A Oradour-sur-Glane, 80 ans après le massacre, il est "urgent" de sauver les ruines du village martyr, derniers témoins de l'horreur
Le lichen a rongé les murs, qui s'écroulent inexorablement. Les intempéries ont emporté les toitures. Quatre-vingts ans sont passés et il devient "urgent" d'empêcher les ruines d'Oradour-sur-Glane (Haute-Vienne), derniers témoins du massacre nazi qui a décimé le village, de se taire à jamais.
"Aujourd'hui, tous les survivants ont disparu. Les seuls témoins du massacre, ce sont ces pierres", s'émeut Agathe Hébras, petite-fille de Robert Hébras, l'un des rares rescapés de la barbarie du 10 juin 1944, décédé en 2023. "J'ai un lien viscéral avec ces ruines, comme beaucoup d'habitants ici. Il ne faut surtout pas les laisser dépérir. Ce sont des soins palliatifs mais il faut les accompagner au mieux et le plus longtemps possible", explique la jeune femme de 31 ans qui s'est donné pour mission de garder vivante la mémoire du massacre qui fit 643 morts.
À quelques mètres du nouveau bourg animé d'Oradour-sur-Glane, construit dans l'après-guerre, le silence règne sur le village martyr, classé monument historique et propriété de l'État. Sur quelque dix hectares, des petites maisons sans toit aux pierres noircies par la pluie et le temps, certaines aux murs effondrés, renferment encore des trésors : une bicyclette rouillée ici, un peu plus loin une machine à coudre. "Coiffeur", "Café", "Quincaillerie", "École des filles" : de petites pancartes ajoutées aux bâtiments permettent au visiteur d'imaginer la vie d'autrefois.
Seules six personnes en sont ressorties vivantes après l'un des pires massacres de civils par des nazis en Europe occidentale. Ce jour-là, les Waffen SS abattent environ 200 hommes à la mitrailleuse. Puis, dans l'église, ils tuent quelque 450 femmes et enfants, avant d'incendier le village.
"Ne rien effacer"
Après guerre, décision fut prise de préserver les lieux dans leur état de destruction, mais ce témoignage résiste de moins au moins au temps. "Il est très, très urgent d'agir, de façon plus importante" qu'aujourd'hui, plaide le maire sans étiquette d'Oradour-sur-Glane, Philippe Lacroix, arguant que "lorsque le paysage disparaît, la mémoire s'efface petit à petit".
Depuis 1946, le site fait l'objet de travaux d'entretien pour un coût fixe d'environ 200 000 euros par an, auxquels se rajoutent des investissements ponctuels mais réguliers, selon la DRAC Nouvelle-Aquitaine. "La restauration de l'église, l'année dernière, a par exemple coûté 480 000 euros", précise Lætitia Morellet, directrice régionale adjointe déléguée aux patrimoines et à l'architecture.
Mais 80 ans plus tard, le site "nécessite une massification des travaux de restauration": en 2023, un schéma directeur sur 15 ans a été établi avec l'architecte en chef des monuments historiques Pascal Prunet, permettant de "redéfinir la doctrine de conservation", explique Lætitia Morellet.
Consolider les maçonneries, protéger les arases des murs, reprendre des façades... "Tout en conservant l'état de destruction qui permet de lire et comprendre ce crime de guerre, en veillant à ne rien effacer, ni donner un aspect neuf aux choses (...) On ne va pas restituer des éléments disparus", résume-t-elle. Le tout pour un budget estimatif de 19 millions d'euros, financé par l'État et une collecte de dons lancée par la Fondation du Patrimoine.
Les descendants actuels des martyrs et survivants, contrairement à leurs parents élevés dans le silence du deuil et des traumatismes durant l'après-guerre, œuvrent à perpétuer la mémoire du massacre.
Le village martyr fait ainsi partie de la vie de Carine Villedieu Renaud, petite-fille du seul couple de rescapés, qui le traverse souvent pour se rendre au nouveau bourg. "Ma grand-mère, qui a perdu sa mère, ses sœurs et sa fille de quatre ans, m'emmenait me promener dans les ruines ; on ramassait des fleurs, elle me racontait sa vie d'avant. Avec moi, il n'y avait pas de tabous", se souvient cette fonctionnaire de 47 ans.
"Une certaine universalité"
"Les premiers enfants d'Oradour nés après le massacre, comme mon père, ont vécu des choses extrêmement dures, avec des parents mutiques, convaincus qu'il fallait oublier pour pouvoir continuer à vivre", souligne Agathe Hébras. Son grand-père, qui a perdu deux sœurs et sa mère, n'a commencé à témoigner qu'à partir de la fin des années 1980.
Pour Benoît Sadry, président de l'association des familles des martyrs, préserver les ruines d'Oradour-sur-Glane permet aussi de conférer à ce village du Limousin une "certaine universalité qui dépasse le seul cadre de la Seconde Guerre mondiale. L'enjeu, c'est de garder une preuve que dans les guerres, les crimes de masse, ce sont toujours les populations civiles qui paient le prix".
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.