Nouvelles restrictions dans le monde de la culture : le trompettiste Ibrahim Maalouf défend une "décision générale" pour "éviter l'anarchie"
Face à l'augmentation des contaminations liées au Covid-19, le trompettiste franco-libanais avait de lui-même annulé un de ses concerts prévu le 20 décembre à Paris.
"Si le gouvernement ne prend pas une décision générale, pour l'ensemble d'un milieu professionnel, chacun va faire à sa tête. Et si chacun fait à sa tête, c'est une catastrophe, ça devient l'anarchie", a déclaré le trompettiste franco-libanais Ibrahim Maalouf jeudi 30 décembre sur franceinfo, après les nouvelles restrictions imposées mardi notamment au monde de la culture.
Il avait lui-même décidé d'annuler un concert prévu le 20 décembre à l'Accor Arena à Paris, face à l'augmentation des contaminations liées au Covid-19.
franceinfo : Pensez-vous que la culture est sacrifiée ?
Ibrahim Maalouf : Elle est sacrifiée par la situation. Je ne suis pas certain qu'il soit raisonnable de considérer que ce sont les décisions qui l'ont sacrifiée. Mais on est très frustré dans le milieu de la musique. On n'en peut plus, mais comme tout le monde. Pas plus ni moins. Après, on a une voix qui porte forcément parce qu'on peut parler dans les médias plus facilement, parce qu'on est accessible. On a des "fans base" sur Instagram, sur Twitter, sur TiK-Tok. Donc forcément, quand on réagit, ça s'entend très, très vite. Avant les décisions gouvernementales, on a pris avec mon équipe une décision qui était pour nous en tout cas douloureuse, de reporter le concert à Bercy le 20 décembre dernier. On l'a reporté avant que les décisions gouvernementales n'apparaissent parce que l’on considérait que ce n'était pas du tout prudent. On était à l'époque à 62 000 cas par jour. On venait de passer à 78 000 cas par jour et on s'est dit que ce n'était pas raisonnable.
La culture doit avoir le sens des responsabilités dans une période aussi difficile ?
Si l’on veut regarder les choses de manière raisonnable, ce n'est pas concevable de pouvoir prendre ce genre de risques. Après, on est frustrés. Moi, le premier. Cela m'avait miné de devoir informer toutes mes équipes, c'était 600 personnes qui étaient concernées par ce concert, et de leur dire les amis, "pour la troisième fois pour ce Bercy, on va devoir décaler encore une fois. On l'a fait un peu la mort dans l'âme, mais il y a un moment où il faut prendre ses responsabilités. Ce n'était pas possible. De toute façon, ce qui limite nos libertés, de toute façon, sera toujours mal vécu. C'est un fait. On ne peut pas prendre ses décisions individuellement parce qu'il y a forcément des gens qui ne seront pas responsables. Je ne fais pas de la politique. Je m'en fous, mais il me semble que si le gouvernement ne prend pas une décision générale, pour l'ensemble d'un milieu professionnel, chacun va faire à sa tête. Et si chacun fait à sa tête, c'est une catastrophe, ça devient l'anarchie.
Votre livre "Petite philosophie de l'improvisation" que vous venez de publier commence par une citation de votre grand-mère âgée de 99 ans : "Moi, dans la vie je m'adapte"? Une citation qui doit résonner pour vous en ce moment ?
En écrivant ce livre, complètement indépendamment de la crise qu'on était qu'on est en train de vivre, j'étais dans une réflexion depuis de nombreuses années sur ce que l'improvisation était capable de nous apporter socialement. En tant qu'artiste j'amène une proposition comme chacun amène un peu ses idées. Moi, ma proposition, c'est de dire que l'improvisation musicale, mais dans tous les domaines de nos vies, est peut être une des seules chances qu'on a de réparer une société qui est très clivée. L'improvisation ce n'est pas forcément de prendre son instrument de musique et puis de faire un peu n'importe quoi et de dire que je suis en train d'improviser. L'improvisation, cela va beaucoup plus loin que ça. C'est l'idée qu'on est plusieurs avec une envie qui est de partager un moment de musique, un moment improvisé.
Il n'y a pas de partition prévue. On est tous très différents. On vient de cultures différentes. On a des âges différents, on a des niveaux différents. Mais puis, on décide tous ensemble de construire quelque chose de musical. Ce quelque chose de musical, on ne peut le construire que si on trouve nos dénominateurs communs. Il est impossible de créer une musique tous ensemble sans l'avoir préparé au départ, sans chercher une pulsation commune, sans chercher l'harmonie, sans chercher une mélodie commune. C'est un vrai travail social qui est extrêmement intéressant, surtout aujourd'hui, quand je vois à quel point nos sociétés sont clivantes et difficiles à mener.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.