Centenaire du Chemin des Dames : "On est dans le noir mais on entend l’adversaire"
À l'occasion du centenaire de l'offensive du Chemin des Dame, le 16 avril 1917, franceinfo est retourné sur l'un des lieux symbole de cette bataille : la "Caverne du Dragon".
François Hollande participe dimanche 16 avril au centenaire de l'offensive du Chemin des Dames du 16 avril 1917, une bataille longtemps négligée par la mémoire officielle car symbolique des errements sanglants de l'état-major français. franceinfo est retourné sur les lieux, accompagné de Vincent Dupont, historien et guide à la "Caverne du Dragon".
C'est un petit coin de Picardie qui allait connaître l'enfer. Il y a 100 ans, le 16 avril 1917 à 6 heures du matin, 180 000 soldats français s'élançaient à l'assaut du Chemin des Dames, dans l'Aisne. En moins d'une heure, c'est un désastre, sur les pentes abruptes du plateau. Mais le massacre se poursuit pendant six mois, jusqu'à conquérir de maigres gains territoriaux, au prix de centaines de milliers de victimes dans les deux camps, probablement entre 300 000 et 400 000.
Symbole de l'absurdité de la guerre, la bataille aura pesé lourd dans les mutineries de 1917 dans l'armée française. Sur place, les cicatrices de la guerre affleurent partout. L'un des lieux les plus forts sur le plateau, c'est la "Caverne du Dragon", une ancienne carrière de calcaire transformée en fortification. L'orage gronde le jour de notre visite. A une dizaine de mètres de profondeur, sous le ciel de carrière de la caverne du dragon, il résonne dans l'espace et dans le temps. "On n’a pas les obus ici, on a la résonance, quinze mètres de calcaire qui renvoient bien les ondes de choc. Des hommes devenaient fous à force d’entendre la résonance de ces bombardements en surface", nous explique Vincent Dupont, historien et guide à la "Caverne du Dragon".
De 1914 à 1918, la grotte a changé plusieurs fois de mains. Parfois même, Français et Allemands y ont cohabité, à quelques mètres de distance, sans fraterniser, mais aussi sans combattre. "Vous aviez des soldats français retranchés juste ici, derrière ces murs, dans les parties sud. Et dans le fond là-bas, environ 30 mètres plus loin, des soldats allemands. On les entend. On est dans le noir mais on entend l’adversaire", raconte notre guide.
C'est surtout l'occupation allemande qui a marqué le lieu. Environ 300 soldats du Kaser Guillaume II vivaient ici, comme dans une caserne sous terre. Ce n'était pas la tranchée mais ce n'était pas non plus, et de loin, le repos de l'arrière.
Il fait 12 degrés et 90% d’humidité. Comme dans les tranchées, la boue arrive, petit à petit les rats, les puces, la gale. Mais dans les tranchées, on peut espérer avoir un peu de vent. Ici, les odeurs stagnent. Imaginez 300 hommes pas lavés depuis au moins huit jours
Vincent Dupontà franceinfo
À chaque cavité sa fonction : organisation, toujours, même dans le noir de l'enfer. Nous nous arrêtons devant une ancienne chambrée. "Une centaine d’hommes vivaient là-dedans, entassés sur des lits superposés faits en treillis métalliques. Pas de paille ici. Elle moisit ou elle brûle", explique Vincent Dupont. Des dizaines d'objets rouillés sont là, posés sur les pierres. "On a un lieu de vie ici, les lits, au centre une table, quelques bougies, des bancs. On écrit à sa famille ici, on mange, on joue même de l’harmonica. Ici, on a un pot de confiture de cerises allemand. Il en reste. Ça fait 100 ans", poursuit l’historien.
L'offensive tourne au calvaire
Au plafond, les isolateurs électriques donnent une idée de la densité du réseau de fils qui serpentait. Dans un tunnel effondré, des voies ferrées cachées par les éboulis filent en direction de Laon, vers les anciennes lignes allemandes. Tous ces tunnels ont été creusés en secret. "Pour cacher le fait que les Allemands creusaient un tunnel, tout le gravat qu’ils ont extrait du tunnel, ils l'ont mis dans la caverne. C’est pour cela qu’ici le plafond, le ciel de carrière, est très bas. C’est parce que tout le gravat est sous les pieds", nous dit-il.
Le Chemin des Dames est un secteur calme en surface, c’est ce que pensent les Français. Mais en sous-sol c’est une vraie fourmilière
Vincent Dupontà franceinfo
Le 16 avril 1917, quand les Français s'élancent, sous la neige, sur les pentes du plateau, ils n'ont donc qu'une très petite idée des fortifications qui les attendent. À la caverne du dragon, la constellation de la douleur, une série de hautes sculptures en bois, rappelle que ce sont les tirailleurs sénégalais qui ont donné l'assaut ici. "Au niveau de la Caverne du Dragon, vous avez la dixième division d’infanterie coloniale, qu’on appelait les Sénégalais, mais c’était des troupes de toute l’Afrique noire. Ils vont franchir la première ligne allemande qui était devant la caverne et commencer à descendre de l’autre côté, mais vont se retrouver bloqués devant la troisième ligne de tranchée allemande", raconte l’historien.
Ils vont essayer de faire demi-tour mais entre-temps les Allemands étaient ressortis par l’escalier de la caverne, dans leur dos
Vincent Dupontà franceinfo
Dès la première heure, l'offensive est un échec. Le général Nivelle s'entête. Il sera démis de ses fonctions mais le mal est fait. Il faudra sept mois et des mutineries cruellement réprimées dans l'armée française pour conquérir le plateau du chemin des Dames. Et les Allemands ne sont pas si loin. Ils reviendront d'ailleurs l'année suivante, reprendre en quatre heures ce qu'ils avaient cédé mètre par mètre. Le jour de l'offensive, Nivelle avait fait préparer des musiciens pour défiler dans Laon. En fait de musique, la seule que cette bataille aura donné, est une chanson.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.