sur la tournée. "On n'avait pas assez de masques sur cette tournée", regrette Dylan aujourd'hui. "Tout le monde aurait dû en porter un. Parce que quelqu'un qui porte un masque va dire la vérité."

Ah oui ? Sauf que MEGA SPOILER toutes ces dernières informations sont fausses, nous apprend Rolling Stone. Sharon Stone n’était pas sur la tournée, elle joue la comédie dans ce témoignage. Et Dylan n’a pas été inspiré par les maquillages de Kiss mais plus sûrement par le film Les Enfants du Paradis (dont on aperçoit brièvement un extrait avec Jean Louis Barrault en pierrot de pantomime au visage enfariné). Plusieurs autres éléments du "documentaire", en particulier le réalisateur imbuvable Stefan Van Dorp qui revendique avoir filmé toutes les séquences de la tournée, sont pure mystification. Il n’existe pas plus que le député du Congrès Jack Tanner : ils sont tous deux joués par des acteurs.

Martin Scorsese s’est donc vraiment amusé avec la réalité pour ce vrai-faux documentaire. Les toutes premières images du film, un numéro d’illusionnisme cinématographique du merveilleux prestidigitateur et pionnier des effets spéciaux Georges Méliès (auquel Scorsese a consacré un film) auraient dû nous mettre la puce à l'oreille. Le cinéaste new-yorkais a sans doute voulu approcher l’art de cet enchanteur mêlé à celui des jeux de masques de la commedia dell'arte. Du grand art pour un gros bluff qui surprend à peine à l’heure de la post-vérité trumpienne…

Rolling Thunder Revue : A Bob Dylan Story by Martin Scorsese (2h22) est disponible en exclusivité sur Netflix depuis le 12 juin.

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