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Art africain : le président du Quai Branly prône la circulation des œuvres plutôt que leur restitution

La meilleure réponse à la nécessaire réappropriation par les Africains de leur patrimoine est le soutien à de nouveaux musées et une large "circulation" des oeuvres, plutôt que des restitutions importantes comme préconisées dans un rapport, estime le président du Musée du Quai Branly.
Article rédigé par franceinfo - franceinfo Culture (avec AFP)
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Stéphane Martin, président du Musée du Quai Branly, ici dans son musée en 2016.
 (Joël SAGET / AFPROLLINGER-ANA / ONLY FRANCE)

Pour Stéphane Martin, qui préside depuis 1998 aux destinées du Quai Branly-Jacques Chirac à Paris, où sont rassemblées 70.000 oeuvres d'art africain sur les quelque 90.000 des collections publiques françaises, le rapport remis la semaine dernière au président Macron a "un problème principal" : "Il met beaucoup trop les musées sur la touche au profit des spécialistes de la réparation mémorielle".

La tache coloniale

A la demande d'Emmanuel Macron, les universitaires Bénédicte Savoy, du Collège de France, et Felwine Sarr, de l'Université de Saint-Louis au Sénégal, ont posé les jalons pour une restitution à l'Afrique subsaharienne d'oeuvres d'art transférées pendant la colonisation. Ils ont recensé des dizaines de milliers d'oeuvres potentiellement concernées. "Il faut un droit au patrimoine pour toute l'humanité, pas juste pour les Européens qui ont le privilège de la mobilité, le privilège d'avoir hérité de situations de guerre qui leur ont permis d'avoir tous ces objets", affirmait dimanche Bénédicte Savoy sur TV5 Monde.

S'il reconnaît un intéressant travail historique, Stéphane Martin regrette les conclusions du rapport, établissant selon lui que "tout ce qui a été collecté, acheté dans le cadre colonial est touché par l'impureté du crime colonial". Il "ouvre un champ de 'restituabilité' complète. Ce sont des propositions maximalistes", dit-il à l'AFP. Seraient ainsi susceptibles d'être restitués "les dons aux musées provenant des personnes liées à la colonisation (administrateurs, médecins, militaires) et ceux de leurs descendants, et surtout tout ce qui a été collecté par des expéditions scientifiques". Il y a eu des cadeaux faits librement, ajoute-t-il, citant ceux des grands chefs du Cameroun à un médecin, Pierre Harter, qui avait soigné leurs familles de la lèpre.

La solution, pour Stéphane Martin : la circulation des oeuvres

Un autre point le chiffonne : l'idée d'une "commission mixte" pour chaque demande de restitution déposée par un Etat. "En droit français, ce serait une très grande innovation qu'un Etat étranger soit à parité avec la nation française pour déterminer ce qui est à juste titre ou pas dans son patrimoine".

Stéphane Martin estime que le communiqué de l'Elysée diffusé le 23 novembre n'endosse pas l'idée de restitutions massives : "Tel que je le lis, il ferme la porte au rapport Sarr-Savoy en insistant sur le fait que les musées, et surtout les musées universels, sont un élément important du patrimoine commun de l'humanité. Et que la circulation reste le moyen principal de la diffusion culturelle." Cette diffusion passe par des "prêts, dépôts, circulation, expositions", ajoute-t-il, citant ce communiqué. 

La restitution au cas par cas

Emmanuel Macron, estime le patron du Quai Branly, dit aussi que les restitutions "peuvent, dans des cas très précis, être envisagées", comme pour les prises de guerre des statues du Bénin exposées au Quai Branly. "Ces transferts de propriété d'Etat à Etat, il y en a toujours eu", relève Stéphane Martin. "L'appareil juridique actuel" lui semble suffire pour le déclassement de ces oeuvres. "Le Getty a rendu des objets à l'Italie, le British Museum à l'Australie, le Musée Guimet à la Chine". Mais "ça ne peut être la voie unique. Sinon on va vider les musées européens et on entre dans une logique où le patrimoine devient l'otage de la mémoire", redoute-t-il.

A côté des restitutions, "d'autres moyens sont à mettre en oeuvre qui passent par les musées", poursuit-il. Il suggère "l'aide à la construction de nouveaux lieux, le travail avec les collectionneurs privés, les fondations", telle la Fondation Zinsou qui a organisé une première exposition Basquiat à Lomé. Le président "invite donc les musées à jouer un rôle essentiel alors que le rapport dit qu'ils sont des captateurs", selon Stéphane Martin. Le ministère de la Culture a un rôle central à jouer juge-t-il : "A lui de réfléchir avec ses collègues européens et organiser une réflexion de musée à musée, avec les musées africains, les autres musées français, les musées européens, sur cette circulation". En Allemagne (avec le nouveau  Humboldt Forum à Berlin) et au Royaume Uni, dit-il, des réflexions sont déjà menées.

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