Girafes, autruches, oryx : à Djibouti, le désert cache des gravures préhistoriques insoupçonnées
Connu comme l'un des plus importants sites d'art rupestre de la Corne de l'Afrique, Abourma, situé au nord de Djibouti, renferme des trésors archéologiques qui retracent l'histoire de l'humanité.
A première vue, ce n'est qu'une énième colline noire, formée de blocs de basalte et terrassée par le soleil brûlant. Puis jaillissent les girafes, les autruches, les antilopes : un bestiaire immense, gravé dans la roche il y a jusqu'à 70 siècles.
Abourma, au nord de Djibouti, est l'un des plus importants sites d'art rupestre de la Corne de l'Afrique, une région au riche patrimoine archéologique, connue pour être le berceau de l'humanité. Sur environ trois kilomètres, quelque 900 panneaux se succèdent, figurant ici de minuscules chasseurs face à une girafe gigantesque, là d'élégantes autruches, ou, plus loin, un troupeau de vaches.
"A Abourma, on vit la préhistoire"
Au silex, les hommes préhistoriques y ont gravé leur vie quotidienne, témoignant de l'arrivée du bétail mais aussi d'un profond bouleversement du climat. Ces animaux sauvages typiques d'une steppe arborée n'existent plus à Djibouti, pays désertique où l'eau et la verdure sont rares depuis plusieurs milliers d'années.
"Aujourd'hui, (Abourma) est un cimetière si l'on peut dire. A l'époque ces animaux vivaient ici. A l'époque, Djibouti nétait occupé par la forêt", explique Omar Mohamed Kamil, un jeune guide touristique originaire de cette région. "A Abourma (...) on est un peu écarté de la civilisation, on est dans la préhistoire, on vit la préhistoire", ajoute-t-il, la gorge asséchée par la chaleur de la mi-journée.
Un site visité pour la première fois en 2005
Six heures de route depuis la capitale, Djibouti-ville, puis une heure de marche à travers les collines - il en fallait cinq avant une récente extension de la piste - sont nécessaires pour parvenir au site. Et encore, ce dernier resterait introuvable sans l'oeil expert d'Ibrahim Dabale Loubak, 41 ans, qui "connaît chaque pierre, chaque recoin" de ce massif rocheux.
Le gardien d'Abourma, également éleveur de dromadaires, est né ici. Sa communauté, les Afar - peuple historiquement nomade qui vit dans cette région perdue aux confins de Djibouti, de l'Erythrée et de l'Ethiopie -, a toujours eu connaissance des gravures. "Nos grands-pères ont raconté à nos pères puis nos pères nous ont raconté", explique cet homme à la silhouette fine, portant le turban et la foutah traditionnels.
Mais Abourma n'a été visité pour la première fois par des archéologues qu'en 2005. C'est M. Loubak qui guida jusqu'au site des chercheurs français, accompagnés d'une caravane de dromadaires transportant la nourriture, les couchages, le matériel de travail, et l'indispensable générateur.
L'archéologue Benoit Poisblaud évoque d'une voix encore émue ce "site extraordinaire", "jamais vu à Djibouti ou même en Ethiopie", qu'il a étudié en post-doctorat à l'âge de 25 ans. "Abourma, c'est une continuité, sur plusieurs millénaires, de passages, de gravures, par des gens qui sont très différents : des chasseurs, des pasteurs, des pasteurs beaucoup plus tardifs (...) Des milliers et des milliers de représentations", ajoute l'archéologue. La datation des dessins, pointe-t-il, s'étale "entre - 5000 et 0 avant J.C."
Un héritage rupestre mal répertorié
L'Afrique recèle un immense patrimoine archéologique mais de nombreux sites, notamment d'art rupestre, ont été peu étudiés, voire pas du tout, note Emmanuel Ndiema, chef du département d'archéologie aux Musées nationaux du Kenya.
"Je dirais que seuls 10 à 20% des sites ont été documentés", précise cet expert, soulignant que l'Afrique subsaharienne attire moins les chercheurs que d'autres régions du globe, et que les travaux archéologiques y coûtent plus cher, en raison du manque d'infrastructures. "Encore aujourd'hui à l'heure où je vous parle, nous recevons toujours des informations sur des sites (non étudiés) ici, au Kenya, même pas ailleurs !", s'exclame Emmanuel Ndiema.
Le déficit de recherches pèse sur la mise en valeur de cet héritage, qui pourrait attirer des touristes et générer des revenus pour les Etats et pour les communautés, soulignent les experts. Mais, disent-ils, une plus grande visibilité pose également un risque en terme de protection de ce patrimoine.
A Abourma, où les touristes sont rares, ni clôture, ni barrière ou guichet ne bloquent l'entrée. La sécurité des gravures ? Pas un problème, selon Ibrahim Dabale Loubak. "Personne ne peut venir ici sans que je le sache", affirme le gardien afar. Les habitants de ces vallées silencieuses lui rapportent, dit-il, le moindre bruit.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.