Centenaire de Pierre Soulages : "Pour les vitraux de Conques, je cherchais une variation de translucidité"
Pierre Soulages a 100 ans mardi. Alors que le peintre est célébré au Louvre à travers une exposition-hommage, retour sur l'un de ses chef-d'oeuvre, les 104 vitraux de l'abbatiale Sainte-Foy de Conques, qui fût aussi sa première commande officielle de l'État français.
Né le 24 décembre 1919 à Rodez, dans l'Aveyron, Pierre Soulages fête son centième anniversaire mardi 24 décembre. La carrière du peintre, considéré aujourd'hui comme le plus grand artiste français vivant, se décline en plus de 1 600 oeuvres, dont une vingtaine sont exposées en ce moment au Louvre qui lui consacre une exposition - hommage exceptionnelle (jusqu'au 9 mars 2020).
Mondialement connu notamment pour ses "outrenoirs", ces toiles où il creuse dans le pigment noir des chemins pour que la lumière se révèle, Pierre Soulages l'est aussi pour la réalisation des 104 vitraux de l'église abbatiale Sainte-Foy-de-Conques. Cette commande officielle passée par l'Etat en 1986 et qu'il accepte a nécessité huit ans de travail.
Ce choix de l'abbaye de Conques n'est pas un hasard. Car c'est ici, lors d'une visiste avec son école quand il avait 14 ans, que la vocation du peintre s'est affirmée dans son esprit. "C'est (…) là, je peux le dire, que tout jeune j'ai décidé que l'art serait la chose la plus importante de ma vie", confie-t-il dans un entretien à la BNF en 2001.
Couper le regard tout en laissant passer la lumière
Pierre Soulages a toujours été fasciné par les vieilles pierres, les matériaux patinés, les peintures rupestres… Des palettes de couleurs douces et délicates. Les pierres de l'abbaye de Conques ont été tirées de trois carrières différentes, rapporte le peintre. On y trouve du grès rouge, rose, du calcaire jaune. En travaillant sur le projet, trois idées se sont imposées à l'artiste : d'abord celle de ne pas permettre au regard de s'égarer vers l'extérieur, puis celle de ne pas "violenter" les couleurs naturelles des pierres de Conques et enfin que les vitraux puissent se regarder aussi de l'extérieur.
Dans un entretien à franceinfo en 2014, Pierre Soulages revient sur le cheminement de son travail. "Pour les vitraux de Conques, je cherchais une variation de translucidité, explique l'artiste. J'étais parti avec plusieurs idées : je voulais couper le regard de l'extérieur pour le confiner à l'intérieur de l'édifice pour qu'on puisse jouir parfaitement de la qualité de l'espace architectural intérieur. Je pensais qu'il était mieux que le regard ne s'égare pas à l'extérieur. Donc je voulais couper la vue, mais je ne voulais pas que les surfaces des fenêtres soient comme du verre dépoli", souligne-t-il.
Je voulais qu'il y ait une vie ! Il fallait donc chercher un verre translucide, coupant le regard mais laissant passer la lumière et surtout, n'en changeant pas les qualités.
Pierre Soulagesà franceinfo (2014)
L'artiste a dû aussi s'accomoder de la configuration du lieu. L'abbaye de Conques a une architecture cruciforme à chapelles rayonnantes. Elle est enfoncée comme dans une fosse d'un côté, et surplombe un ravin de l'autre. Un lieu où la lumière est primordiale. "L'abbatiale de Conques, et ça personne ne peut en disconvenir, a été faite avec de la lumière, puisque c'est un lieu où les fenêtres du nord sont plus basses, plus étroites, que celles qui leur font face au sud. Or, le Nord est sombre. À Conques, il est même plus sombre qu'ailleurs puisqu'il y a un mur de soutènement à quelques mètres. Eh bien là, ils ont fait des fenêtres plus petites et plus basses, ce qui est totalement incompréhensible de nos jours", explique Pierre Soulages, qui décide d'intégrer ce paramètre au projet.
J'ai considéré que l'organisation de la lumière faisait partie de l’identité de ce lieu et mon travail a été de respecter cette identité et de la mettre, même, en évidence.
Pierre Soulagesà franceinfo (2014)
Après plusieurs centaines d'essais au laboratoire de Saint-Gobain entre autres, Pierre Soulages obtient la modulation de translucidité recherchée pour les vitraux de l'abbatiale Sainte-Foy-de-Conques en répartissant des fragments de verre de grosseurs différentes, dévitrifiés partiellement en cours de fusion. Le projet dure huit années, pour enfin voir le jour en 1994.
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