Fausses antiquités acquises par le château de Versailles : un expert de l'art mondialement connu poursuivi pour tromperie
D'après une ordonnance du juge d'instruction, six personnes physiques et une prestigieuse galerie d'antiquaires parisienne comparaîtront devant le tribunal correctionnel de Pontoise pour cette affaire qui a secoué le microcosme feutré des antiquaires et des monuments historiques.
À l'origine de ce dossier se trouve le "pari" de deux hommes enivrés par leur capacité à duper les plus grands spécialistes et acquéreurs de l'art français du XVIIIe.
Au centre de l'affaire, le "Père La Chaise" à savoir Bill Pallot, dandy de 59 ans aux cheveux longs et élégants costumes trois-pièces, notamment renvoyé pour tromperie. Jusqu'alors spécialiste français incontesté du mobilier royal du XVIIIe, il a écrit l'ouvrage de référence mondial sur le sujet. À ses côtés, Bruno Desnoues, un ébéniste et meilleur ouvrier de France du Faubourg Saint-Antoine, quartier historique du travail du bois à Paris.
Une supercherie "grisante"
À partir de 2007-2008, le duo produit et vend une poignée de faux sièges présentés comme de rarissimes meubles d'époque qui auraient orné le salon de Madame du Barry, maîtresse de Louis XV, ou le cabinet de la reine Marie-Antoinette. Une supercherie "grisante", de leur propre aveu, qui leur rapportera des centaines de milliers d'euros.
Acquises par des galeries ayant pignon sur rue, les fausses antiquités sont ensuite revendues par ces dernières à de prestigieux clients, à l'instar d'un prince qatari, avec des marges faramineuses. "Il y en a qui se sont bien gavés au passage", commentera en interrogatoire l'ébéniste en apprenant les prix pratiqués.
Au premier plan des destinataires finaux figure le château de Versailles qui s'est ainsi porté acquéreur de fausses chaises estampillées Louis Delanois, d'une chaise Georges Jacob et d'une bergère Jean-Baptiste Sené, des ébénistes du XVIIIe siècle aux œuvres parmi les plus chères et recherchées.
Pendant des années, malgré quelques alertes, le subterfuge passe globalement "comme une lettre à la poste", se félicitera Bill Pallot devant le juge d'instruction.
Leur chute viendra d'un endroit inattendu. En 2014, la cellule antiblanchiment Tracfin détecte des opérations financières et immobilières dans le Val-d'Oise d'un couple de Portugais, un chauffeur et une coiffeuse, qui semblent sans commune mesure avec leurs revenus déclarés.
En remontant le fil, les enquêteurs découvrent que le mari est en lien avec l'ébéniste du Faubourg Saint-Antoine et finissent par mettre au jour cet incroyable trafic de meubles XVIIIe, particulièrement embarrassant pour le prestige du château de Versailles.
Des dysfonctionnements à Versailles
Contactés par l'AFP, le Domaine national (partie civile dans le dossier aux côtés de la maison d'enchères Sotheby's) et la défense de Bill Pallot n'ont pas souhaité faire de commentaire.
Au terme de huit ans de procédure, le juge d'instruction a décrété un non-lieu pour un expert de l'art réputé qui servait d'intermédiaire entre Pallot et les galeries, ainsi qu'un doreur qui travaillait sur les faux sièges. Il a estimé que ceux-ci avaient été dupés par la renommée de l'expert.
Il a en revanche renvoyé devant le tribunal la galerie d'antiquaires Kraemer, l'une des plus luxueuses de Paris et fréquentée par nombre de milliardaires, et l'un des frères qui la dirige, Laurent Kraemer.
Si le juge a abandonné l'accusation initiale d'escroquerie en bande organisée et reconnu que les Kraemer n'étaient pas "de connivence" avec les faussaires, il leur est reproché de "ne pas avoir procédé à des vérifications suffisamment poussées" sur les meubles incriminés. "La galerie Kraemer a été trompée et avec elle tous les plus grands experts français des meubles XVIIIe (...) Nous attendons l'audience avec impatience pour démontrer que les Kraemer n'ont aucune autre place dans ce dossier que celle de victimes", ont réagi auprès de l'AFP leurs avocats Mauricia Courrégé et Martin Reynaud, en dénonçant des "charges (qui) n'ont fait que fondre comme neige au soleil".
Face au scandale provoqué par la révélation de cette affaire en 2016, le ministère de la Culture avait ordonné une inspection sur les procédures d'acquisitions du château de Versailles.
Dans un rapport rendu l'année suivante et versé à l'instruction, l'administration y fustigeait "des dysfonctionnements" et un "défaut de vigilance" de la part de l'établissement public et l'appelait à "réviser dans les meilleurs délais et en profondeur" ses procédures.
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