Des anonymes prennent la pose pour un vitrail de la cathédrale de Strasbourg
Recrutés via un appel lancé par la direction régionale des Affaires culturelles, les modèles, hommes, femmes et enfants de tous âges, ont été reçus individuellement par l'artiste en charge du projet, Véronique Ellena. Elle les a photographiés dans la cathédrale, précisément sous la verrière où leur image est appelée à s'inscrire dans la durée.
"Il y a ici une énergie, une force merveilleuses. Ca apporte une dimension supplémentaire qui va nourrir la profondeur du vitrail", explique l'artiste, dont le projet a été choisi par l'Etat - propriétaire du monument - pour orner deux baies vitrées d'environ neuf mètres de haut, dans une chapelle latérale de la cathédrale. Les vitraux d'origine, du 14e siècle, y ont été détruits en 1683, et ont laissé place à des fenêtres en verre blanc, sans motif, qu'il s'agit donc désormais de remplacer par des oeuvres originales.
Mettre en lumière Monsieur et Madame tout-le-monde
Le projet consiste à imprimer dans le verre une image numérique composée à partir de photos d'éléments naturels - paysages, plantes ou animaux -, ainsi que de multiples visages - qui formeront une tête de Christ. Pour l'artiste, il ne s'agit pas d'"encourager le nombrilisme" des anonymes mais de "mettre en lumière Monsieur et Madame tout-le-monde, et d'en faire des icônes universelles". Elle a d'ailleurs prévu d'intégrer dans l'image finale les photos de personnes sans abri.
"Laisser une trace dans la cathédrale pour l'éternité, ça me plaît", s'amuse Anne Vuillemard-Jenn, une des modèles venus poser au pied de la verrière. "Et puis je vois dans ce projet une continuité avec le travail des bâtisseurs de cathédrale, qui eux aussi représentaient des portraits sur les vitraux", explique cette professeur d'architecture contemporaine, qui a fait une thèse sur l'architecture du Moyen-Age. "C'est formidable de s'inscrire dans la durée" s'enthousiasme Michèle Sissler, une autre "modèle". "Mon portrait ne sera peut-être pas reconnaissable pour autrui mais moi je saurai où figurera mon visage et je le dirai à mes enfants et petits enfants", explique cette infirmière retraitée, venue elle aussi prendre la pose à côté d'un confessionnal.
Le projet, d'un coût proche de 200.000 euros, a été validé par un Comité de pilotage où figuraient notamment la DRAC, le service des Monuments historiques, l'archevêché et la ville de Strasbourg.
Mais il suscite quelques grincements de dents. Albert Châtelet, ancien conservateur au Louvre et professeur d'histoire de l'art à la retraite, a multiplié les courriers pour protester contre une création qui créera selon lui un "contraste épouvantable" avec le reste de la chapelle. "Personnellement, j'aurais préconisé le statu quo. Mais si on veut absolument installer de nouveaux vitraux, il faut respecter le style de ce qui existe. Ces photographies, c'est une absurdité complète", s'emporte M. Châtelet, qui pour autant assure ne pas vouloir mener la "querelle des anciens contre les modernes".
"Toute critique est légitime mais ceux qui ont fait le choix de ce projet sont légitimes également", rétorque Anne Mistler, à la tête de la DRAC d'Alsace. "La cathédrale doit continuer à vivre du point de vue artistique. Si on avait voulu respecter son authenticité originelle, elle serait encore de style roman!".
Véronique Ellena assure que son motif sera "extrêmement classique". "Mon travail est ancré dans le passé, même si j'ai des outils de 2015", assure l'artiste, qui espère pouvoir inaugurer son vitrail lors des Journées du patrimoine, en septembre prochain.
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