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Benjamin Clementine : une voix à découvrir aux Trans Musicales 2013

Benjamin Clementine n’a sorti pour l’heure qu’un EP trois titres, mais il s’impose déjà comme une voix avec laquelle il va falloir compter. Partout où il se produit, cet auteur-compositeur, chanteur et pianiste, marque les esprits. Aux Trans Musicales, il présente une création spéciale durant toute la durée du festival. Nous l’avons rencontré.
Article rédigé par Laure Narlian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 13min
Benjamin Clementine, révélation 2013 en route pour les sommets en 2014.
 (Micky Clement)
Un Anglais révélé à Paris
Il porte un nom charmant, facile à mémoriser pour les Français. Ca tombe bien : cet Anglais d’origine ghanéenne a quitté Londres pour Paris sur un coup de tête il y a deux ans et il n’en est jamais reparti. C’est en effet là, malgré ou grâce aux difficultés, que Benjamin Clémentine s’est trouvé en tant que chanteur et musicien. Là aussi que son profil de statue d’ébène et sa voix de stentor ont été repérés, dans le métro,  où il jouait pour survivre (voir une vidéo de 2011). Depuis, il a été signé sur le label Behind créé par Lionel Bensemoun (La Clique) et Matthieu Gazier (Ekler'o'shock),  sur lequel est sorti son premier EP trois titres en juin.

Le petit milieu de la musique bruisse de son nom depuis qu’il a soufflé l’auditoire aux dernières Francofolies de La Rochelle. Au Trabendo, où il se produisait le 15 novembre dans le cadre des soirées France Inter, il a encore élargi son noyau d’admirateurs.
Une voix aussi puissante que versatile
D’abord, son physique est impressionnant : Benjamin Clementine est mince et grand, une stature soulignée par une coiffure originale, un afro à angle droit tout en hauteur (pensez Grace Jones). Il est seul et s’installe derrière le piano, d’où il commence à égrèner une splendide mélodie mélancolique. Ni jazz, ni classique, ni soul, mais un peu tout à la fois.
 
Sur cette mer fluide et mouvante, ce ressac de notes claires et véloces, vient sa voix. Puissante. Habitée. Fervente. Et imprévisible. Parfois poignante, d’autre fois juste éruptive à la Screamin’ Jay Hawkins. Elle semble charrier nombre de blessures, comme échappée d’une vieille âme. Les paroles qui s’en détachent, « I’ve been lonely, alone in a box of my own », « I won’t complain », confirment la poésie déchirante perçue dans sa voix.

Un personnage magnétique sur scène
Comme ultime surprise, il y a la découverte sur scène d’un véritable entertainer, un peu emmerdeur sur les bords, qui scotche l'auditoire. D’abord, c’est la lumière qu’il faut baisser. Ensuite, il réclame un verre d’eau. Puis vient un souci au micro. Est-ce de l’humour ? Ou les humeurs d’un perfectionniste ? Et si c’était la fièvre ?

Benjamin Clementine change de registre sans prévenir. Il plaisante avec le public, sort de sa poche un mellotron, minuscule clavier-jouet synthétique, et fait dialoguer avec son piano les sons de cet instrument échappés de R2D2 de la Guerre des Etoiles. La minute d’après, une crise (simulée ?) de désespoir lui fait lâcher le piano, s’arracher à son siège et finir le morceau en hurlant « ever, ever, ever, ever » tout en marchant de long en large de la scène, comme possédé.

Seul dans le noir
On retrouve Benjamin Clementine en backstages, à tâtons : il s’est réfugié dans une petite pièce, seul dans le noir. De près, son visage d’ébène aux pommettes hautes est plus juvénile et les expressions de son visage presque enfantines. Il sourit beaucoup et parle anglais avec un fort accent africain. Sa pensée est sinueuse et il refuse résolument de s’exprimer sur tous ses projets à venir, qu’il s’agisse de son album promis pour l’an prochain, actuellement en préparation, ou de la création originale qu’il donnera aux Trans Musicales de Rennes (Aire Libre) quatre soirs de suite, du mercredi 4 au samedi 7 décembre. « Je ne peux rien dire, je ne dirai rien », sourit-il.
 
Son entourage nous avait prévenu : Benjamin refuse de prévoir à l’avance. Durant les balances cet après-midi là au Trabendo, il a refusé de fournir sa playlist car il ignorait ce qu’il allait jouer le soir même. Cet artiste inspiré cultive la spontaneité, au moins sur scène, et garde jalousement ses secrets, avec, qui sait, un petit fond de superstition…
Tu es souvent comparé à des artistes, comme Terry Calier, Screamin Jay Hawkins, Nina Simone, Gil Scott Heron. Qu’en penses-tu ? Certains sont-ils tes modèles ?
Benjamin Clémentine : Je ne suis ni Terry Calier, ni Gill Scott Heron. Je suis moi. Je n’ai souvent écouté ces artistes que récemment, parce que j’y avais été comparé.
 
Te sens-tu proche d’un artiste ou d’un groupe actuel ?
Le groupe dont je me sens aujourd’hui le plus proche, c’est Anthony & the Johnsons. Bien qu’il y ait chez moi une volonté d’être unique, ils sont ceux qui s’approchent le plus de ce que je veux être. Mais entendons nous bien : je ne suis pas eux et ils ne sont pas moi.

Qu’écoutes-tu pour le plaisir ?
Actuellement je n’écoute rien parce que je créé ma musique en vue d’un album.  J’ai été élevé à la musique classique et à l’opéra.  Mais aussi au rock, en Angleterre. Puis je suis venu à Paris et j’ai entendu Jacques Brel et Léo Ferré. Ce dernier m’a beaucoup aidé dans mes paroles. Parce que je sais que dans la musique française, l'écriture est importante car les Français prêtent beaucoup d’attention aux paroles. Du coup, j’ai appris des deux côtés.
 
On dit que tu as commencé à jouer lorsque tu as reçu un piano-jouet à l’âge de 6 ans.
Je n’ai pas commencé à ce moment là, j’ai surtout découvert le piano à ce moment là. J’étais très jeune, ça m’a marqué. A partir de là, j’ai totalement oublié, jusqu’à mes dix ans, époque où je m’y suis interessé de plus près. Ensuite j’ai beaucoup joué de piano, essentiellement du Mozart. Et Eric Satie.

A quel moment as-tu commencé à prendre la musique au sérieux ?
Oh ça c’était il y a un an et demi, en France ! La musique est faite pour être là (il désigne son cœur). Etre musicien, ce n’est pas un truc que j’ai planifié. C’est comme une histoire d’amour, tu ne prévois pas de tomber amoureux et tu ne prévois pas d’être quitté et de souffrir, tu ne penses pas aux conséquences lorsque tu t’engages dans l’amour. C’est pareil en musique. La célébrité, tout ca, je ne l’ai pas cherché. J’ai commencé à prendre ça au sérieux il y a un an et demi, lorsque j’ai rencontré certaines personnes et que j’ai réalisé que j’avais toujours fait de la musique et que j’étais fait pour ça. C’est venu naturellement.
 
On répète souvent que tu as été découvert dans le métro. Est-ce que cette histoire te fatigue ?
Oui. J’en ai assez. Je voudrais qu’ils écoutent ma voix. Elle ne vient pas du métro. Ce n’est pas ce qui va faire que les gens vont avoit envie de m’écouter.
Ta voix est très puissante, la travailles-tu ?
Non, je ne prends pas de cours, je n’ai pas de professeur.
On a le sentiment que ta voix te sert d’exutoire
Oui, elle reflète mes émotions et mes experiences et j’espère que cela pourra aider les autres. Certains appellent ça de l’art, du jazz, ou autre chose, mais c’est tout simplement ce que j’ai envie de dire, mon expression personnelle. On devrait arrêter de mettre les gens dans des boîtes, ça ne va pas améliorer le monde, on doit penser unité, nous ne sommes qu’un.

J’ai lu quelque part que tu aimais beaucoup Jimi Hendrix. Nous adorions sa voix mais il la détestait. Et toi, aimes-tu ta voix ?
Je la déteste. C’est comme une souffrance. Je pense : « éteins ! ». Je voudrais la changer. Je préfèrerais entendre mes chansons chantées par d’autres que moi. Ce n’est pas bien grave, hein, c’est juste que je n’aime pas m’asseoir et m’écouter, ça me fait mal (rires).
 
Tes paroles sont très émotionnelles, voire déchirantes. Mais elles sont aussi cryptées. Par exemple il y a cette phrase sur « I won’t complain » :  « And for those who hate me, the more you hate me, the more you help me/And for those who love me, the more you love me the more you hurt me » Qu’as-tu voulu dire ?
Tu n’es pas d’accord ? Plus les autres t’aiment, plus tu te donnes et plus la perte est douloureuse en cas de déception ou de rupture. Dans ma famille, ils disent : « le sang est plus épais que l’eau », ce qui veut dire que les liens du sang priment sur tout le reste, quitte à laisser crever les autres. Je ne suis pas d’accord. Moi, j’aiderais un sans-abri tout autant.

Lis-tu de la poésie ?
Oui. Même si plus jeune, à l’école, j’avais la poésie en horreur. Tout simplement parce que je n’y comprenais rien. Je crois que le vécu et l’expérience sont nécessaires pour comprendre la poésie. Il faut en écrire pour l’apprécier. Il faut être mûr. On ne devrait pas l’enseigner à l’école, où on l’analyse et on la dissèque alors qu’il faut la ressentir. J’aime beaucoup l’anthologie de la poésie française du 20e siècle de Paul Auster, j’aime aussi Victor Hugo.
 
Pourquoi as-tu quitté Londres pour Paris ?
Parce que je m’étais disputé avec un ami.
Qu’est ce qui t’a fait rester ?
Je n’avais pas d’argent pour rentrer ! (rires) Après j’ai joué dans le métro pour survivre, j’étais coincé en fait ! J’ai commencé à chanter, chanter, chanter. Et puis j’ai fini par avoir assez pour rentrer en Angleterre. Mais j’ai préféré m’acheter une guitare.
Qu’as-tu trouvé ici que tu n’as pas là bas ?
J’ai trouvé l’amour ! Pas avec une femme, avec la musique (rire.) J’ai découvert que la musique était mon amour. Cela m’a donné plus de joie que jamais dans ma vie. Mais ici il y a aussi la nourriture et les femmes.
Parles-tu un peu français ?
Un petit peu. J’ai donné mon vie à les Françaises, c’est ça...

Benjamin Clémentine est en résidence aux Trans Musicales de Rennes durant toute la durée du festival. Il est en concert à l'Aire Libre les 4,5,6 et 7 décembre (21h15) de même que l'excellente multi-instrumentiste Leonie Pernet (20h30).

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