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Sixto Rodriguez : qu'est-il arrivé à Sugar Man ?
Après ses deux concerts décevants au Zénith de Paris, lundi et mardi, les milliers de fans de Sixto Rodriguez, ce vieux chanteur de folk américain révélé sur le tard grâce à un documentaire oscarisé, se posent beaucoup de questions. Nous avons tenté de percer l'énigme en interrogeant sa garde rapprochée en France.
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Un Sugar Man au bout du rouleau
Sixto Rodriguez était attendu comme le Messie. Sorti en France en janvier, le documentaire « Searching for Sugar Man », du Suédois Malik Bendjelloul, qui raconte l’histoire de ce phénomène resté injustement méconnu durant 30 ans, lui a fait soudain accéder à une notoriété planétaire fulgurante. Depuis, il a sillonné l'Australie, l'Afrique du Sud, les Etats-Unis et maintenant l'Europe. Une tournée marathon d'une centaine de dates.
Les nouveaux convertis (190.000 personnes ont vu le film en France depuis sa sortie fin décembre et la B.O. est disque d'or) savent bien que Sixto Rodriguez n’est plus le jeune fringuant de ses premiers enregistrements et qu’il a désormais 70 ans. Mais lui qui a travaillé comme ouvrier du bâtiment toute sa vie affiche toujours des biceps de jeune homme et un torse de taureau sous ses lunettes et son chapeau. Pourtant, lundi et mardi, au Zénith de Paris, il est apparu au bout du rouleau.
Fragile et émouvant
Qu’est ce qui cloche ? Lundi, la critique a été dure après son concert. Mardi, on arrive à 20h32 au Zénith et Sixto est déjà sur scène depuis 2 minutes. Il est debout, guitare en bandoulière. Sa voix déraille un peu mais le groupe qui l’entoure donne le change. Au troisième titre, pour le hit « Crucify Your Mind », durant les passages où il se retrouve seul à la guitare et au micro, sa fragilité de vieillard saute soudain à la figure. Cela n’en est que plus émouvant. Des cris d’amour - « I Love You ! » - fusent d’ailleurs du public lorsqu’il accorde sa guitare et boit le gobelet qui lui est apporté des coulisses.
Pourtant, tout ira dès lors de mal en pis. Souvent, il attaque seul, il va au charbon avec des titres acoustiques. C’est courageux mais contre-productif. Le malaise devient palpable dans la foule. Il chante affreusement faux. La guitare déraille, le tempo est aux fraises. Les gobelets en carton arrivent régulièrement des coulisses, alors que plusieurs petites bouteilles d’eau minérale trônent devant lui. Quel breuvage contiennent ces gobelets opaques ? Mystère…
Malaise et dérapage incontrôlé
Sur « Sugar Man » on est carrément au bord des larmes. Que se passe-t-il ? C’est si triste. Le vieil homme a l’air perdu. Et puis un doute affreux : sur les écrans, un malheureux décalage de centième de seconde laisse croire un instant qu’il est en playback. Vite évacué. Mais on a le sentiment que Sixto Rodriguez, ce sage enigmatique, est en bout de course, déchiré entre ses aspirations à une tranquillité bien méritée après une vie de labeur et son désir d’honorer ce succès tardif bien mérité.
Puis c’est l’embardée : sur un titre jazz qui pourrait être du Nina Simone, il se met à partir dans les aigus et à scatter. L’effet est dévastateur. Comme s’il avait mis soudain du rouge à lèvres qui baverait sur son menton. Le public est interloqué. Des dizaines de spectateurs rejoignent la sortie. Serait-il sérieusement éméché ? A-t-il pris des cachets ? Est-ce de l’auto-dérision ? « Bonsoir, vive le France ! ». Encore quelques titres, dont « La vie en rose », puis il perd l’équilibre, trébuche, c’est l’adieu et Sixto, l’air désemparé, doit être raccompagné par plusieurs bras vers les coulisses.
Il reviendra au rappel avec « Like a Rolling Stone » de Bob Dylan, à qui il a souvent été comparé et dont l’ombre immense lui a peut-être volé un peu de sa notoriété. Sans doute le titre sur lequel il tient le mieux la route ce soir. Ce qui nous laisse penser que Sixto est peut-être un diesel : il met du temps à démarrer. Il aura joué une heure au total, rappel inclus. Un concert en dents de scie, franchement éprouvant, mais qu’on n’est pas prêts d’oublier. Selon son attaché de presse, une mauvaise nouvelle l'aurait fait "replonger"
Tout cela pose question. Yazid Manou, son attaché de presse pour la France, le défend. Dans un long message sur Facebook mercredi matin, il explique : « J'appréhendais ses concerts français, ne sachant comment le public allait réagir face à ce phénomène décalé, ailleurs, usé, unique. La poisse nous est tombée dessus avec le retour inopiné du "mal" dont il s'était tenu bien à l'écart pendant deux ans... «
«C’est vrai qu’il est usé, fatigué », nous dit-il. « En temps normal déjà, il est assez ‘space’. Il est dans son monde. Aux USA, aux concerts où j’ai assisté à New York, Seattle, Portland et Detroit le 18 mai, il était bien. Comme il l’a dit sur scène lundi, il a eu dans le passé un problème d’alcool. Mais il était sobre depuis deux ans. Une mauvaise nouvelle survenue vendredi ou samedi dernier semble l’avoir fait replonger. »
Son tourneur souligne qu'il est aveugle et usé
Malick Fadika, son tourneur en France (Loudbouking, specialisé dans les artistes indépendants), est moins explicite au sujet de l’alcool. « Il faut savoir qu’il ne va pas bien ces jours-ci», nous apprend-il. « Il a appris en fin de semaine dernière le décès d’un proche qui l’a mis dans tous ses états. Lundi, il a bu deux trois verres. Mardi j’ai fait en sorte qu'il ne boive pas du tout d'alcool sur scène, mais je ne sais pas ce qu’il a bu dans sa chambre d’hôtel. »
Ce que M. Fadika ne supporte pas, c’est de laisser croire qu’il fait de l’argent sur le dos de Sixto Rodriguez. « Ca me fait rire. D’abord parce que je n’ai pas attendu le documentaire de Bendjelloul pour reconnaître son talent et le faire venir en France. En 2009, il avait joué devant 120 personnes au Nouveau Casino (Paris) et incognito aux Transmusicales. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il nous a fait confiance pour cette tournée : il est fidèle, il ne travaille qu’avec des gens qui ont cru en lui dès le début. Ensuite parce que le prix des places au Zénith (35 euros) et à la Cigale (25 euros) est moins cher que la plupart des autres artistes, conformément d’ailleurs aux vœux de Sixto Rodriguez qui souhaite rester accessible. »
"On ne le force pas pour jouer. Il est heureux de le faire, d’aller à la rencontre de son public. Il s’est fait voler son succès alors aujourd’hui il le fait, mais pas pour la gloire, pour ses enfants et ses petits enfants. Il faut savoir qu’il n’a pas eu une vie d’artiste préservée, il a travaillé toute sa vie dans le bâtiment, il est usé, fatigué. Et surtout il est aveugle. Personne ne veut le croire mais c’est vrai. »
«Quand on a appris la densité des dates, on a préféré annuler le début de sa tournée européenne (4 dates notamment le 26 mai àToulouse) pour qu’il puisse se reposer et répéter tranquillement avec son groupe de scène (il en change à chaque continent). "Avec Sixto Rodriguez on est au-delà de la musique"
« Les gens doivent être indulgents envers ce vieux monsieur. Il n’en a rien a faire de la gloire, il n’est pas dans une démarche de rock star. Il a eu des propositions pour faire le 20h et le Grand Journal, il a refusé. C’est sa famille, sa femme et ses filles, qui gèrent tout. Elles veillent au grain et refusent de le fatiguer inutilement avec des interviews notamment. De notre côté, on suit les ordres, on le préserve au maximum. »
" Sur sène, c’est lui qui donne le tempo, lui qui décide de la set-list au fur et à mesure, il dit à l’oreille de son guitariste quel sera le prochain titre. De mon point de vue, l’erreur majeure mardi soir, c’est qu’il a voulu faire quatre morceaux seul en acoustique. Et puis il est humain, il est stressé, il a le trac avant d’entrer en scène. Je pense que la meilleure date française ce sera ce soir à La Cigale. C’était la première date annoncée qui s’est arrachée en 24h donc ce sont les vrais connaisseurs. Ca promet d’être carrément mystique. De toutes façons, avec Sixto Rodriguez on est au-delà de la musique. On ne vient pas assister à un concert, on vient voir le personnage. Dans 5 ans, tous ceux qui étaient au Zénith et à la Cigale pourront dire « wouah, on y était !».
Sixto Rodriguez était attendu comme le Messie. Sorti en France en janvier, le documentaire « Searching for Sugar Man », du Suédois Malik Bendjelloul, qui raconte l’histoire de ce phénomène resté injustement méconnu durant 30 ans, lui a fait soudain accéder à une notoriété planétaire fulgurante. Depuis, il a sillonné l'Australie, l'Afrique du Sud, les Etats-Unis et maintenant l'Europe. Une tournée marathon d'une centaine de dates.
Les nouveaux convertis (190.000 personnes ont vu le film en France depuis sa sortie fin décembre et la B.O. est disque d'or) savent bien que Sixto Rodriguez n’est plus le jeune fringuant de ses premiers enregistrements et qu’il a désormais 70 ans. Mais lui qui a travaillé comme ouvrier du bâtiment toute sa vie affiche toujours des biceps de jeune homme et un torse de taureau sous ses lunettes et son chapeau. Pourtant, lundi et mardi, au Zénith de Paris, il est apparu au bout du rouleau.
Fragile et émouvant
Qu’est ce qui cloche ? Lundi, la critique a été dure après son concert. Mardi, on arrive à 20h32 au Zénith et Sixto est déjà sur scène depuis 2 minutes. Il est debout, guitare en bandoulière. Sa voix déraille un peu mais le groupe qui l’entoure donne le change. Au troisième titre, pour le hit « Crucify Your Mind », durant les passages où il se retrouve seul à la guitare et au micro, sa fragilité de vieillard saute soudain à la figure. Cela n’en est que plus émouvant. Des cris d’amour - « I Love You ! » - fusent d’ailleurs du public lorsqu’il accorde sa guitare et boit le gobelet qui lui est apporté des coulisses.
Pourtant, tout ira dès lors de mal en pis. Souvent, il attaque seul, il va au charbon avec des titres acoustiques. C’est courageux mais contre-productif. Le malaise devient palpable dans la foule. Il chante affreusement faux. La guitare déraille, le tempo est aux fraises. Les gobelets en carton arrivent régulièrement des coulisses, alors que plusieurs petites bouteilles d’eau minérale trônent devant lui. Quel breuvage contiennent ces gobelets opaques ? Mystère…
Malaise et dérapage incontrôlé
Sur « Sugar Man » on est carrément au bord des larmes. Que se passe-t-il ? C’est si triste. Le vieil homme a l’air perdu. Et puis un doute affreux : sur les écrans, un malheureux décalage de centième de seconde laisse croire un instant qu’il est en playback. Vite évacué. Mais on a le sentiment que Sixto Rodriguez, ce sage enigmatique, est en bout de course, déchiré entre ses aspirations à une tranquillité bien méritée après une vie de labeur et son désir d’honorer ce succès tardif bien mérité.
Puis c’est l’embardée : sur un titre jazz qui pourrait être du Nina Simone, il se met à partir dans les aigus et à scatter. L’effet est dévastateur. Comme s’il avait mis soudain du rouge à lèvres qui baverait sur son menton. Le public est interloqué. Des dizaines de spectateurs rejoignent la sortie. Serait-il sérieusement éméché ? A-t-il pris des cachets ? Est-ce de l’auto-dérision ? « Bonsoir, vive le France ! ». Encore quelques titres, dont « La vie en rose », puis il perd l’équilibre, trébuche, c’est l’adieu et Sixto, l’air désemparé, doit être raccompagné par plusieurs bras vers les coulisses.
Il reviendra au rappel avec « Like a Rolling Stone » de Bob Dylan, à qui il a souvent été comparé et dont l’ombre immense lui a peut-être volé un peu de sa notoriété. Sans doute le titre sur lequel il tient le mieux la route ce soir. Ce qui nous laisse penser que Sixto est peut-être un diesel : il met du temps à démarrer. Il aura joué une heure au total, rappel inclus. Un concert en dents de scie, franchement éprouvant, mais qu’on n’est pas prêts d’oublier. Selon son attaché de presse, une mauvaise nouvelle l'aurait fait "replonger"
Tout cela pose question. Yazid Manou, son attaché de presse pour la France, le défend. Dans un long message sur Facebook mercredi matin, il explique : « J'appréhendais ses concerts français, ne sachant comment le public allait réagir face à ce phénomène décalé, ailleurs, usé, unique. La poisse nous est tombée dessus avec le retour inopiné du "mal" dont il s'était tenu bien à l'écart pendant deux ans... «
«C’est vrai qu’il est usé, fatigué », nous dit-il. « En temps normal déjà, il est assez ‘space’. Il est dans son monde. Aux USA, aux concerts où j’ai assisté à New York, Seattle, Portland et Detroit le 18 mai, il était bien. Comme il l’a dit sur scène lundi, il a eu dans le passé un problème d’alcool. Mais il était sobre depuis deux ans. Une mauvaise nouvelle survenue vendredi ou samedi dernier semble l’avoir fait replonger. »
Son tourneur souligne qu'il est aveugle et usé
Malick Fadika, son tourneur en France (Loudbouking, specialisé dans les artistes indépendants), est moins explicite au sujet de l’alcool. « Il faut savoir qu’il ne va pas bien ces jours-ci», nous apprend-il. « Il a appris en fin de semaine dernière le décès d’un proche qui l’a mis dans tous ses états. Lundi, il a bu deux trois verres. Mardi j’ai fait en sorte qu'il ne boive pas du tout d'alcool sur scène, mais je ne sais pas ce qu’il a bu dans sa chambre d’hôtel. »
Ce que M. Fadika ne supporte pas, c’est de laisser croire qu’il fait de l’argent sur le dos de Sixto Rodriguez. « Ca me fait rire. D’abord parce que je n’ai pas attendu le documentaire de Bendjelloul pour reconnaître son talent et le faire venir en France. En 2009, il avait joué devant 120 personnes au Nouveau Casino (Paris) et incognito aux Transmusicales. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il nous a fait confiance pour cette tournée : il est fidèle, il ne travaille qu’avec des gens qui ont cru en lui dès le début. Ensuite parce que le prix des places au Zénith (35 euros) et à la Cigale (25 euros) est moins cher que la plupart des autres artistes, conformément d’ailleurs aux vœux de Sixto Rodriguez qui souhaite rester accessible. »
"On ne le force pas pour jouer. Il est heureux de le faire, d’aller à la rencontre de son public. Il s’est fait voler son succès alors aujourd’hui il le fait, mais pas pour la gloire, pour ses enfants et ses petits enfants. Il faut savoir qu’il n’a pas eu une vie d’artiste préservée, il a travaillé toute sa vie dans le bâtiment, il est usé, fatigué. Et surtout il est aveugle. Personne ne veut le croire mais c’est vrai. »
«Quand on a appris la densité des dates, on a préféré annuler le début de sa tournée européenne (4 dates notamment le 26 mai àToulouse) pour qu’il puisse se reposer et répéter tranquillement avec son groupe de scène (il en change à chaque continent). "Avec Sixto Rodriguez on est au-delà de la musique"
« Les gens doivent être indulgents envers ce vieux monsieur. Il n’en a rien a faire de la gloire, il n’est pas dans une démarche de rock star. Il a eu des propositions pour faire le 20h et le Grand Journal, il a refusé. C’est sa famille, sa femme et ses filles, qui gèrent tout. Elles veillent au grain et refusent de le fatiguer inutilement avec des interviews notamment. De notre côté, on suit les ordres, on le préserve au maximum. »
" Sur sène, c’est lui qui donne le tempo, lui qui décide de la set-list au fur et à mesure, il dit à l’oreille de son guitariste quel sera le prochain titre. De mon point de vue, l’erreur majeure mardi soir, c’est qu’il a voulu faire quatre morceaux seul en acoustique. Et puis il est humain, il est stressé, il a le trac avant d’entrer en scène. Je pense que la meilleure date française ce sera ce soir à La Cigale. C’était la première date annoncée qui s’est arrachée en 24h donc ce sont les vrais connaisseurs. Ca promet d’être carrément mystique. De toutes façons, avec Sixto Rodriguez on est au-delà de la musique. On ne vient pas assister à un concert, on vient voir le personnage. Dans 5 ans, tous ceux qui étaient au Zénith et à la Cigale pourront dire « wouah, on y était !».
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