Attentats de janvier 2015 : "Le procès va participer à la construction de la mémoire collective", affirme un historien
Spécialiste de la mémoire et directeur de recherches au CNRS, Denis Peschanski a été surpris par l'oubli relatif dans lequel tombaient les attentats de janvier 2015 alors qu'ils avaient engendré un mouvement de solidarité inédit. Son confrère historien Christian Delporte reconnaît qu'"il y a un risque" d'oubli.
Alors que le procès des attentats de janvier 2015 a commencé mercredi 2 septembre l'historien spécialiste de la mémoire et directeur de recherches au CNRS, Denis Peschanski, estime sur franceinfo que "le procès va participer à la construction de la mémoire collective" sur ces attentats, alors que leur souvenir tend à s'effacer des mémoires. "Ça permet aux victimes et aux familles de victimes de participer au travail de deuil et ça permet à la société française de se construire une mémoire collective", analyse le spécialiste de la mémoire.
C'est d'autant plus important que le chercheur a constaté, à travers des études d'opinion réalisées par le Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie (Crédoc), que le souvenir des attentats de janvier 2015 "a eu une évolution qui peut surprendre et interroger", autrement dit ce souvenir tend à s'effacer des mémoires.
Un risque d'effacement des mémoires
À plusieurs années d'intervalles, le Crédoc a demandé aux personnes interrogées lors de ces études "quels sont les attentats terroristes qui [les] ont le plus marqué depuis l'an 2000". "Quand on a posé la question en juin 2016, on s'est aperçu que les gens faisaient plus référence au 13-Novembre, puis au 11 septembre 2001, et puis, assez proche, aux attentats de janvier 2015. Mais six mois plus tard, ou encore deux ans plus tard, la référence à janvier s'était écroulée" dans les déclarations, explique le chercheur, c'est-à-dire que de moins en moins de personnes listaient les attentats de janvier 2015 parmi ceux qui les ont le plus marqués.
C'est quand même tout à fait stupéfiant parce qu'on a eu la plus grande manifestation de tous les temps en France à la suite des attentats de janvier 2015, et pourtant, la référence à ces attentats s'écroule dans la mémoire collective.
Denis Peschanski, historien spécialiste de la mémoireà franceinfo
Pour Denis Peschanski, c'est dû au fait que, pour les attentats de janvier 2015, "on est solidaire des autres. Les autres, ce sont les journalistes, les juifs, les policiers et surtout d'ailleurs les journalistes dans la mémoire collective", alors que, lors des attentats du 13-Novembre, "nous avons été directement visés".
Une évolution de l'identification "Je suis Charlie"
Christian Delporte, professeur d'histoire contemporaine à l'université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, conçoit qu'il y ait "le risque" d'oublier mais considère "qu'il y a quand même une bonne résistance de cette mémoire".
Je serais assez nuancé parce qu'il y a à peu près la même proportion de gens qui disent 'Je suis Charlie' aujourd'hui qu'en 2015.
Christian Delporte, professeur d'histoire contemporaineà franceinfo
"Il ne faut pas oublier que l'idée d'une unanimité autour de Charlie est un peu une reconstruction, insiste l'historien. Quand, dix jours après l'attentat et les grandes manifestations, on interroge les gens pour leur demander s'il faut continuer à publier des caricatures de Mahomet, 57% des personnes disent oui, mais il y en a quand même 42% qui disent qu'il faut tenir compte des circonstances".
Christian Delporte note également une évolution de la signification de "Je suis Charlie". "En 2015, 'Je Suis Charlie', ça voulait dire défendre la liberté de caricaturer, le droit au blasphème, l'héritage des Lumières, dire d'une certaine manière qu'on est libre, qu'on n'a pas peur, qu'on va continuer à agir, expose le professeur d'histoire contemportaine. Aujourd'hui, c'est tout cela et c'est davantage. C'est refuser que la critique de la religion soit confondue avec le racisme et que les valeurs universelles soient sacrifiées sur l'autel des identités".
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