En Normandie, le manifeste de Charlotte Corday source de conflit entre les collectivités locales et l’Etat
230 ans après l’assassinat du révolutionnaire Jean-Paul Marat, la lettre de trois pages dans laquelle la normande Charlotte Corday explique son geste fait à nouveau parler d’elle. Vendue 270 900 euros le 11 juin dernier, l’Etat revendique sa propriété, estimant que c’est une archive publique qui doit lui revenir.
Vers une bataille judiciaire
"Le mépris qu’on peut avoir à l’encontre des collectivités locales, c’est assez insupportable" s’insurge Hervé Morin, président de la région Normandie.
L’ancien ministre de la Défense de François Fillon, comme les autres élus, n’entend pas céder à Paris ce manifeste si convoité par la Normandie. "C’est un témoignage politique qui appartient au patrimoine de la Révolution française mais aussi à celui de notre région" se défend Hervé Morin, qui ajoute "cette lettre a été vendue sept fois depuis 1834 et à aucun moment l’Etat n’avait estimé trouver intérêt à l’intégrer dans son patrimoine national".
Le réveil tardif de l’Etat déconcerte. Les collectivités normandes ont confié l'affaire à un avocat. "Nous sommes décidés à aller devant le juge administratif pour pouvoir devenir propriétaires de cette pièce", explique Hervé Morin. Selon lui, "la revendication possède un vice de forme".
L’État aurait dû envoyer une lettre recommandée au propriétaire du document. Ce qui n'aurait pas été fait en temps et en heure. Autre élément qui serait en faveur de la région. En 2016, l’Etat a écrit une doctrine sur la procédure de revendication des pièces qui exclut les documents "déjà passés en vente publique" et dont l’administration a eu connaissance. Le manifeste de Charlotte Corday serait concerné par ce texte.
Un manifeste qui réhabilite Charlotte Corday
Tant que cette affaire ne sera pas réglée, "cette pièce restera dans un placard ou un coffre" déplore Hervé Morin. La procédure peut durer "des années" selon lui. Une immense déception pour les collectivités qui avaient déjà réfléchi à sa présentation au public aux archives départementales ou dans un musée dédié à Charlotte Corday et à la Révolution française. L’objectif étant de rétablir la vérité sur le geste de cette jeune fille de 24 ans.
Issue de la petite noblesse, Charlotte Corday devient républicaine mais n’adhère pas à la violence qui en découle, hostile notamment aux nombreuses exécutions. Elle quitte Caen pour assassiner le député jacobin Jean-Paul Marat à Paris, qui cautionne les excès de la Révolution. "Il faut resituer un peu les choses autour de quelqu’un qu’on a présenté comme une anti-révolutionnaire alors qu’elle était très attachée aux libertés. Elle ne voulait pas passer de l’absolutisme royal à une sorte d’absolutisme révolutionnaire basé sur la guillotine" précise Joël Bruneau Maire (LR) de Caen.
Arrêtée après avoir mortellement poignardé Jean-Paul Marat, elle est jugée et guillotinée. Son manifeste politique caché dans son corsage est trouvé lors de son arrestation mais disparaît pour ne pas nuire à la Révolution et entacher l'image de héros de Jean-Paul Marat aux yeux du peuple. Présenté comme un martyr, il est, en 1794, inhumé au Panthéon mais seulement quelques mois. Ses actions sanguinaires sont désavouées. Le manifeste de Charlotte Corday réapparaît en 1834 lors d'une première vente aux enchères, puis passe entre les mains de divers collectionneurs privés.
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