Des gravures inédites de Jean Moulin exposées au musée des Beaux-Arts de Quimper
Pour commémorer les 80 ans de la disparition du chef de la Résistance, le musée breton expose des plaques en cuivre encore jamais dévoilées. Jean Moulin les avait réalisées alors qu'il était sous-préfet de Châteaulin, dans le Finistère.
Romanin : c'est sous ce pseudonyme, référence à un château médiéval des Alpilles, que se dissimulait l'artiste Jean Moulin. À l’occasion de la commémoration des 80 ans de la disparition du chef de la Résistance, le 8 juillet 1943, le musée des Beaux-Arts de Quimper lui consacre une exposition. Certaines de ses oeuvres, notamment neuf plaques de cuivre gravées de sa main, n'avaient encore jamais été tirées sur papier. De l'ombre à la lumière présente cet aspect peu connu de la vie de Jean Moulin, que le public est invité à découvrir jusqu'en mars 2024.
Avant de créer en 1943 le Conseil National de la Résistance, Jean Moulin a été sous-préfet de Chateaulin, dans le Finistère. C'est pendant cette période, de février 1930 à janvier 1933, que le jeune-homme, alors âgé de 31 ans, s'initie à de nouvelles pratiques artistiques. Ses dessins, principalement des caricatures, étaient déjà publiés dans la presse satyrique depuis une quinzaine d'années. Mais la rencontre avec des artistes quimpérois lui donne un nouvel élan, en parallèle de sa carrière administrative. "Jean Moulin était passionné par le dessin depuis son enfance, souligne Florence Rionnet, conservatrice du musée des Beaux-Arts de Quimper. Quand il arrive dans le Finistère, il renoue avec cette pratique et va aussi découvrir la gravure. "
Un caractère autobiographique
Documents et manuscrits, plaques en cuivre et en zinc (tirées sur papier) réalisés pendant ces années bretonnes font aujourd'hui partie du fonds du musée, grâce au leg de Laure Moulin, sa soeur, en 1975. Pour cette exposition, neuf matrices en cuivre jamais exploitées ont été confiées à Yves Doaré, peintre et graveur quimpérois, qui en a tiré des épreuves papier cet hiver. Elles sont présentées au public pour la première fois.
Toutes ces gravures sont inspirées de la parabole du Fils prodigue, de l'Evangile selon Saint-Luc. Jean Moulin puise aussi dans ses racines familiales provençales pour créer les décors. "Il s’agit, selon toute vraisemblance, d’un projet d’illustration sans que l’on en connaisse réellement la destination, précise le descriptif de l'exposition. Selon les ayants droit de Jean Moulin, il pourrait s’agir d’un projet pour illustrer un manuscrit inachevé d’Antonin Moulin, le père de Jean. Mais ce projet pourrait également être lié à l’illustration d’un ouvrage inspiré de la parabole biblique (...). Par le choix d’un sujet aux connotations familiales, empreint de tendresse filiale, par certains traits des personnages, par le positionnement des scènes en Provence, ces images revêtent sans nul doute un caractère autobiographique. Cette lecture ne fait que renforcer l’émotion qu’elles suscitent en connaissant le destin tragique de Jean Moulin dans la décennie qui suivra."
Nous avons souhaité montrer les progrès remarquables accomplis par Jean Moulin quand il est à Quimper et qu'il étudie la gravure.
Florence Rionnet, conservatrice du musée
Des premiers pas hésitants aux dernières planches beucoup plus abouties, c'est ce travail d'une grande finesse qu'a souhaité mettre en avant le musée. "Au tout début, on voit bien qu'il tatonne un peu qu'il fait des essais, souligne Florence Rionnet. Et en même temps, nous présentons des planches plus abouties d'Armor, où on voit plus de maîtrise, deux ou trois ans plus tard".
Une oeuvre prémonitoire
Armor c'est le titre d'un recueil de poèmes de Tristan Corbière (1845 - 1875) révélé au public par Paul Verlaine une décennie après sa mort. Le poète oublié évoque notament un épisode tragique de la guerre de 1870, le martyre des soldats bretons à Conlie. Touché par ses textes, Jean Moulin réalise 8 eaux-fortes pour illustrer une nouvelle édition d'Armor, publiée en 1935. Sur l'une d'elle, La Pastorale de Conlie, il représente des charniers. Et l'on ne peut s'empêcher de faire un parallèle avec les événements à venir. "Cette œuvre est tout à fait saisissante dans la mesure où elle est parfaitement prémonitoire, remarque Florence Rionnet. Il faut imaginer que cette planche a été gravée en 1932/33, au moment où Jean Moulin était ici à Quimper, et évidemment on a une fulgurance, on voit les camps de la mort de la Seconde Guerre mondiale !"
Jean Moulin quitte le Finistère dix ans avant son arrestation par la Gestapo. Son lien fort avec Corbière se poursuivra au delà de sa pratique artistique puisqu'il utilisera des vers de deux de ses poèmes pour coder ses messages.
"De l'ombre à la lumière", musée des Beaux-Arts de Quimper, jusqu'en mars 2024
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