"Faire Jésus", "aller aux oranges", "jeu décisif" pour "tie-break" : bienvenue dans la farandole des mots du sport
"Faire le trottoir" – ce n’est absolument pas ce que vous imaginez –, "envoyer des sms" – ce n’est toujours pas ce à quoi vous pensez – ou encore "conter fleurettes aux truites" font partie de la centaine d’expressions que l’on retrouve dans le livre de Daniel Berlion, Petit dictionnaire insolite des expressions du sport (Larousse).
L'ouvrage est un sésame. Tout comme les lexiques mis à disposition, récemment, par le ministère de la Culture pour favoriser l'utilisation de mots français dans les quatre nouveaux sports olympiques présents à Paris : surf, escalade sportive, glisse urbaine (skateboard) et break (breaking, breaking dance ou breakdance en anglais). Dans ces disciplines où les anglicismes sont légion, il est suggéré d’utiliser "danseuse de break" et "danseur de break" à la place de "Bgirl" et de "Bboy". Pour la glisse urbaine, "vrille latérale" est l'alternative au "flip". Ces néologismes ont une valeur pédagogique et permettent de vulgariser des termes, qui autrement, seraient incompréhensibles pour le grand public. Un lexique est également consacré au parasport, un vocabulaire, qui "n'avait pas jusqu'à présent fait l'objet de définitions officielles", précise le ministère de la Culture sur le document.
Un vocabulaire d'initiés
"Pratiquer ces expressions, analyse Daniel Berlion, c’est faire partie des initiés. Si on les comprend, c'est que l’on est dans l’aristocratie de ce sport." Les fans savent donc que "faire le trottoir" est un terme utilisé en formule 1. Avant les bottes de paille et les pneus usagés "pour absorber les chocs, les circuits étaient bordés de petits trottoirs en béton, explique l'ancien sportif dans le Petit dictionnaire insolite des expressions du sport. "Lorsqu’un pilote adoptait une mauvaise trajectoire qui l’amenait à frôler ou même heurter un trottoir, les mécaniciens s’écriaient : 'Mais enfin, pourquoi fait-il le trottoir ?' L’expression est restée pour qualifier un pilote qui prend des courbes trop larges ou des risques insensés."
Et pour un kayakiste, "conter fleurettes aux truites" n’a rien de poétique. La formule renvoie à une situation inconfortable : déstabilisé par de violents courants, il peut se retrouver trop longtemps sous l’eau, faute de parvenir à manœuvrer pour retrouver sa position initiale. Quant à "envoyer des sms" en sport, ce n’est pas non plus très heureux puisque cela équivaut à être un livre ouvert pour son adversaire. Ce dernier anticipe alors tous vos gestes. Pas aisé de tirer un penalty dans ces conditions...
"Défendre comme des portes d'un saloon" est tout aussi maladroit. Daniel Berlion affectionne particulièrement cette expression qu’il a partagée de façon inédite avec franceinfo Culture. En rugby, "c'est quand l’adversaire arrive et que vous ne le plaquez pas", explique-t-il. "Vous le laissez passer, comme si vous aviez ouvert la porte très rapidement pour qu’il le fasse", à l’image des cow-boys qui franchissent les portes d’un saloon. "Ce n’est évidemment pas une défense efficace". Dans le même registre, ajoute Daniel Berlion, "on disait aussi 'faire la circulation'. Un parallèle avec l'agent de police "qui faisait, avec son bâton, signe aux voitures de passer à un carrefour". C'est tout l'opposé de "mettre les barbelés", à savoir "installer une défense hermétique".
Les commentateurs sportifs, des "passeurs"
"Faire Jésus", c'est l'une des options quand on n’a pas pu résister à l'adversaire. C'est également l’une des métaphores préférées de Daniel Berlion. "Cela est bien connu, écrit-il dans son ouvrage, les (joueurs de rugby) et particulièrement les avants, ne sont pas des enfants de chœur. Aussi n’était-il pas exceptionnel qu’un poing s’égare sous une mêlée malgré l’œil vigilant de l’arbitre. Une fois la mêlée terminée, on s’apercevait qu’un des avants gisait les bras en croix".
"Les origines de ces expressions très imagées sont souvent obscures", note Daniel Berlion qui évoque l'ancien joueur de rugby, devenu commentateur, Pierre Albaladejo. Ce dernier est connu pour avoir introduit beaucoup d’expressions du folklore de la région du Sud-Ouest dont il est originaire. "Comme 'les mouches ont changé d’âne', cela signifie que ceux qui dominaient sont devenus les dominés au cours d'un match, ou encore 'la cabane est tombée sur le chien'. Ce sont des expressions populaires comme ' être la lanterne rouge' (d'un classement). Elle est célèbre et ça vient du temps où, à l’arrière des trains, il y avait toujours un feu rouge. Le dernier wagon est celui de la lanterne rouge", souligne l'auteur des célèbres Bled (pour être incollable en français).
"Il n’y a rien de pire, faire remarquer Daniel Berlion, que de ne pas comprendre ce que le commentateur dit, par exemple, quand on regarde un match" ou tout type de compétition sportive. Grâce à ces "passeurs", les formules finissent par être connues et sont intégrées dans le langage courant. Au point d’être employées dans d’autres contextes. On dira d’une entreprise en difficulté qu’elle s’est mise dans le rouge, un emprunt de la finance au sport. "Par exemple, si on force trop en pédalant, on se met dans le rouge. Se mettre dans le rouge fait référence à l’aiguille du compteur, qui monte dans le rouge, quand le radiateur est cassé. L’aiguille indiquant sa température. Si on fait trop chauffer le moteur, on se met dans le rouge".
Avec "terminer sur le fil", la politique s’est aussi inspirée du sport. "Autrefois, en athlétisme, la ligne d’arrivée était matérialisée par un fil". Désormais, une élection peut se gagner sur le fil. "Toutes ces expressions enrichissent le français. On crée des métaphores… C’est ça la langue. C’est une incroyable richesse", affirme Daniel Berlion. Je suis amoureux de la langue française", avoue l'écrivain qui publiera bientôt un nouvel ouvrage, Il faut sauver l'orthographe.
Faire gagner du terrain au mutilinguisme
Depuis 1972, c'est à un autre type de sauvetage linguistique que participe le dispositif d'enrichissement de la langue française coordonné au ministère de la Culture par la Délégation générale à la langue française et aux langues de France. Gage de multilinguisme, il repose sur "un vaste réseau couvrant 15 ministères et associant près de 400 experts", précise un document du ministère. Ces spécialistes sont répartis dans 19 groupes permanents et thématiques en charge de proposer de nouveaux termes dans leurs domaines respectifs. En sport, ce dispositif a permis d’imposer "jeu décisif" face à "tie-Break" en tennis, "mêlée ouverte" ou "mêlée spontanée" au lieu de "ruck" dans le rugby.
Depuis 2022, le groupe thématique dédié au sport a travaillé essentiellement en prévision des Jeux olympiques. Comme beaucoup d'autres auparavant, les néologismes produits sont publiés au Journal officiel et disponibles dans la base FranceTerme, ainsi rebaptisée en 2007 et qui a près d'un quart de siècle. Ils sont "(recommandés) à tous et (s’imposent) aux services de l’État", peut-on lire sur le site du ministère de la Culture.
Entrer dans les usages
Les JO de Paris sont une occasion unique de faire exister pleinement, aux côtés de l'anglais, la langue olympique qu’est le français grâce à Pierre de Coubertin, l’inventeur des Jeux modernes. "Un défi quotidien", rappelle Daniel Zielinski, délégué ministériel à la francophonie au ministère des Sports et des Jeux Olympiques et Paralympiques. "Bien sûr, le fait qu’ils soient organisés en France constitue une garantie pour la présence du français au même titre que l’anglais. Mais nous avons quand même demandé au Comité d’organisation, qui est très mobilisé sur la question, que les deux langues soient présentes à égalité dans la signalétique, sur les panneaux d’affichage, lors des conférences de presse officielles, dans les transports, etc."
Avec la mise à disposition de nouveaux mots, notamment dans les nouvelles disciplines olympiques, "notre objectif final, c’est le grand public, via les journalistes francophones qui vont relayer et commenter les Jeux. Le fruit de notre travail, c’est que tout ce vocabulaire entre dans le dictionnaire et ensuite dans les usages", poursuit Daniel Zielinski, s'exprimant sur le site du ministère de la Culture, à l’occasion de la 29e édition de la Semaine de la langue française et de la francophonie.
L’évènement, qui se déroule jusqu’au 24 mars, s’est mis au diapason des Jeux et son thème, "Sur le podium", est décliné à travers dix mots et expressions. Parmi eux, "s’encorder", verbe employé dans l’alpinisme qui signifie, selon Le Robert, "s’attacher à une même corde pour constituer une cordée". On y retrouve également "aller aux oranges", expression issue du Dictionnaire des francophones, une initiative française lancée il y a deux ans, qui réunit le vocabulaire utilisé dans l’espace francophone. Employée au Sénégal, elle signifie "atteindre la mi-temps d’un match, par allusion aux oranges que consomment les joueurs pendant la mi-temps". Une première étape pour espérer que les dirigeants "ouvrent l'armoire à confitures", en d'autres termes, que les joueurs soient généreusement récompensés en cas de victoire.
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