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Martin Parr, Nan Goldin, Eric Poitevin... cinq photographes se confrontent au mythe de Versailles

Cinq photographes nous proposent leur vision de Versailles au domaine de Trianon

Article rédigé par Valérie Oddos
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Vue de l’exposition " Versailles - Visible / Invisible", château de Versailles, 2019 Courtesy de l’artiste Martin Parr (TADZIO)

Dans le cadre de ses événements d'art contemporain, le château de Versailles a invité cinq photographes à créer des œuvres inspirées du lieu. Ils les ont installées à Trianon, l'occasion d'une promenade au fil des différents pavillons où chacun nous présente un univers très différent, en lien avec sa propre vision ou sa mythologie personnelle de Versailles.

Nan Goldin, The pipes, 2018/2019. / Courtesy de l'artiste, château de Versailles et Marian Goodman (© Nan Goldin)

Nan Goldin explore les canalisations et rend hommage aux femmes

"Mon art a toujours été politique", dit l'Américaine Nan Goldin, un des grands noms de la photographie. Elle nous parle longuement de son combat actuel contre les compagnies pharmaceutiques qui fabriquent des médicaments aux opioïdes, responsables de nombreux morts aux Etats-Unis. 

"Pour moi, Versailles est trop beau pour que je puisse lui rendre justice en le photographiant, alors j'en ai cherché la face 'sale'", dit celle qui s'est fait connaître pour ses images dérangeantes de l'intimité des milieux underground de New York dans les années 1980. Nan Goldin est descendue dans les sous-sols des fontaines où elle a été fascinée par les canalisations du XVIIe siècle. "Je m'y suis sentie plus à l'aise que dans les jolies choses qu'on voit au-dessus", ajoute-t-elle.

Ses grandes images dans les verts, bleus, gris, beiges, pris dans le réseau souterrain, sont exposées dans les coulisses du Petit Trianon, dans un couloir sombre de l'espace des domestiques, l'envers de la maison de Marie-Antoinette. Elles sont accompagnées par des bruits d'eau.

On monte par un petit escalier à la lumière : au rez-de-chaussée, Nan Goldin expose une autre série inspirée de la marche des femmes qui a mené des milliers d'entre elles à Versailles, en octobre 1789, pour faire revenir Louis XVI et Marie-Antoinette à Paris. Elle a photographié les statues des jardins dont le blanc contraste avec le sombre des images du sous-sol. Elle les expose au son d'extraits de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne rédigée par Olympe de Gouges en 1791, lus par des actrices (Isabelle Adjani, Laetitia Casta, Catherine Deneuve, Isabelle Huppert…).

 
"Je vous emmène en promenade depuis le ventre de la bête jusqu'à la révolution des femmes, et je dédie la deuxième série aux femmes qui sont toujours en marche", dit Nan Goldin. "Ne me demandez pas le rapport entre les tuyaux et la marche des femmes. Je ne le vois pas moi-même !"

Martin Parr, The Château of Versailles gardens, France, 2018, Courtesy de l’artiste & château de Versailles (© Martin Parr / Magnum Photos / kamel mennour / château de Versailles)
Martin Parr découvre Versailles

Martin Parr, lui, n'était jamais venu à Versailles. Le photographe britannique s'en étonne lui-même, alors que depuis 35 ans le tourisme est un de ses sujets de prédilection : "C'est un mystère pour moi", dit-il. "Alors quand j'ai été invité à Versailles, bien sûr, j'ai sauté sur l'occasion."

Son ignorance du lieu était telle qu'il était un peu angoissé lors de sa première visite : c'était le premier week-end d'octobre et il craignait que les touristes ne soient pas au rendez-vous à cette époque de l'année. Il a vite été rassuré : "Quand je suis arrivé il y avait déjà 50 autocars sur le parking." Rassuré aussi quand il a vu la queue "de 500 m de long, où il y a de nombreux Chinois", se réjouit-il, "à l'heure où l'Europe s'écroule".

Puis il est entré dans le château "pour une heure et demie de bousculade. C'est difficile et désagréable, tout le monde prend des selfies, mais pour moi, justement, c'est un nectar, c'est comme si j'étais au septième ciel".

Finalement, on n'est pas très surpris. Martin Parr s'est régalé et a fait du Martin Parr : la galerie des glaces comble ("l'apogée de la ballade, j'y suis beaucoup allé"), les touristes en ligne dans la même position, bras en l'air, sur les marches dos au château ou dans les salles pour faire le selfie indispensable. Ou encore la queue, océan coloré de parapluies et de capes en plastique sous la pluie. Ses photographies sont accrochées en arc de cercle dans le Pavillon Frais, un petit édifice où on venait l'été, du temps de Louis XV, manger les fruits et légumes du potager.

Eric Poitevin, Sans titre, 2019, Courtesy de l’artiste, du château de Versailles & Baronian-Xippas (Bruxelles) (© Eric Poitevin)

Eric Poitevin entre angéliques et soleils

Eric Poitevin, lui, expose à l'Orangerie de Jussieu, habituellement fermé au public. Un lieu "intimidant dans sa beauté et sa simplicité", nous dit le photographe. Il est composé d'une galerie extérieure et d'une salle au très haut plafond, toutes deux brutes, vides et lumineuses.

Dans la première Eric Poitevin, qui aime travailler sur les plantes et les fleurs sauvages, présente une série d'angéliques à un stade avancé. La robustesse, le côté "charpenté" et les grandes différences de formes qu'elles présentent lui ont plu. Il aime aussi que, une fois séchées, elles soient quasi monochromes. Il en a fait des images presque noir et blanc. "Ce que j'aime beaucoup, c'est que ce n'est pas fini après la floraison."

A l'intérieur, "l'espace m'a subjugué, il y a un effet entre chapelle et cathédrale". Eric Poitevin y expose une série des plus surprenantes. Des photos du soleil ("pas du ciel", précise-t-il), des disques presque imperceptibles, sur de grandes toiles verticales, en référence au Roi Soleil.

Les épreuves finales sont numériques. Mais au départ Eric Poitevin travaille en argentique à la chambre 20x25, une technique qui suppose de prendre du temps, de prendre le risque qu'il soit trop tard, qu'il faille revenir le lendemain. Il donne donc ses films à développer à un laboratoire. Ses photos de soleil, le laboratoire ne voulait pas les lui facturer, s'amuse-t-il : il n'y a rien dessus, lui disait-on.

Viviane Sassen, La Voisin (série « Venus and Mercury »), 2019, Courtesy de l’artiste, château de Versailles & Stevenson Gallery (Le Cap) (© Viviane Sassen & château de Versailles)
Viviane Sassen célèbre l'amour

Pour la Néerlandaise Viviane Sassen, Versailles est un souvenir d'adolescence : "La seule fois où j'étais venue, j'avais 13 ans. L'âge où vous prenez conscience de votre corps, de votre sexualité. Je me souviens d'avoir marché dans les jardins et vu toutes ces sculptures de nus et ça a éveillé quelque chose en moi. En commençant ce projet, je suis revenue dans ce lieu de ma jeunesse et je l'ai relié à des histoires d'amour et de sexualité."

Viviane Sassen a dispersé dans les salons du Grand Trianon quatre tirages monumentaux où le corps (ou l'amour) est omniprésent, une image de sculpture (le Milon de Crotone de Pierre Puget) en contreplongée à la présence étonnante, un plâtre romain de dos, avec un grand trou dans le dos, coloré en rouge. Une lettre de Marie-Antoinette à son amant imprimée sur fond rose Barbie, une jeune fille rencontrée sur place qu'elle a fait poser dans le salon de famille de Louis-Philippe.

Elle est venue à de nombreuses reprises, elle a effectué des recherches sur l'histoire de Versailles et fait de nombreuses images. Elle en a tiré aussi un diaporama.

Dove Allouche, Evaporites 8, 2019, Courtesy de l’artiste, château de Versailles, Peter Freeman Inc. (New York) & Gb Agency (Paris) (© Dove Allouche)

Dove Allouche donne des couleurs au gypse

Dove Allouche, lui, a voulu travailler sur les matériaux de Versailles. Il a pensé un moment au marbre avant de s'intéresser finalement au gypse, matériau pauvre, "modeste", qui a servi à tous les plâtres et les stucs du domaine royal. "La modestie du gypse contraste avec les apparats, les fastes du site. J'ai choisi une approche de maçon", dit l'artiste. Il est allé chercher un bloc de gypse dans une carrière et l'a découpé en très fines lamelles qui lui ont servi de négatif (ses images sont faites sans appareil photo).

La lumière qui passe à travers les lamelles de gypse imprime sur le papier sensible les couleurs des cristaux qui constituent la roche et crée des espèces de tableaux abstraits, qu'il expose au Grand Trianon, dans la "galerie des Cotelle" où sont accrochées des peintures de Jean Cotelle représentant les jardins de Versailles tels qu'ils étaient au temps de Louis XIV.

"Les couleurs sont une surprise. Mais la vraie surprise, c'est qu'elles font écho à la palette de Jean Cotelle", se réjouit Dove Allouche, qui a voulu "ramener Versailles et les faits historiques qui nous constituent en tant que nation à l'échelle géologique".

Visible / Invisible, Versailles Du 14 mai au 20 octobre 2019
Accès à l’exposition dans le domaine de Trianon par l’entrée du Petit Trianon ou celle du Grand Trianon.
Tous les jours du mardi au dimanche de 12h à 18h30. Durée de la visite : 1h30 Dernière admission : 18h Fermeture des caisses : 17h50  

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